Centerstage, ce complot financé par l’Allemagne nazie pour renverser Roosevelt
"Ultra", le podcast de Rachel Maddow rappelle que des nationalistes d'extrême-droite ont voulu bombarder des sites juifs et que des membres du Congrès ont colporté la propagande nazie
Au moment où William Dudley Pelley appelle à la stérilisation forcée de tous les hommes juifs en 1939, la milice suprémaciste blanche américaine inspirée des « chemises brunes » revendique plus de 100 000 membres.
Surnommé premier « fasciste » des États-Unis, Pelley dirige l’un des nombreux complots, tous plus ou moins liés, destinés à renverser le président américain Franklin Roosevelt et installer un gouvernement pro-nazi doté de pouvoirs d’exception.
« Une vague de vengeance raciale semblable à un pogrom allant d’un océan à l’autre s’en vient implacablement pour les Juifs d’Amérique, alors que des millions d’entre eux se pressent avec la levée des barrières à l’immigration », prédit Pelley dans son magazine Libération.
Le dernier podcast en huit épisodes de Rachel Maddow, « Ultra », diffusé en octobre, évoque les grands moments de l’antisémitisme au prisme de plusieurs conspirations d’inspiration nazie.
En 1944, Centerstage est le plus grand procès pour sédition de toute l’histoire des États-Unis. Une vingtaine de Sénateurs et Représentants font alors l’objet d’une enquête pour complicité avec Berlin pour répandre la propagande nazie.
« Nous avons publié le premier épisode du podcast au moment des exposés introductifs du premier procès en sédition des Oath Keepers », expliquait Madow à NPR en décembre dernier.
« Et le dernier épisode est sorti la veille du verdict. Ce n’était pas mon intention de lier aussi étroitement ces deux faits historiques, mais il est vrai qu’ils ont beaucoup de points communs », ajoutait Maddow.
Le projet de Pelley – déclencher une guerre raciale – devait commencer par l’enlèvement et l’exécution de 20 personnalités hollywoodiennes, parmi lesquels plusieurs Juifs.
Étaient par exemple visés Louis B. Mayer, Al Jolson, Charlie Chaplin (qui n’est pas juif) et James Cagney.
Aux termes du plan, prévu pour se dérouler en 1936, les victimes devaient être conduites dans un parc, pendues puis « fusillées ». Après cela, les Juifs des Etats-Unis étaient supposés quitter précipitamment le pays.
Aussi bizarre que ce plan puisse paraître, l’Allemagne nazie soutient un grand nombre de « relais », dans le sud de la Californie, dès 1933. En plus du réseau d’espions pro-allemands qui utilisent régulièrement les installations portuaires de Los Angeles, des milliers de membres du Ku Klux Klan sont persuadés que quelques-unes des 50 organisations germano-américaines du secteur – fortes de 150 000 membres – trouveront des intérêts communs.
À l’est de la Californie, au cœur des États-Unis, l’infrastructure militante de droite se développe sous la direction du Front chrétien, avec le Père Charles Coughlin. À son apogée, un Américain sur quatre écoute, chaque semaine, ses sermons à la radio.
En dehors des ondes, des milliers de partisans de Coughlin, constitués en « cellules », se préparent à attaquer simultanément une ou plusieurs cibles, d’une liste remplie de centaines de noms.
« Le groupe voulait [assassiner] certains membres du Congrès, dynamiter des entreprises juives et d’autres cibles notables dans les environs de New York et le nord-est, pour provoquer une panique justifiant la mise en place de l’état d’urgence », explique Maddow.
« Port payé par le Congrès »
Bien peu d’Américains ont le souvenir de ce qui est à ce jour le plus grand procès pour sédition de toute l’histoire des États-Unis, et cela tient notamment au fait qu’aucun législateur n’a été inculpé pour son implication dans ce complot.
Par la suite, le président Harry Truman a empêché la publication des conclusions de l’enquête, les jugeant trop dangereux.
Au cours du procès, les procureurs du ministère de la Justice ont, sans succès, tenté à plusieurs reprises de faire accuser une vingtaine de Sénateurs et Représentants qui avaient utilisé le « privilège d’affranchissement du Congrès » pour diffuser la propagande nazie dans les boîtes aux lettres américaines.
En vertu de ce privilège, les membres du Congrès pouvaient envoyer tout ce qu’ils voulaient, sans restrictions de volume, aux frais du gouvernement.
Le principal agent de liaison de Berlin avec les membres du Congrès sympathisants des nazis est George Sylvester Viereck, également lié au Front chrétien ainsi qu’à d’autres groupes fascistes qui organisent des rassemblements de grande ampleur aux inflexions antisémites, baptisés « America First ».
Né à Munich, Viereck rencontre Hitler en 1933. L’année suivante, il s’adresse à 20 000 partisans pro-nazis au Madison Garden de New York, en comparant Hitler et Roosevelt.
Actif dans tous les États-Unis, c’est lui qui a l’idée d’envoyer la propagande nazie à la population américaine en passant par ses soutiens au Congrès. On y justifie l’hostilité de l’Allemagne envers la Tchécoslovaquie et la conquête de la Pologne en 1939.
L’envoi de ces innombrables courriers est financé par les contribuables américains, alors que certains membres du Congrès étaient littéralement à la solde de l’Allemagne nazie.
Fait troublant, Viereck avait marqué l’histoire américaine avant même ses activités à l’époque nazie.
Après avoir justifié l’action de l’Allemagne pendant la Première Guerre mondiale, Viereck reçoit en effet une lettre du président Theodore Roosevelt lui recommandant de renoncer à la citoyenneté américaine et de s’engager dans les rangs de l’armée allemande.
En dépit de son passé séditieux, Viereck est autorisé à rester aux États-Unis, ce qui lui permet de devenir le plus puissant agent de relations publiques « infiltré » d’Hitler.
« Un procès grotesque et indigne »
Alors que les autorités tentent de déjouer plusieurs complots d’extrême droite, l’antisémitisme reste bien vivace.
À Brooklyn, 17 membres du Front chrétien sont inculpés d’avoir stocké des bombes et des armes à feu destinées à s’en prendre à des cibles juives.
Le jury, qui a une profonde affection pour ceux qui se font appeler les « Brooklyn Boys », relaxe les prévenus de ce procès tenu en 1940.
À partir de 1942, à New York et Boston, les Juifs « sont attaqués et battus dans les rues, dans les parcs. Certains sont poignardés ou défigurés, des filles se font arracher leurs vêtements », rappelle l’historien David Greenberg.
« Des gangs volent des marchands juifs, profanent des synagogues et des cimetières, entre autres actes de vandalisme. Les Éclaireurs juifs et autres organisations ajournent leurs réunions et cessent toute activité », explique Greenberg à propos des agressions menées par le Front chrétien contre les Juifs.
À Washington, l’antisémitisme gangrène le procès en sédition de 1944, et ce, avant même le début de la procédure.
Le juge Edward Eicher questionne en effet les candidats au poste de juré pour connaître leur définition des « banquiers internationaux », des « Juifs mongols » ou savoir s’ils sont juifs ou ont des parents juifs.
« C’est assez choquant », dit Maddow, qui estime qu’il y a « de fortes similitudes » entre les complots séditieux d’ « Ultra » et l’histoire américaine récente.
« Que le juge Eicher ait permis ces questions, conçues pour tenir les Juifs à l’écart du jury, et par ailleurs influencé le jury pour qu’il ne soit pas favorable aux intérêts des Juifs, est incroyable. Et en effet, il n’y a pas eu de Juifs dans le jury », affirme Maddow.
Selon le magazine Time, il s’agit du « procès pour sédition le plus important et le plus retentissant de toute l’histoire des États-Unis ».
La mort brutale du juge Eicher, en novembre 1944, conduit à l’annulation du procès. Au final, aucun des co-conspirateurs ne sera traduit en justice.
« Au soir du 102e jour du procès, le juge américain Edward Clayton Eicher, âgé de 65 ans, est rentré chez lui [où] il est décédé d’une crise cardiaque. Personne à Washington ne doute que ce procès grotesque et indigne aura précipité la mort d’un juge scrupuleux et digne », a commenté le Time.
Bien qu’aucun des fonctionnaires séditieux n’ait été officiellement puni, les médias américains et groupes de pression ont enquêté de manière approfondie sur cet ensemble de complots afin de dissuader les électeurs de les réélire.
America First et le Front chrétien se sont dissous après Pearl Harbor, à la faveur de l’action – tardive – du FBI contre les infrastructures pro-nazies sur le sol américain.
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