Cour suprême : Le système d’ancienneté disparaîtra avec les réformes Levin-Saar
Dans le cadre du plan envisagé, la commission de sélection des juges choisira le chef du prestigieux tribunal ; le ministre de la Justice veut faire définitivement adopter l'ensemble des réformes controversées dès février
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Selon certaines informations, le système d’ancienneté qui prévalait lors du choix du président de la Cour suprême – un système qui était mis en œuvre depuis la création de plus haute instance judiciaire d’Israël, en 1948 – ne sera pas maintenu dans le cadre des propositions faites par le ministre de la Justice Yariv Levin et par le ministre des Affaires étrangères Gideon Saar, qui prévoient d’effectuer des changements en profondeur dans le système judiciaire israélien.
Un porte-parole de Levin a déclaré dimanche au Times of Israel que le président de la Cour serait élu à la majorité simple – avec, dans les faits, les voix de cinq des neuf membres de la commission de sélection des juges, ce qui supprimera le système d’ancienneté.
Les partisans du système d’ancienneté déclarent qu’il garantit que l’élection du président de la Cour suprême n’est pas soumise à de possibles influences politiques, même si les critiques estiment qu’il implique que des juges sous-qualifiés sont susceptibles d’accéder automatiquement à la présidence.
Le système d’ancienneté est une coutume qui est en vigueur depuis la création de l’État. Ainsi, le magistrat de la Cour suprême qui a passé le plus grand nombre d’années sur les bancs du tribunal devient automatiquement le seul candidat à être présenté au vote de la commission de sélection des juges pour le poste de président.
Comme les juges ne sont pas mis en rivalité pour cette nomination et qu’ils n’ont pas besoin de s’attacher les faveurs des membres de la commission, de quelque manière que ce soit, pour être désignés président, ce système semble servir de garde-fou face à une possible politisation du poste.
Les quinze derniers mois ont été marqués par une lutte intense pour savoir quelle sera la personnalité qui sera amenée à prendre la présidence de la Cour suprême – puisque les trois juges à la Cour suprême qui représentent le système judiciaire au sein de la commission de sélection des juges, chargée de procéder à la nomination, se refusent, de leur côté, à abandonner le principe d’ancienneté.

Levin s’efforce de désigner un magistrat conservateur à la tête de la Cour – mais c’est Isaac Amit, un libéral, qui est premier sur la liste des présidents potentiels sur la base du système d’ancienneté. De plus, le ministre de la Justice est conscient du fait qu’il ne dispose actuellement pas du nombre de voix nécessaires pour bloquer sa nomination. En conséquence, Levin a obstinément refusé d’organiser un vote visant à élire un nouveau président et la Cour suprême, qui s’est réunie en tant que Haute Cour de justice, lui a ordonné de réunir la commission avant mercredi.
Il a été confié au Times of Israel que Levin autorisera un vote dans la journée de jeudi mais que lui-même n’y prendra pas part. Il continuera à refuser de s’entretenir avec Amit, président par intérim de la plus haute instance judiciaire depuis le mois d’octobre, et il ne délibérera pas sur les questions relatives au système judiciaire qui nécessitent pourtant son approbation, comme celle de l’actuel président par intérim.
Les propositions faites par Levin et par Saar ont d’ores et déjà été critiquées par certains cercles dans la mesure où elles donneraient un caractère politique à la Commission de sélection des juges, dans la mesure où les changements programmés prévoient notamment de remplacer les deux membres de la commission qui sont actuellement sélectionnés par l’Association du barreau israélien par deux avocats qui seraient respectivement choisis par la coalition et par l’opposition.
Ce qui renforcerait la mainmise des politiques sur la Commission, au détriment des professionnels indépendants du système judiciaire, incitant potentiellement davantage les magistrats de la Cour suprême à trouver des alliés auprès des politiciens siégeant au sein de la commission de sélection des juges s’ils veulent être élus président.
La manière dont le président de la Cour serait désigné revêt une importance encore plus grande au vu des nouvelles contraintes que Levin et Saar veulent imposer à l’autorité de la Cour suprême en tant qu’outil de contrôle.
Ainsi, selon les changements envisagés, la Haute Cour ne pourrait annuler une loi adoptée devant la Knesset qu’en obtenant la majorité de tous les juges en exercice au sein du tribunal. Aujourd’hui, onze juges sont en exercice – sur un total de quinze – ce qui signifie que six voix seraient nécessaires pour abroger une législation approuvée devant le parlement.
Les propositions précisent également qu’une législation pourra être soumise à un contrôle de la part des juges qu’en présence d’un panel d’au moins neuf magistrats au sein de la Cour. Là encore, une majorité de tous les juges en exercice sera nécessaire pour procéder à un délibéré.
Aujourd’hui, le vote au sein d’un tel panel doit être de six voix « Pour » sur neuf – ce qui place la barre déjà haut. Toutefois, lorsque la Cour sera dotée de tous ses effectifs, il faudra que huit magistrats sur neuf, au sein du panel, se prononcent en faveur de l’invalidation d’une loi pour que ce jugement puisse être pris en compte.
Il semble probable – mais cela n’a pas été confirmé – que le président de la Cour suprême conservera, comme c’est d’ores et déjà le cas aujourd’hui, le pouvoir de déterminer combien de juges devront siéger lors de l’examen d’un texte législatif. Ce qui signifie que le pouvoir du président concernant l’exécution de l’une des missions les plus déterminantes de la Haute cour – servir d’outil de contrôle efficace de la Knesset – sera considérablement accru dans le cadre du nouveau système.
Il est possible – voire probable – qu’un président élu par les votes des membres de la coalition au sein de la Commission de sélection des juges, des membres qui auront également voté en faveur de la législation qui sera amenée à être examinée par les magistrats, sera plus enclin à offrir une oreille attentive aux priorités et aux objectifs législatifs de cette même coalition.
De plus, la Haute Cour n’a réuni quinze magistrats dans le cadre de l’examen d’une motion qu’à une seule reprise, dans toute son histoire – lors d’une requête qui demandait à la Cour d’annuler un amendement apporté par le gouvernement actuel à l’une des lois fondamentales quasi-constitutionnelles d’Israël sur la question du principe juridique de « raisonnabilité ».
La Cour a également une lourde charge de travail – et la multiplication des groupes chargés d’examiner le nombre considérable de requêtes déposées contre les législations gouvernementales, des groupes qui impliqueront tous les juges en exercice, alourdira encore le fardeau.
Ce qui signifie que les pouvoirs du président de la Cour suprême, s’agissant de déterminer le nombre de magistrats chargés d’examiner une loi présentée à la Knesset, aura une importance encore plus grande.
Le président de la Cour suprême, en tant que détenteur de l’autorité judiciaire, dispose également d’autres pouvoirs déterminants – notamment celui de décider quelles décisions peuvent faire l’objet d’un réexamen ; un pouvoir décisionnaire disciplinaire sur les juges en exercice dans tous les tribunaux du pays ; la capacité de nommer les présidents des cours de magistrats et des tribunaux de district, avec le ministre de la Justice, et la capacité de procéder aux nominations de premier plan dans les bureaux du système judiciaire.
Levin et Saar espèrent faire adopter leurs nouvelles propositions d’ici la fin du mois de février – un délai très court pour des textes aussi importants. Ils n’auront pas besoin, toutefois, de relancer un processus à partir de zéro pour faire approuver les changements apportés au sein de la Commission de sélection des juges ou au système d’ancienneté.
Les ministres ont l’intention de s’appuyer sur une législation antérieure consacrée à la Commission de sélection des juges, un texte qui était sur le point d’être adopté en dernière lecture à la Knesset au mois de mars 2023. Il sera à nouveau présenté devant la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, où il sera amendé de manière à y ajouter les détails qui figurent dans la nouvelle proposition.
La commission a fait savoir, de son côté, qu’elle commencera le travail visant à relancer le programme de réformes dès mercredi. Elle délibèrera, dans un premier temps, de l’opportunité de ramener le projet de loi initial devant la Commission pour de nouvelles délibérations et pour procéder à de nouveaux amendements – un vote aura lieu à l’issue des débats.
Après ces premières délibérations et lorsque le texte aura finalement été approuvé en commission, il sera soumis en séance plénière de la Knesset, où il passera les caps de la deuxième lecture et de la troisième lecture.
Le projet de loi initial de Levin avait également supprimé le système d’ancienneté en disant explicitement que le président de la Cour suprême serait choisi à la majorité simple par la Commission de sélection des juges, de sorte qu’aucun autre changement n’est ici nécessaire.