Décès de Haïm Vidal Sephiha, spécialiste du judéo-espagnol
Haïm Vidal Sephiha peut être considéré comme l’homme qui a redonné vie au judéo-espagnol, langue en voie de disparition, avant de devenir son plus grand spécialiste
Haïm Vidal Sephiha peut être considéré comme l’homme qui a redonné vie au judéo-espagnol, langue en voie de disparition. Il en est ensuite devenu son plus grand spécialiste, lui permettant d’être à nouveau étudiée. L’homme est décédé le 17 décembre dernier à l’âge de 96 ans à Boulogne-Billancourt, a rapporté le journal Le Monde, qui lui a rendu hommage.
« À travers cette disparition, c’est toute la communauté judéo-espagnole de France et du monde qui est frappée », écrit dans son article le rabbin Daniel Farhi.
Né en 1923 à Bruxelles, d’une famille judéo-espagnole venue en 1910 d’Istanbul, il a été touché par les mesures antisémites en 1941, renvoyé de ses études d’agronomie car Juif. Déporté deux ans plus tard à Auschwitz depuis le camp de Malines, en Belgique, il a perdu son père dans la Shoah, touché par le typhus alors que le camp venait d’être libéré par les Américains. La mort de sa mère en 1950 le rapprochera finalement de ses racines judéo-espagnoles.
«… Je me sentis soudain orphelin de père, de mère et d’une culture qu’ils n’avaient pu entièrement me transmettre. Je compris alors qu’il me fallait retrouver ce patrimoine culturel que les nazis n’avaient pu anéantir… C’est à 33 ans, à l’âge du Christ, que je recommençai des études », souligne-t-il, expliquant comment il a abandonné son métier de chimiste.
Après des études de linguistique et de littérature – il a étudié une dizaine de langues et obtenu nombre de diplômes –, il devient professeur d’université en judéo-espagnol une trentaine d’années plus tard, et fonde en 1982 la première chaire mondiale du judéo-espagnol à l’Inalco. Il arrivera à la Sorbonne en 1984.
Langue des Juifs expulsés d’Espagne en 1492 et de leurs descendants, composante spécifique de la communauté séfarade, le judéo-espagnol fera l’objet de nombreux ouvrages et thèses de la part de Haïm Vidal Sephiha.
« La mort dans l’âme, Juifs et Espagnols à la fois, ils emportaient avec eux toutes ces images, us et coutumes, langue, proverbes, musique, romances et contes. Ils ignoraient qu’ils constituaient ainsi un musée vivant de l’Espagne du XVe siècle, sur lequel se pencheraient plus tard philologues et sociologues », écrit le linguiste, qui a également dirigé de nombreux travaux d’étudiants sur cette langue.
Son livre le plus connu, L’Agonie des Judéo-Espagnols, a été publié en 1977. Dans son dernier ouvrage, Ma vie pour le judéo-espagnol, publié en 2015, il revient sur son parcours personnel et scientifique.
Il a fondé l’association Vidas Largas, dont le but est la défense et la promotion de la langue et de la culture judéo-espagnoles, en 1979. Il a également animé bénévolement l’émission « Muestra lingua » (« Notre langue ») sur Radio J pendant 25 ans, et créé le collectif judéo-espagnol à Auschwitz, en hommage aux 160 000 Séfarades vivant en Europe assassinés par les nazis.
« La mémoire du judéo-espagnol et celle de la Shoah sont solidaires l’une de l’autre ; ils ont voulu nous anéantir mais ils ne sont pas arrivés à détruire notre culture que nous avons reconstituée », explique-t-il.
Akadem, le campus numérique juif, l’a interviewé à plusieurs reprises, notamment ici et ici, permettant de partager avec les auditeurs sa passion du judéo-espagnol, langue qui lui doit aujourd’hui beaucoup.