Défaitistes ? Démagogues ? Electeurs ! Le droit de vote aux expatriés changerait-il la donne ?
Alors que Netanyahu veut avancer sur le vote par correspondance, les experts notent le manque de rapport de recherche sur les opinions politiques de milliers d’Israéliens qui vivent à l’étranger, et demande des restrictions pour limiter leur influence

Il y a 50 ans, dans un Israël fier et patriotique, il aurait été inimaginable de suggérer que Danny, un Israélien vivant à Berlin, et que Danny, un Israélien de Beer Sheva, auraient la même opportunité de voter aux élections générales d’Israël depuis leurs villes. Mais depuis ces années, la question du vote par correspondance, bien que profondément controversée, a été soulevée encore et encore.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a annoncé dimanche qu’il chargeait le ministre du Tourisme Yariv Levin de superviser l’élaboration d’une législation permettant aux Israéliens expatriés de voter aux élections générales depuis l’étranger. Ce n’est pas la première fois que Netanyahu avance cette initiative – en 2009, son accord de coalition avec le parti Yisraël Beitenu stipulait que la législation sur le vote par correspondance soit votée comme loi, mais l’idée n’a jamais pris.
Pendant ce temps, l’opposition à la proposition a été féroce, avec des critiques arguant que ce n’est pas sioniste et que les citoyens de l’étranger, qui n’ont pas d’intérêt dans le futur d’Israël, ne devraient pas avoir le droit de voter (bien que pendant chaque élection, des centaines d’Israéliens expatriés viennent en Israël juste pour voter et ne sont pas empêchés de le faire malgré leur résidence à l’étranger).
Plus pertinemment, des arguments ont été émis quant à l’importance numérique de la communauté expatriée, qui compte environ 500 000 personnes selon certaines estimations, qui balancerait de manière disproportionnée les huit millions de votes de la population israélienne et serait largement en faveur des partis de droite (bien que pendant le récent tollé général des « protestations laitières », les émigrants de Berlin ont été vilipendés comme des Israéliens de gauche ayant abandonné Israël pour une meilleure qualité de vie).
Si la dernière élection et ses sondages largement inexacts sont d’une quelconque indication, l’électeur israélien moyen est assez impénétrable. Mais quand il s’agit de l’expatrié israélien moyen, les experts disent qu’il n’y a pas eu de sondage clair étudiant leurs opinions politiques, les rendant encore plus énigmatiques que leurs impénétrables compatriotes du pays.
Et alors que ce que la nouvelle législation proposée contiendra n’est toujours pas clair, plusieurs experts israéliens ont exhorté à réduire l’éligibilité des électeurs de l’étranger, tout en soutenant généralement la mesure et en réduisant les effets sur la carte politique israélienne.

Profil d’un Israélien expatrié
Malgré les rapports de recherche sur leurs opinions politiques, plusieurs études israéliennes réalisées dans la dernière décennie ont conclu que les Israéliens vivant à l’étranger sont généralement plus éduqués que la population générale, viennent d’une catégorie socioprofessionnelle supérieure, et sont majoritairement laïcs et jeunes.
Selon le professeur Lilach Ben-Ari du collège Oranim, qui prévoit de poursuivre une étude sur les penchants politiques des expatriés israéliens, il n’y a pas eu à sa connaissance « d’études sérieuses » de leurs opinions, mais plutôt des « conjectures » et des « suppositions sauvages ».
« Nous ne savons rien des schémas de vote israéliens parmi nos expatriés. Nous savons qu’aux Etats-Unis au moins [où vivent plus de 60 % des expatriés israéliens], leurs schémas de vote sont similaires à ceux des juifs américains… ils tendent à voter démocrate. A partir de là, vous pourriez inférer idéologiquement pour qui ils vont voter ici, mais cela ne prédit pas nécessairement pour qui ils vont vraiment voter », dit-elle.
Le professeur Gideon Rahat, du département de sciences politiques de l’Université Hébraïque de Jérusalem, affirme que, alors qu’il n’est informé d’aucun sondage chez les Israéliens de l’étranger, il s’aventurerait à supposer que « intuitivement, beaucoup de juifs et d’Israéliens qui vivent en dehors d’Israël, quand ils entendent certaines critiques à l’étranger, peuvent légèrement glisser vers la droite – parce que les critiques sont souvent ridicules, ou non précises, ou inexactes. »
Le nombre d’Israéliens expatriés demeure imprécis, la plupart des études se basant sur les chiffres du bureau central des statistiques, qui estime grossièrement ce nombre entre 500 000 et 700 000, alors que les chiffres de la banque mondiale sont plus proches de 350 000.
Selon un rapport de 2012 de l’institut pour la politique du peuple juif commandé par le gouvernement, les chiffres du bureau central sur l’émigration incluent tous les Israéliens qui ont quitté l’État juif pour 12 mois ou plus, après être restés en Israël 90 jours ou plus.
Ils ne tiennent pas compte des Israéliens qui sont morts à l’étranger, ou des enfants nés de parents israéliens.
De plus, de nombreux Israéliens qui sont enregistrés par le bureau central comme émigrants après une ou plusieurs années à l’étranger, sont rentrés à la maison. Par exemple, le bureau central a enregistré 511 000 émigrants israéliens entre 1990 et 2013, dont 220 000 sont depuis revenus (les années qui voient le plus grand taux de départ à 27 000 ou plus sont 1993 et 2001 et 2002, avec l’éclatement de la deuxième intifada).
Le nombre significatif de juifs soviétiques qui ont emménagé en Israël au début des années 1990 avant de s’installer ailleurs complique encore les stéréotypes sur l’Israélien expatrié moyen.
Selon le bureau central, 139 600 juifs de l’ex-URSS ont quitté Israël depuis plus d’un an entre 1990 et 2013, parmi lesquels 30 000 sont rentrés (presqu’un cinquième des départs ont eu lieu en 2001-2002).
Le grand nombre d’Israéliens russophones à l’étranger a poussé le parti Yisraël Beitenu à avancer la question du vote par correspondance pour beaucoup de ses électeurs sans doute plus bellicistes (mais là encore, la recherche est insuffisante).
Selon Rahat, la question du vote par correspondance a été soulevée d’abord par des politiques de gauche et a ensuite été défendue par la droite, et « a toujours été accompagnée de théories sur ce qui pourrait aider pendant l’élection ».
Ben-Ari affirme que la discussion a été soulevée cinq ou six fois pendant la dernière décennie seulement. Et en 2012, quand le secrétaire du cabinet Zvi Hauser demanda des recommandations politiques à l’institut pour la politique du peuple juif (JPPI) sur le sujet du vote par correspondance, la polarisation du sujet fut soulignée dans le rapport.
« Les partis de gauche et de droite affirment que ce processus est une manipulation de l’autre bord dans le but d’obtenir plus de voix, écrit le JPPI. La gauche affirme que les Israéliens de l’étranger soutiennent a droite, puisqu’ils perçoivent des persécutions à l’étranger, et supposent que les émigrants ont plus de pensées de droite que le reste de la population. Au contraire, la droite se fonde la rupture [démographique] des expatriés israéliens, qui sont principalement des Israéliens très éduqués, parmi lesquels le vote de gauche est plus fréquent. »
« Pendant l’écriture de ce rapport, nous n’avons pas eu connaissance d’une étude ou de recherches substantielles qui montrerait ou prédirait le caractère des électeurs, particulièrement, comme établi, dans les premières années d’émigration. »

Comment cela doit-il être fait ?
Alors que le rôle de la nouvelle législation n’est pas clair, les think tanks israéliens et les experts ont demandé des restrictions sur l’éligibilité des votants par correspondance pour empêcher une influence politique externe démesurée sur les politiques israéliennes.
En 2012, le rapport du JPPI a évalué quatre options – maintenir le statu quo, permettre à tous les Israéliens expatriés de plus de 18 ans de voter, permettre aux expatriés qui paient des impôts de voter, et garantir ce droit seulement aux Israéliens qui sont à l’étranger depuis quatre ans ou moins.
Le rapport recommande la dernière option, notant que cela éliminerait les Israéliens qui n’ont pas l’intention de revenir, tout en donnant aux étudiants et aux autres Israéliens à l’étranger pour un court terme l’option d’accomplir leur droit démocratique.
« Le nombre potentiel d’électeurs n’est pas élevé – tout au plus deux ou trois mandats à la Knesset (mais probablement moins), et nous anticipons que leurs schémas de vote sur cette période ne seront pas très différents de ce qu’ils auraient été en Israël », est-il écrit, ajoutant que le nombre d’Israéliens éligibles tomberait quelque part entre 40 000 et 60 000.
Le rapport émet aussi un certain nombre de recommandations, y compris que les électeurs devraient se présenter en personne à un consulat israélien et qu’il leur serait demandé s’ils ont l’intention de retourner en Israël.
Similairement, le Dr Ofer Kenig de l’institut pour la démocratie israélienne soutient le vote par correspondance sur le principe, mais seulement pour les Israéliens « dont la vie est centrée sur Israël ».
Il recommande que le gouvernement limite le vote par correspondance aux Israéliens qui ont quitté le pays dans les quatre ou cinq dernières années et qui ont séjourné au moins 90 jours en Israël depuis. Les électeurs potentiels se verraient aussi demander de postuler en avance, et de se présenter en personne pour voter dans certains consulats israéliens ou d’autres institutions. A ces conditions, il estime que cela permettrait à 50 000-70 000 Israéliens, au plus, de voter.
« En supposant qu’ils viennent tous voter, et nous savons des autres pays que la participation [par correspondance] est moins forte que la participation générale… cela représenterait au plus deux sièges », prédit-il.
Kenig note également qu’en le permettant uniquement aux Israéliens qui ont quitté Israël depuis cinq ans ou moins, et dont « toutes les intentions et les objectifs sont israéliens », leurs votes seraient probablement identiques aux positions qu’ils avaient en vivant en Israël.
« A mon avis, il est temps que nous rejoignons la majorité des pays du monde qui permettent à leurs citoyens de l’étranger de voter. Je pense qu’il est quelque part injuste que l’Etat autorise les assassins et les violeurs en prison à exercer leurs droits démocratiques, alors que quelqu’un qui est parti faire un doctorat à l’étranger, ou une famille qui s’est installée pour travailler à court terme dans une entreprise hi-tech, ne puissent pas voter », dit-il, ajoutant qu’il est opposé à l’idée de laisser voter aux élections générales tous les Israéliens de l’étranger.
Rahat est d’accord, disant qu’il soutient le vote par correspondance, mais seulement pour les Israéliens qui vivent à l’étranger temporairement.
Il pointe aussi les contraintes techniques, notamment qu’Israël n’a pas de système de vote par correspondance par courrier ou internet en place, et qu’il est peu probable que ce type de changement soit mis en place dans un futur proche. Le fait que ces Israéliens expatriés devront prendre sur le temps de travail et se présenter en personne réduira probablement le nombre de votants, a-t-il ajouté.
« Peu de gens vont faire ce genre d’efforts. En d’autres termes, si d’abord nous limitons le vote aux personnes dont les vies sont centrées sur Israël, et, qu’ensuite les gens doivent se présenter en personne [pour voter] dans les ambassades israéliennes ou d’autres bureaux de vote ouverts [pour ceci] – nous ne parlons pas de plus d’un ou deux sièges [à la Knesset] », a-t-il ajouté.
Ben-Ari, pendant ce temps, qui n’a soutenu aucune de ces restrictions, si ce n’est peut-être une rapide étude pour déterminer la familiarité des électeurs avec la politique israélienne, rabaisse aussi les effets de ce vote en notant que parmi les diplomates et travailleurs consulaires à l’étranger – les seuls Israéliens en dehors d’Israël autorisés à voter – le taux de participation est en-dessous de 50 %.
« Même pour les élections à la Knesset parmi les travailleurs consulaires, même ici le taux de participation est en-dessous de 50 %. Alors d’autant plus, l’Israélien moyen et certainement ses enfants ne vont pas faire des milliers de kilomètres [vers un consulat israélien] pour voter. Donc je supposerai grossièrement que, parmi les 350 000 Israéliens qui vivent en diaspora, un très faible pourcentage exercera son droit de vote ».
Selon le rapport du JPPI, le taux de vote par correspondance dans les plus de 100 pays qui le permettent est généralement sous les 30 % (avec certaines exceptions, comme les élections grecques de 2004, où 74,9 % des expatriés ont voté).
Un changement d’attitude envers les expatriés ?
Israël a une longue histoire de ressentiment envers ses yordim, un terme péjoratif pour les expatriés qui « descendent » du pays, dans ce qui est vu comme une trahison au rêve sioniste. Mais selon Ben-Ari, cet antagonisme culturel se dissipe doucement, comme observé dans la question du vote par correspondance.
« Dans les 10-15 dernières années, l’approche des Israéliens émigrant à l’étranger a changé. La condamnation est devenue plus précautionneuse – ce n’est pas qu’elle n’existe pas, mais elle a diminué, dit-elle. Dans le même temps, les gens cherchent par tous les moyens à rester en contact ou à renouveler ces contacts avec les Israéliens et leur descendance vivant à l’étranger. »
Mais, alors qu’elle soutient le vote par correspondance, Ben-Ari est sceptique sur le fait que les Israéliens de l’étranger sont impatients de voter comme les Israéliens qu’ils pensent être.
« Tous les Israéliens ne gardent pas des liens étroits et un sentiment d’implication sur ce qui se passe en Israël. C’est vrai pour la première génération qui a émigré, la connexion à Israël est très forte. Mais… aujourd’hui il y a une deuxième génération, et même le commencement d’une troisième, et la distance fait son travail. Et beaucoup de ces Israéliens ne sont pas impliqués et pas intéressés par ce qu’il se passe en Israël, dit-elle. Tout le monde n’est pas impatient, comme nous semblons le penser ici en Israël, d’exercer une influence et de faire l’effort de voter. »
La question du vote par correspondance est soulevée tous les ans et demi, deux ans, et ne jouit toujours pas d’un soutien transpartisan, dit-elle.
« Cette question revient tout le temps. Parce qu’elle est si explosive en Israël, parce qu’il y a toujours des réminiscences [d’une attitude de] ‘ceux qui ont émigré d’Israël sont des traîtres.’ [Et] s’ils ont trahi, ils ne peuvent pas être autorisés à voter. » « Cela revient tout le temps, et mon avis est que finalement, cela arrivera ».
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