Des coquilles d’œufs de poule vieilles de 2 600 ans reconstituées à Jérusalem
La reconstitution high-tech de ces coquilles - preuve que les œufs de poule étaient mangés en Terre sainte - pourrait impacter les quantités de matzah dégustées à Pessah
Amanda Borschel-Dan édite la rubrique « Le Monde Juif »
Il faut à une poule 26 heures pour pondre un œuf – mais il aura fallu 10 ans aux archéologues pour classer le dossier des coquilles d’œufs vieilles de 2 600 ans. Jusqu’à présent, la poule antique avait précédé l’œuf : seuls des ossements du volatile avaient été retrouvés lors de fouilles et ces coquilles sont la toute première preuve de la présence de l’œuf dans la régime des habitants de la Terre sainte, estime le professeur Zohar Amar, du département Martin (Szusz) d’Etudes et d’archéologie de la terre d’Israël à l’université de Bar-Ilan.
Contrairement à ce qui est arrivé au Humpty Dumpty de Lewis Carroll, les coquilles ont été réassemblées avec succès – et grâce à l’utilisation de la modélisation virtuelle en 3D. Les implications des mesures recueillies sur cet œuf antique récemment visualisé pourraient bien changer certains concepts de la halakha (loi juive), selon une recherche effectuée par l’université de Bar-Ilan juste avant que ne débute la fête de Pessah.
Pendant des siècles, les spécialistes de la halakha, et ce depuis le début de la Mishnah (une codification de la loi orale datant du 3e siècle après l’ère commune) ont convenu de la quantité de matzah (pain sans levain) à consommer pendant le premier repas de fête de Pessah, le seder. Cette exigence a été présentée sur la base du kazayit, ou la taille d’une olive.
Toutefois, le temps passant, des spécialistes européens peu familiers avec le fruit de l’olivier ont développé un système de contournement basé sur le kebaitza – ou la taille de l’œuf. Jusqu’à présent, les Juifs lituaniens vivant en Israël suivent la règle du Mishna Berura (du rabbin Yisrael Meir Kagan, 1838–1933) et du Chazon Ish (du rabbin Avraham Yeshaya Karelitz, 1878-1953) – qui établit que la taille d’une olive représente la moitié ou un tiers du volume d’un œuf antique.
Mais quelle était donc la taille d’un œuf de poule antique ?
Il y a environ une décennie, une archéologue, Eilat Mazar, avait découvert un trésor constitué de centaines de morceaux de coquille d’œufs durant des fouilles réalisées dans une structure datant de la fin du Premier temple, dans la zone G de la cité de David. Ces morceaux avaient été confiés au chef du laboratoire d’archéo-zoologie de l’Université de Haïfa, le professeur Guy Bar-Oz, qui avait confirmé qu’il s’agissait d’œufs de poule. En raison de leur fragilité et de leur délicatesse, trouver des coquilles d’œufs est rare. Il s’agissait de la première trace d’œufs de poule en Terre sainte.
Toutefois, les coquilles devaient rester dans l’ombre jusqu’à une recherche récente dirigée par Amar qui en a présenté les résultats en amont d’une prochaine conférence archéologique à l’université Bar-Ilan consacrée à la nature et à l’agriculture dans l’Israël biblique.
De manière intéressante, le mot hébreu désignant la poule – tarnegol – n’apparaît pas dans la Bible. Le mot provient du sumérien antique, où il signifiait littéralement « l’oiseau du roi ». A l’époque talmudique, une espèce de volaille appelée sekhvi dans le livre de Job – qui aurait été écrit aux alentours du 6e siècle avant l’ère commune, une date proche de la ponte des œufs antiques de la cité de David – aurait été la poule, selon des rabbins.
Amar a expliqué dimanche au Times of Israel qu’après avoir reçu les coquilles des mains de Bar-Oz, il s’était mis en quête d’un moyen d’assembler les pièces. Entendant parler d’une nouvelle technologie développée par l’Autorité israélienne des antiquités pour revisualiser des poteries à partir de quelques morceaux indicatifs, il est entré en contact avec le docteur Avshalom Karasik qui a mis au point le nouvel algorithme.
Adoptant l’hypothèse que si le programme avait été capable de prendre plusieurs gros morceaux de poterie et de reconstruire un récipient à partir de ces derniers, Amar s’est dit que – peut-être – il pourrait faire la même chose avec ses coquilles d’œufs.
Amar en a donc sélectionné quatre gros fragments, et la reconstruction virtuelle de Karasik a permis de déterminer qu’ils venaient tous du même œuf. Ses dimensions correspondent à celles de l’œuf moderne moyen.
La taille d’un œuf antique était de 50 millimètres, son diamètre maximum de 40 millimètres et le poids total, avec la coquille, était de 61 grammes, selon un communiqué de Bar-Ilan (Amar précise que l’étude présente une marge d’erreur d’environ 5 %).
La tailles des œufs de poules peut varier selon ce qu’elles mangent et leur état de santé mais,à titre de comparaison, les classifications modernes des œufs présentent vont de 42 grammes (petits), à 57 grammes (gros) et même 75 grammes (très gros). (NB : la couleur d’une coquille d’œuf est déterminée par celle de la couleur de la poule).
Les 61 grammes de l’œuf antique se situent bien dans la moyenne des œufs modernes, et il n’y a donc aucune raison de doubler la quantité de matzah en pensant que les œufs d’autrefois étaient bien plus gros.
Interrogé sur la possibilité que cette découverte affecte sa pratique religieuse, vendredi soir, et sa consommation de matzah, Amar a éclaté de rire et déclaré que ce ne serait pas le cas – sa tradition yéménite étant très proche de la taille de l’œuf moderne.
Ce sont les Lituaniens qui pourraient être les plus touchés, a-t-il expliqué, parce qu’ils estiment que l’œuf antique était de deux fois la taille du moderne. Riant encore, il a ajouté que sa recherche n’influerait probablement pas leurs pratiques religieuses.
« Je ne suis pas convaincu qu’ils changent la halakha en fonction de ce qu’ils lisent dans le journal », a dit Amar.