Des Juifs de Moscou dépités mais « pas surpris » par l’assaut anti-Israël à l’aéroport
Le chef des orthodoxes russes a estimé que l'assaut était "une tentative de semer la discorde" entre musulmans et Juifs de Russie
Après l’assaut d’un aéroport en Russie par une foule à la recherche d’Israéliens, des juifs de Moscou parlent d’une douleur, d’autres d’un événement peu surprenant, en pleines tensions suscitées par le conflit entre Israël et le Hamas.
Dimanche soir, des dizaines d’hommes ont fait irruption dans l’aéroport de Makhatchkala, la capitale du Daguestan, une région russe en majorité peuplée de musulmans située dans le Caucase.
Pendant plusieurs heures, ils ont cherché, en vain, les passagers d’un avion arrivé de Tel-Aviv. Comme en attestant des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, certains scandaient « Allah Akbar ! » et d’autres arboraient des drapeaux palestiniens.
La police locale a affirmé pendant la nuit avoir repris le contrôle de l’aéroport, puis avoir interpellé 60 personnes soupçonnées d’avoir participé à l’attaque. Au moins neuf policiers ont été blessés dans des heurts avec les manifestants.
Lundi, devant la Synagogue Chorale de la capitale russe, sous une pluie glaciale, Shulamit, une institutrice de 23 ans travaillant dans une école juive, estime que les assaillants sont « des gens qui ne savent pas et ne comprennent pas grand-chose ».
« Beaucoup de gens essayent de semer la haine et l’inimitié dans la société russe », se désole-t-elle. « Le plus important est qu’on ne cède pas à cela et qu’on reste des êtres humains ».
« C’était très désagréable, c’est douloureux, on ne veut pas que ce genre de provocations aient lieu, on ne veut pas que des gens qui ne savent pas grand-chose soient utilisés pour faire de mauvaises choses », dit-elle encore.
« Notre maison commune »
Derrière la jeune femme brune, un fourgon de la police russe est garé à l’entrée de la synagogue pour en assurer la sécurité. Des groupes d’enfants de l’école juive entrent et sortent pour aller en récréation, accompagnés de leurs professeurs.
Dans le parc en face, Josef, un instituteur de 35 ans, kippa sur la tête, surveille un groupe d’écoliers. « Cela fait peur évidemment », réagit-il, au milieu de cris d’enfants en train de jouer.
Cette attaque écorne le discours officiel du Kremlin, qui s’enorgueillit régulièrement d’assurer et de défendre la tolérance entre les ethnies et les confessions de Russie, un pays multiethnique où vivent environ 20 millions de musulmans et 150 000 juifs.
La diplomatie russe a accusé lundi Kiev d’avoir joué « un rôle-clé » dans l’assaut de l’aéroport, peu après que le Kremlin eut parlé d' »ingérence extérieure » pour expliquer les événements.
Le principal dirigeant du Daguestan avait, quant à lui, affirmé qu’une chaîne Telegram critique des autorités locales, « Outro Daguestan », était administrée d’Ukraine par des « traîtres ».
Cette chaîne, suivie par environ 60 000 personnes, avait partagé un appel à se rassembler à l’aéroport de Makhatchkala dimanche soir, disant vouloir empêcher l’arrivée de passagers « indésirables » de l’avion du vol Red Wings en provenance de Tel-Aviv.
« Il y a cette hypothèse des services ukrainiens mais personne ne sait vraiment, il y a plein d’informations différentes », réagit Shulamit, l’employée de l’école juive.
L’administrateur de la Synagogue Chorale de Moscou, Ariel Razbegaïev, 37 ans, dit quant à lui être pour « la paix » entre les différentes communautés de Russie. « Des évènements politiques ne doivent pas enflammer notre maison commune ».
Il admet toutefois, avec un sourire, ne pas avoir été surpris, en 2023, d’un événement à ses yeux « auquel on pouvait s’attendre ».
« Semer la discorde » entre musulmans et Juifs de Russie
Le chef des orthodoxes russes, le patriarche Kirill, a estimé lundi que l’assaut, la veille, d’un aéroport de la république caucasienne russe du Daguestan, en majorité musulmane, était « une tentative de semer la discorde » entre musulmans et Juifs de Russie, en plein conflit entre Israël et le Hamas.
« Je considère ce qui s’est passé comme une tentative de semer la discorde entre les musulmans et les Juifs de Russie, qui entretiennent de bonnes relations d’amitié et de coopération depuis des siècles », a déclaré dans un communiqué le patriarche Kirill, un fervent soutien du président Vladimir Poutine.
« Il n’y a aucune justification morale pour ceux qui ont planifié l’attaque contre des innocents se rendant au Daguestan : (ces derniers) ne sont pas et ne peuvent pas être responsables de ce qui se passe au Moyen-Orient », a-t-il ajouté.
Plus tôt lundi, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, avait assuré que ces heurts au Daguestan étaient « en grande partie le résultat d’une ingérence extérieure, y compris d’informations extérieures ».
Il n’avait pas précisé qui serait responsable de cette « ingérence » supposée mais le principal dirigeant du Daguestan avait, plus tôt, pointé du doigt l’Ukraine.
Sans avancer de preuves ni de noms, le patriarche Kirill a, quant à lui, dit « ne pas douter que les forces qui ne reculent devant rien pour provoquer des troubles dans notre pays ont participé à la provocation de cet incident », qu’il voit comme « une tentative de transposer la confrontation (entre Israël et le Hamas, NDLR) qui nous est étrangère sur notre terre ».
Et s’il s’est dit « attristé » par l’assaut de l’aéroport, il a aussi « exprimé (son) soutien aux dirigeants islamiques qui ont appelé à la fin des troubles ».