Des Juifs demandent que d’autres Juifs n’entonnent plus leurs chants lors de manifestations
Le rabbin Menachem Creditor et Shoshana Jedwab font partie des artistes qui ne veulent pas que des groupes anti-sionistes, tels que IfNotNow, utilisent leurs œuvres
JTA – Lorsque le groupe juif IfNotNow a demandé à l’éducatrice et musicienne Shoshana Jedwab s’il pouvait inclure sa chanson « Where You Go » dans son recueil de chansons, Jedwab a prudemment accepté.
Nous étions en 2018 et la chanson, que Jedwab avait officiellement publiée à l’occasion du premier anniversaire de l’interdiction de voyager dans les pays à majorité musulmane décrétée par le président américain de l’époque, Donald Trump, avait pris en popularité lors de manifestations progressistes.
Les paroles s’adaptaient facilement aux questions les plus urgentes du moment, notamment l’immigration, les droits des femmes et les droits des autochtones – autant de questions auxquelles IfNotNow, qui avait été fondé en 2014 pour inciter les Juifs américains à critiquer plus durement Israël, élargissait son champ d’action pour s’y attaquer. Jedwab savait qu’IfNotNow était plus à gauche qu’elle sur les questions liées à Israël, mais elle a décidé de leur donner son accord malgré tout.
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« Je me suis dit qu’il fallait que je m’ouvre, que je sois plus courageuse, que je tende la main et que je donne ma bénédiction aux personnes qui investissent de l’énergie dans le mouvement contre l’occupation », a-t-elle déclaré. « J’avais mon père à l’oreille, un survivant de la Shoah et un ex-Palmachnik qui regardait l’occupation en Cisjordanie et disait que c’était une honte. Que c’était une honte, que nous ne pouvions pas être des occupants. C’est pourquoi je l’ai fait. »
Cinq ans plus tard, Jedwab a changé d’avis. Elle a récemment demandé à IfNotNow de retirer « Where You Go » de son répertoire. L’élément déclencheur de ce revirement, selon elle, a été l’affirmation du groupe selon laquelle Israël commet un « génocide » dans sa guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza. Sa chanson a été entonnée lors de certaines manifestations pour clamer cette accusation.
« Je leur ai donné mon accord. Je leur ai fait confiance », a-t-elle déclaré à la Jewish Telegraphic Agency. « Cela me brise le cœur de penser que cette organisation, qui pense faire le bien, met des Juifs en danger en clamant un mensonge, un mensonge incroyablement dangereux. »
Jedwab n’est pas la seule musicienne juive à demander à IfNotNow de cesser d’utiliser ses chansons à la suite de l’attaque du Hamas contre Israël, le 7 octobre, qui a tué plus de 1 200 personnes – pour la plupart des civils – pris des centaines d’otages et déclenché la guerre actuelle.
Le rabbin Menachem Creditor a déclaré sur les réseaux sociaux au cours du week-end qu’il désavouait l’utilisation par le groupe de sa chanson « Olam Chesed Yibaneh », citant son accusation de génocide et son alignement sur Jewish Voice for Peace, un groupe ouvertement anti-sioniste.
« J’ai longtemps lutté contre l’utilisation de ma chanson par IfNotNow et je voulais leur donner toutes les chances de s’exprimer avec un regard juif différent », a déclaré Creditor à la JTA. « Mais encore et toujours, ils se sont effectivement détachés de notre peuple et agissent d’une manière qui sera destructrice pour le peuple juif et l’État d’Israël. »
En demandant à IfNotNow de cesser d’utiliser leurs œuvres, les musiciens s’inspirent de Sting, Bruce Springsteen et R.E.M., qui ont tous interdit à des hommes politiques de jouer leurs chansons lors de rassemblements.
Les musiciens juifs ouvrent également une voie sur une réorganisation spectaculaire au sein de la gauche juive progressiste depuis le 7 octobre, car certains Juifs progressistes ont réalisé qu’en dépit du fait qu’ils partagent une vision avec les membres des groupes juifs d’extrême-gauche sur de nombreuses questions sociales, leurs divergences d’opinion sur Israël ressemblent désormais à un fossé infranchissable.
IfNotNow représente un incubateur notable de ces tensions en raison de sa position à l’intersection de l’expression juive et de la politique progressiste. Le groupe a été fondé au cours de la dernière grande guerre à Gaza par de jeunes Juifs qui se disaient insatisfaits de ce qu’ils avaient appris sur Israël dans leurs écoles juives et leurs camps d’été. Ses activités s’inspirent depuis longtemps de rituels et d’objets juifs et les mettent en scène.
Comme Jedwab, Creditor, aujourd’hui rabbin en résidence à l’UJA-Federation of New York, avait exprimé son admiration pour l’utilisation de son œuvre par IfNotNow dans le passé, même s’il n’approuvait pas sa vision d’Israël. En 2016, il avait écrit sur Facebook qu’il avait été inspiré par le groupe alors qu’il protestait contre la nomination par Trump de Steve Bannon, précédemment président du site d’information de droite radicale Breitbart, en tant que stratège en chef.
« Le fait que leur marche retransmise en direct sur les bureaux du parti républicain à Boston les ait fait chanter mon ‘Olam Chesed Yibaneh’ est, peut-être, ce qu’il y a de plus gratifiant », écrivait-il à l’époque. Le titre de la chanson signifie « Le monde est construit sur la bonté » et est tiré du Psaume 89.
Outre « Olam Chesed Yibaneh » et « Where You Go », IfNotNow récite également la prière du Kaddish et chante des chansons juives traditionnelles telles que « Lo Yisa Goy« , basée sur un passage biblique avec un message anti-guerre, lors de ses rassemblements. D’autres actions ont mis en avant des talit – ou châles de prière juifs – ou le shofar – la corne de bélier que l’on souffle pendant les fêtes du Nouvel an juif.
« Se tourner vers les rituels et les chants est l’une des choses les plus fondamentales et les plus anciennes que font les Juifs », a déclaré Ilana Lerman, qui a participé à l’élaboration du recueil de chants IfNotNow, dans lequel figure la chanson de Jedwab. « Il s’agit d’une technique très ancienne et brillante : nous utilisons le chant et le rituel pour appeler les gens, pour pleurer, pour louer, pour agir, pour se joindre à la solidarité, pour apprendre, pour marquer le temps. Ce sont toutes des choses que nous allons vouloir faire ensemble en tant que mouvement. »
IfNotNow a dit à Jedwab qu’il retirerait sa chanson de son répertoire à l’avenir, a souligné l’auteure-compositrice, qui enseigne également les études juives à l’École Abraham Joshua Heschel à New York. Mais elle a indiqué que des amis lui ont fait savoir que « Where You Go » était toujours chantée lors des rassemblements du groupe. La porte-parole nationale du groupe, Eva Borgwardt, a refusé dimanche de répondre à des questions sur l’intention du groupe de limiter « Olam Chesed Yibaneh », que Creditor avait écrite après le 11 septembre.
« Nous voulons construire un monde d’amour et de paix, où ni les Palestiniens ni les Israéliens n’auraient à craindre pour leur vie. Nous ne pouvons pas construire un monde d’amour en multipliant les bombardements et les morts », a déclaré Borgwardt dans un communiqué.
« Nous continuerons à appeler au cessez-le-feu, à la libération de tous les otages, à la désescalade et au traitement des causes profondes qui nous ont amenés ici. Et nous sommes fiers de nous appuyer sur la riche tradition juive qui nous a donné les mots du Psaume 89:3 », a-t-elle ajouté.
Lerman a déclaré mardi qu’elle pensait avoir compris que le groupe cesserait d’utiliser les chansons de Jedwab et de Creditor dans ses actions nationales. Mais elle a ajouté que cela pourrait prendre un certain temps avant que les chansons ne disparaissent complètement – parce qu’elles ont été des piliers de l’activisme d’IfNotNow jusqu’à présent, et que cela pourrait prendre un certain temps avant que les branches locales ne comprennent le message.
« Nous allons assurément donner suite à leur demande », a-t-elle déclaré. « Nous n’entonnerons plus leur chanson. Et nous en sommes vraiment tristes, parce que les messages de leur chansons proviennent vraiment de la partie du judaïsme axée sur l’amour et non sur la vengeance. »
Creditor a indiqué qu’il avait reçu des offres d’assistance juridique bénévole pour faire pression sur IfNotNow afin qu’il donne suite à sa demande, mais il n’est pas intéressé.
« Je pense que cela prend trop d’ampleur alors que je veux simplement qu’ils arrêtent », a-t-il déclaré. « S’ils ont une intégrité spirituelle, ils respecteront mes souhaits. »
Certains détracteurs d’IfNotNow et de Jewish Voice for Peace sont allés beaucoup plus loin, annonçant ces dernières semaines qu’ils ne considéraient plus les membres de ces groupes comme Juifs. Avi Mayer, rédacteur en chef du Jerusalem Post, l’a affirmé dans une chronique la semaine dernière, citant un message publié le 27 octobre sur X, par Dan Elbaum, le directeur nord-américain de l’Agence juive pour Israël.
En déclarant qu’il « parlait des Juifs américains qui traitent les Israéliens de nazis et les accusent de génocide – en sachant parfaitement et même en savourant le caractère blessant de ces termes », Elbaum a spécifiquement visé les membres d’IfNotNow et de Jewish Voice for Peace.
« Je suis arrivé à une triste conclusion. Même si je ne veux renoncer à aucun Juif, les concernant, j’ai renoncé. Pour moi, ils méritent le ‘cherem’ [exclusion formelle du peuple juif] », a écrit Elbaum, ajoutant : « Contrairement au Hamas qui les aurait joyeusement assassinés le 7 octobre, je ne les considère pas comme des Juifs. »
Creditor a partagé le message d’Elbaum en écrivant : « J’ai du chagrin en ajoutant mon amen à cette conclusion triste mais nécessaire ». Mais il a déclaré à la JTA qu’il n’irait pas en réalité aussi loin qu’Elbaum ou Mayer.
« Je ferai une distinction entre IfNotNow et leurs membres « , a-t-il déclaré. « Je ne suis pas prêt à dire qu’ils ne sont pas Juifs. Mais ce qu’ils font est anti-juif. »
Ce type de raisonnement est une « tendance malheureuse » qui a émergé en cette période de réalignement politique, a déclaré la rabbin Miriam Grossman de la synagogue Kolot Chayeinu de Brooklyn, qui a participé aux rassemblements de IfNotNow.
« Les dirigeants juifs, parfois des rabbins et parfois des organisations, disent que divers éléments de la vie juive ne sont plus utilisables ou ne sont plus de bonne guerre entre les mains des Juifs qui s’organisent et appellent à un cessez-le-feu », a-t-elle déclaré.
« En tant que rabbin, je tiens à exprimer publiquement mon désaccord avec ces propos », a déclaré Grossman, ajoutant à propos des manifestants d’IfNotNow : « Ils disent clairement qu’ils sont fiers de leur judaïsme. Ils veulent se montrer dans la communauté juive et se battre pour la vie ensemble (…). Et cela m’attriste quand les gens regardent ça et se disent que ce n’est pas [digne d’un] Juif. »
Les rassemblements en faveur d’Israël et de sa réponse au 7 octobre ont également comporté des chansons juives, la plus fréquente étant « Am Yisrael Chaï », écrite par Shlomo Carlebach en 1965 pour le mouvement de libération des Juifs soviétiques. (Creditor est marié à la fille de Carlebach, Neshama, elle-même auteure-compositrice juive qui a interprété « Olam Chesed Yibaneh » dans des lieux aussi variés qu’Auschwitz, le Japon et un concert à la mémoire de son père).
Creditor et Jedwab ont tous deux reconnu qu’ils ne pouvaient pas renoncer à leurs chansons.
« Je ne demande pas aux gens de ne pas les chanter. Je crois que le cœur des gens est fondamentalement bon », a déclaré Jedwab à propos de « Where You Go ». « Mais je ne peux pas tolérer que cette organisation utilise officiellement ma chanson. »
« Il est difficile de contrôler l’utilisation de votre art lorsqu’il a déjà été créé », a déclaré Creditor. « Mais ce qui me blesse le plus, c’est de voir ma chanson utilisée comme une arme contre le cœur de ma propre famille. »
Selon Lerman, même si « Olam Chesed Yibaneh » et « Where You Go » sont peu à peu abandonnées, d’autres chansons prendront leur place.
À chaque manifestation, dit-elle, certains membres d’IfNotNow sont chargés de diriger les chants – dont 40 lors de la récente manifestation au Capitole, où de nombreux manifestants ont été arrêtés. Leur but, dit-elle, est de faire durer les chants aussi longtemps que dure le rassemblement.
« We Rise », une nouvelle chanson de la musicienne Batya Levine, a fait partie des rassemblements de Jewish Voice for Peace et de IfNotNow, et a été chantée dans la rotonde du Capitole. (Levine, qui a enseigné la chanson lors d’événements organisés par Jewish Voice for Peace, n’a pas répondu à la demande de commentaire de la JTA). « Ceasefire Now », une chanson en deux mots de Sol Weiss, a également gagné en popularité au cours du mois dernier.
« La nouvelle musique naît dans les moments qui appellent à la nouvelle musique », a déclaré Lerman.
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