Écarter des responsables gênants : Netanyahu peut-il renvoyer la procureure-générale, le chef d’état-major ou le chef du Shin Bet ?
Le Premier ministre nie avoir l'intention de limoger les chefs de l'armée israélienne et du Shin Bet, même si cela serait assez simple - le gouvernement est en conflit ouvert avec l'avocate générale Baharav-Miara, mais il serait plus complexe de l'évincer
Dans des propos récents qui ont semblé être de sinistre augure, le Premier ministre Benjamin Netanyahu s’est laissé aller, la semaine dernière, à faire part de sa frustration croissante face « à la relation conflictuelle », a-t-il dit, de la relation que la procureure-générale Gali Baharav-Miara entretient avec le gouvernement et il a demandé au ministre de la Justice, Yariv Levin, de trouver « une solution » au problème.
Lors d’une réunion du cabinet, le Premier ministre aurait accusé Baharav-Miara de « causer une crise constitutionnelle » en réclamant le renvoi du ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite Itamar Ben Gvir, mis en cause pour ses diverses interventions dans le travail de la police, des interventions dont la nature est pourtant interdite par la Haute-cour de Justice.
Les paroles de Netanyahu ont reflété la profonde amertume qu’il ressent – et que ressent aussi son gouvernement – à l’égard de la procureure-générale, qui s’est opposée de manière répétée à des décisions qui ont pu être prises par la coalition et à des actions qui ont été entreprises par cette dernière depuis son arrivée au pouvoir. Plusieurs ministres ont appelé à son renvoi.
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Parallèlement au récent limogeage du ministre de la Défense, Yoav Gallant, et aux mesures disciplinaires prises à l’encontre de députés de la coalition – coupables d’avoir défié la volonté du gouvernement de faire adopter, coûte que coûte, une loi qui ancrerait dans le marbre l’exemption du service militaire en direction des hommes ultra-orthodoxes – les propos critiques du Premier ministre à l’égard de la procureure-générale pourraient laisser présager un nouveau nettoyage de printemps dans la maison Israël.
Une impression qui se renforce au vu des informations – démenties par le Premier ministre – qui ont laissé entendre qu’il envisageait de congédier le chef d’état-major de Tsahal, Herzi Halevi, et le responsable de l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet, Ronen Bar.
Une initiative prise à l’encontre de la procureure-générale – l’une des gardiennes du système judiciaire indépendant – ainsi qu’à l’encontre de ceux qui se trouvent à la tête de l’establishment sécuritaire activerait toutefois le signal d’alarme. Elle alerterait du grignotage, par des politiques ambitieux, des institutions les plus déterminantes et de l’État de droit israéliens.
Dans son plan de refonte radicale du système de la justice – un projet qui avait ébranlé le pays pendant toute la première moitié de l’année 2023 – le gouvernement avait cherché à prendre le contrôle presque total du système judiciaire et juridique du pays, qui est considéré comme le seul contre-pouvoir face à l’exécutif en Israël.
Si les législations radicales qui étaient au programme de la refonte ont depuis été suspendues, gelées ou rejetées par la Haute-cour de justice, la coalition – et le ministre de la Justice Yariv Levin en particulier – ont continué leurs attaques incessantes contre l’establishment judiciaire.
Au vu des paroles inquiétantes de Netanyahu sur la nécessité de trouver « une solution » au problème posé par la procureure générale, il n’est pas impossible qu’il cherche à la congédier – ce que demandaient par ailleurs certains ministres comme David Amsalem et Shlomo Karhi, qui appartiennent tous les deux au Likud.
De la même manière, Halevi et Bar ont tous les deux fait l’objet d’attaques répétées de la part des ministres. Netanyahu, de son côté, accuse les services de sécurité d’avoir failli en amont du pogrom qui avait été commis par le Hamas, le 7 octobre 2023, refusant obstinément d’assumer pour lui-même ne serait-ce qu’une infime part de responsabilité. Dans ce contexte, leur renvoi ne semble pas être une initiative totalement irréaliste.
Mais comment Netanyahu et son gouvernement pourraient-ils se débarrasser de ces responsables gênants, s’ils devaient le souhaiter ?
En commission : Le limogeage de la procureure-générale
Le renvoi de la procureure-générale serait, sans aucun doute, le plus délicat et le plus difficile à obtenir parmi les trois hauts-responsables qui sont actuellement dans le viseur de la coalition.
Les règles relatives à la désignation et au licenciement d’un procureur-général – l’avocat du gouvernement qui est aussi son conseiller juridique – sont énoncées dans une résolution gouvernementale qui avait été adoptée en l’an 2000.
Cette résolution avait décidé de la création d’une commission publique de cinq membres, qui est responsable de la nomination du procureur-général. Une commission qui est également appelée à jouer un rôle déterminant dans la procédure de renvoi si un gouvernement est amené à s’engager dans cette voie.
Cette commission est composée d’un ancien juge de la Cour suprême choisi par le président du prestigieux tribunal avec l’accord du ministre de la Justice ; d’un ancien ministre de la Justice ou procureur-général choisi par le gouvernement, d’un député choisi par la Commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset (actuellement présidée par Simcha Rothman, député de la faction Hatzionout HaDatit), d’un représentant de l’Association du barreau israélien (IBA) et d’un professeur de droit choisi par les doyens des facultés de droit des universités israéliennes.
Le panel reste en place même après la nomination d’un procureur-général. Les membres qui se trouvent dans l’incapacité de continuer à y siéger sont remplacés quand cela s’avère nécessaire.
Le chef de la commission est actuellement l’ancien président de la Cour suprême Asher Grunis, et il avait ainsi supervisé la sélection de Baharav-Miara en 2022, sous le gouvernement Bennett-Lapid. Le ministre de la Justice de l’époque, Gideon Saar (qui a récemment été désigné ministre des Affaires étrangères) avait fortement soutenu la candidature de cette dernière.
Il manque actuellement, au sein du panel, un ancien ministre de la Justice ou un ancien procureur-général, ainsi qu’un député en exercice – le gouvernement pourra désigner ces nouveaux membres. Le représentant des facultés de droit israéliennes est le professeur Ron Shapira, et le représentant de l’IBA est Tami Ulman.
Shapira est un universitaire conservateur qui avait soutenu, en partie, le plan de refonte du système judiciaire avancé par le gouvernement. Il a aussi estimé qu’il n’était pas nécessaire de créer une commission d’enquête chargée d’examiner les échecs qui avaient entraîné le pogrom du Hamas, le 7 octobre. Il a également été nommé par le gouvernement pour représenter Israël parmi les juges officiant à la Cour internationale de justice de La Haye.
Si Shapira devait se montrer sensible aux arguments avancés contre Baharav-Miara, cela signifierait qu’il pourrait y avoir une majorité de trois contre deux au sein du panel pour soutenir sa révocation.
Il faut également noter que Grunis s’était opposé à la nomination de Baharav-Miara lorsqu’elle avait été choisie par le gouvernement précédent, déclarant qu’elle n’était pas qualifiée pour le poste, selon des informations qui avaient filtré un an après l’arrivée de la procureure-générale à ses fonctions.
Une cause appropriée
Le gouvernement n’est en droit de remplacer un procureur-général que pour quatre raisons, dont trois concernent l’aptitude et la capacité de l’intéressé à exercer ses fonctions.
L’autre critère est de savoir s’il existe « des divergences d’opinion substantielles et permanentes entre le gouvernement et le procureur-général qui créent une situation empêchant une coopération efficace ».
Baharav-Miara s’est opposée au positionnement du gouvernement et à celui des ministres sur de nombreux sujets, et elle a émis des instructions qui ont causé d’innombrables maux de tête à l’administration. Le gouvernement pourrait donc être en mesure d’établir qu’il existe des motifs suffisants pour mettre fin à son maintien au poste sur la base de ces considérations.
Pour ce faire, le ministre de la Justice devra d’abord transmettre par écrit à la commission publique les objections du gouvernement concernant la procureure-générale.
La commission devra ensuite accorder à la procureure-générale une audience où elle pourra faire part de son positionnement, la commission transmettant ensuite ses recommandations au gouvernement concernant la nécessité – ou non – de la renvoyer.
Avant de prendre une décision finale, le gouvernement devra également entendre la procureure-générale.
Le gouvernement n’est pas, par ailleurs, tenu de suivre la recommandation faite par la commission.
Toutefois, si la commission devait recommander de ne pas licencier Baharav-Miara, il serait probablement plus difficile de la démettre de ses fonctions, note Guy Lurie, qui est chercheur à l’Institut israélien de la démocratie (IDI).
« Le droit administratif israélien stipule que ce type de recommandations professionnelles émanant de commissions officielles ne doit pas être ignoré à la légère », explique-t-il. « La décision prise par la commission a beaucoup de poids dans le droit administratif ».
Le rejet de la recommandation de la commission pourrait aussi donner plus de pertinence aux inévitables requêtes qui seraient déposées auprès de la Haute-Cour contre le renvoi de la procureure-générale et le gouvernement devrait faire valoir « une raison impérieuse » de la démettre de ses fonctions pour que la décision tienne devant un tribunal, ajoute Lurie.
La Haute-Cour serait en mesure d’examiner la décision du gouvernement à l’aide des outils mis à disposition par le droit administratif israélien, notamment en déterminant si des considérations peu importantes ont prévalu dans la prise de décision ou si celle-ci est déraisonnable à l’extrême – ou non.
En théorie, le gouvernement dispose d’un autre moyen de contourner ce problème : Il pourrait tout simplement annuler ou modifier la résolution gouvernementale de 2000 qui a défini l’ensemble de la procédure, et la remplacer par un système beaucoup plus simple encadrant un tel renvoi.
Mais les résolutions gouvernementales sont elles-mêmes soumises à un contrôle juridique, conformément aux normes qui sont celles du droit administratif – et il est fort à parier que la Haute-Cour verrait d’un mauvais œil le remplacement de l’ancien système par un nouveau, un remplacement qui serait par ailleurs rapidement suivi par la révocation de Baharav-Miara.
Un limogeage sans précédent du chef d’état-major
Renvoyer le chef d’état-major de l’armée israélienne semble être un processus beaucoup plus facile et simple – même si aucune législation n’en fixe réellement les modalités et qu’aucun chef d’état-major de l’armée israélienne n’a jamais été limogé dans toute l’Histoire d’Israël.
Mais un principe du droit administratif veut que les responsables puissent être congédiés de la même manière qu’ils ont été embauchés.
La « Loi fondamentale : L’armée » établit un processus simple pour la nomination d’un chef d’état-major de l’armée israélienne. Ainsi, le ministre de la Défense recommande un candidat et le cabinet vote – ou non – sa nomination.
Pour que le gouvernement actuel puisse écarter Halevi, il suffirait que le nouveau ministre de la Défense, Israël Katz, recommande son renvoi et que le cabinet vote en faveur de cette recommandation.
Les chefs d’état-major ont un mandat de trois ans – et un grand nombre d’entre bénéficient d’une quatrième année de mandat supplémentaire. Halevi, qui a fait savoir, depuis le pogrom commis par le Hamas en date du 7 octobre 2023, qu’il resterait à son poste aussi longtemps que le ministre de la Défense le souhaiterait, avait pris ses fonctions au mois de janvier 2023. Il restera donc en place pendant plus d’un an – à moins que le gouvernement ne décide d’intervenir.
Effrayer le directeur du Shin Bet
La loi israélienne de 2002 qui est consacrée aux agences de sécurité stipule que le chef du Shin Bet, l’agence de sécurité intérieure, peut être démis de ses fonctions par le gouvernement. Elle ne précise pas toutefois le déroulement exact de ce processus.
Le chef du Shin Bet est nommé par le cabinet « sur recommandation du Premier ministre ». En théorie, le Premier ministre serait donc tenu de recommander le licenciement de Ronen Bar avant que le cabinet ne puisse voter sa révocation – conformément aux principes du droit administratif.
Quoi qu’il en soit, la procédure de renvoi du chef du Shin Bet, comme celle du chef d’état-major de l’armée israélienne, est entièrement placée sous le contrôle du gouvernement.
Les deux décisions seraient soumises à un contrôle d’ordre juridique – mais le professeur Amichai Cohen, chercheur au sein du Centre pour la sécurité et la démocratie, qui dépend de l’IDI, dit ne pas penser que la Haute-Cour examinerait sérieusement des requêtes dénonçant le licenciement de l’une ou l’autre de ces personnalités.
« Il faudrait qu’il y ait quelque chose de très extrême pour que la Haute-Cour intervienne, puisque ces [licenciements] seraient relatifs à des questions de sécurité et que la Haute-Cour, par tradition, n’intervient pas dans un tel domaine et sur de telles questions », indique Cohen.
Il ajoute que le seul outil mis à disposition par le droit administratif pour examiner de telles décisions serait le principe de la « raisonnabilité », aucune des lois concernant le chef d’état-major de l’armée israélienne et le chef du Shin Bet ne définissant comment et dans quelles circonstances ces personnalités peuvent être démises de leurs fonctions.
Imbroglios juridiques
Lurie et Cohen soulignent également, néanmoins, qu’il y a deux enquêtes criminelles qui sont actuellement en cours – des investigations consacrées à des actes répréhensibles qui auraient été commis au sein du cabinet du Premier ministre.
L’une d’entre elles, actuellement menée par la police et par le Shin Bet, examine le vol présumé de documents de la part d’un porte-parole du cabinet du Premier ministre et de plusieurs officiers de l’armée israélienne, des documents dont le contenu aurait été divulgué ensuite à la presse étrangère.
L’autre enquête – menée par la police – porte sur l’implication présumée du chef de cabinet de Netanyahu, Tzachi Braverman, dans la modification de comptes-rendus de réunions qui ont eu lieu depuis le tout début de la guerre, y compris peu avant le pogrom commis par le groupe terroriste du Hamas.
Un limogeage de la procureure-générale ou du chef du Shin Bet à ce stade – alors que ces deux enquêtes liées au cabinet du Premier ministre sont en cours – pourrait être considéré comme une violation de l’accord sur les conflits d’intérêts qui avait été conclu par Netanyahu en 2020. Cet accord, soumis à la Haute-Cour, avait amené les juges à autoriser Netanyahu à exercer ses fonctions de Premier ministre malgré sa mise en examen dans trois affaires de corruption.
Selon les termes de cet accord, il est interdit à Netanyahu – qui cherche à reporter le témoignage qu’il doit lui-même apporter, le mois prochain, dans le cadre de son procès pour corruption – de s’impliquer dans le recrutement de personnel à des postes déterminants au sein des instances judiciaires et de l’establishment juridique.
Et s’impliquer aujourd’hui dans le licenciement d’officiels de premier plan – particulièrement en ce qui concerne la procureure-générale – pourrait créer plus de problèmes pour le Premier ministre que cela pourrait en résoudre.
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