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Egypte : le responsable anti-corruption devenu ennemi public n°1

Les chiffres énormes de la corruption dévoilés par son autorité ne plaisent pas au pouvoir

L'ancien juge et président de l'Autorité des comptes publics en Egypte, Hicham Geneina, lors d'une interview en 2014. (Crédits : capture d'écran YouTube / Nile News)
L'ancien juge et président de l'Autorité des comptes publics en Egypte, Hicham Geneina, lors d'une interview en 2014. (Crédits : capture d'écran YouTube / Nile News)

En trois mois, le président de la prestigieuse Autorité de contrôle des comptes publics en Egypte a été démis de ses fonctions, inculpé et comparaît mardi devant un tribunal. Son tort, selon lui : avoir chiffré l’étendue de la corruption au cœur de l’Etat.

« C’est comme si dévoiler la corruption était devenu un crime », ironise le juge Hicham Geneina, dans le salon de sa villa d’une banlieue chic du Caire, semblant se moquer du fait que le pouvoir réprime avec la plus grande sévérité toute opposition ou voix critique.

L’ancien juge de 62 ans, retraité de la magistrature, a été démis fin mars de ses fonctions à la tête de l’Autorité par le chef de l’Etat Abdel Fattah al-Sissi.

Une intense campagne est menée depuis par les médias égyptiens, qui soutiennent dans leur quasi-totalité le gouvernement, accusant la famille Geneina d’appartenir à l’opposition islamiste et de vouloir discréditer le pouvoir.

Pourquoi ? Pour avoir, selon M. Geneina, chiffré à 600 milliards de livres égyptiennes (près de 60 milliards d’euros) le coût de la corruption publique au terme d’une compilation de rapports établis entre 2012 et 2015 par l’Autorité qu’il présidait. Ces rapports pointent notamment du doigt l’acquisition illégale de terrains de l’Etat par des hauts responsables ou des hommes d’affaires du temps de l’ancien président Hosni Moubarak, renversé en 2011 par une révolte populaire.

Le hic, c’est qu’un quotidien égyptien avait mal cité M. Geneina, selon ce dernier, expliquant que les 600 milliards concernaient la seule année 2015. C’est l’angle d’attaque du parquet qui a inculpé l’ancien haut fonctionnaire pour « diffusion de fausses informations dans le but de nuire à l’intérêt public » et l’a renvoyé devant un tribunal du Caire pour un procès entamé le 7 juin. Une nouvelle audience est prévue mardi.

Le parquet invoque « des méthodes de calcul sans fondement, ayant conduit à l’exagération des montants avancés », reprochant à M. Geneina d’avoir attribué le chiffre à « l’année 2015 seulement ».

« Où étiez-vous ces dernières années si j’étais si dangereux pour l’Etat ? », lance M. Geneina à ses accusateurs. « Pourquoi n’ai-je pas été démasqué plus tôt par les appareils de sécurité et de renseignement ? », pointe-t-il. Il avait été nommé à la tête de l’Autorité en 2012 par le président d’alors, l’islamiste Mohamed Morsi, destitué le 3 juillet 2013 par la toute puissante armée alors dirigée par le général Sissi.

« Règlement de comptes »

« Serait-ce parce que l’étude pointe du doigt ces appareils, qui n’étaient jamais nommés jusqu’à présent ? », interroge M. Geneina en dénonçant la « mainmise des appareils de sécurité » sur les institutions de l’Etat.

Rien ne prédisposait cet enfant du sérail à devenir la cible de tant d’opprobres publics. Diplômé de l’académie de police en 1976, il rejoint rapidement la magistrature pour en gravir les échelons tout au long d’une carrière prolifique de 34 ans.

L’affaire Geneina intervient au moment où le régime du président Sissi, après avoir réprimé dans le sang les partisans de l’islamiste Morsi, dirige le pays d’une main de fer en faisant emprisonner quiconque émet des critiques dans l’opposition libérale et laïque.

Or M. Sissi proclame qu’il a résolument engagé son gouvernement dans la lutte contre la corruption qui gangrène l’Egypte jusqu’au coeur de l’Etat depuis des décennies. Il a d’ailleurs démis son ministre de l’Agriculture en septembre 2015, lequel a écopé ensuite de 10 ans de prison pour des pots-de-vin.

« On ne donne pas l’exemple avec des discours, il faut des actes », commente sèchement M. Geneina.

L’ONG Transparency International classe cette année l’Egypte au 88ème rang des pays les plus corrompus de la planète.

La fille aînée du juge Geneina, Shorouk, 27 ans, chevelure châtain lâchée sur un élégant chemisier, se retrouve mêlée à l’affaire malgré elle, selon son père.

Ancienne avocate du cabinet d’affaires international Baker and McKenzie, elle a été renvoyée du parquet administratif fin mai, pour avoir partagé sur Facebook une caricature de l’ex-ministre de la Justice. « Cela fait partie du règlement de compte », lâche M. Geneina, assis à côté de sa fille.

Même si Amr Adly, économiste du centre Carnegie pour le Moyen-Orient, critique la méthodologie de l’étude, jugeant que certains cas évoqués relèvent davantage de l’incompétence des pouvoirs publics que de corruption, il estime que la réaction des autorités a été « catastrophique sur le plan politique ».

« Même si dans les faits ce n’est peut-être pas le cas, cela conforte l’idée que le pouvoir exécutif se venge de celui qui parle de la corruption », estime l’analyste.

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