En Allemagne, un Turc musulman apprend aux immigrants à ne pas haïr Israël
Kiga, l’organisation à but non lucratif d’Aycan Demirel, lutte contre la montée des préjugés dans le pays en enseignant le conflit Israélo-Palestinien dans les classes
BERLIN — Dervis Hizarci est un musulman pratiquant, citoyen allemand d’origine turque et guide au Musée Juif de Berlin.
Mais il n’offre pas ses services à tout le monde : le travail d’Hizarci consiste à guider les adolescents à travers Kreuzberg, l’un des quartiers de Berlin qui compte le plus d’immigrés. Aujourd’hui, ses visiteurs sont une classe d’étudiants – en grande partie musulmans – d’un lycée voisin.
Hizarci commence la visite avec une question : Depuis combien de temps dure l’histoire judéo-allemande ? Pour aiguiller ses visiteurs, il ajoute que l’histoire turco-allemande date d’environ 50 ans. Un étudiant se lance : 350 ans ? Hizarci leur donne la réponse : 2000 ans.
Puis il passe à un autre chiffre : six millions de Juifs tués pendant l’Holocauste. Afin de donner à ses étudiants un ordre de grandeur, il ajoute qu’aujourd’hui, environ trois millions d’individus d’origine turque vivent en Allemagne. Les adolescents paraissent surpris et émus.
Encourager ce genre de conversations, voilà la mission de l’Initiative de Kreuzberg Contre l’Antisémistisme, dont l’acronyme en allemand est « Kiga ».
Cette organisation à but non lucratif lutte contre les préjudices chez les adolescents issus de l’immigration, musulmans pour la plupart. La communauté juive allemande ainsi que la Ligue anti-diffamation (ADL) lui ont décerné plusieurs prix mais, malgré les applaudissements, Kiga reste quasiment l’une des seules organisations menant ce type de mission en Allemagne.
Kiga enseigne aux élèves la vie juive contemporaine en Allemagne ainsi que les points communs et les différences entre le judaïsme et l’islam.
Mais Kiga les sensibilise également aux groupes islamistes et à l’image de l’islam dans les medias allemands. Ses activités comprennent aussi bien des promenades dans certains quartiers sur les traces de l’ancienne vie juive que des voyages à but éducatif en Israël pour les jeunes allemands musulmans.
Plus important encore, puisque la plupart de l’antisémitisme est intimement lié à Israël, Kiga s’attaque de front à ce problème avec un programme consacré au conflit israélo-palestinien – un thème qui n’est pas traité dans les écoles publiques en Allemagne.
L’organisation fait un travail d’avant-garde en traitant un problème qui est à peine limité à cette minorité d’immigrés originaires du Moyen-Orient. Une étude menée en 2014 par Friedrich-Ebert – une fondation en ligne avec un grand parti de centre-gauche, a fait ressortir que l’antisémitisme lié à Israël est très largement répandu dans la société allemande.
Kiga fait cours dans des classes de lycées huppés, tantôt durant des ateliers d’une semaine, tantôt comme une option faisant partie d’une matière enseignée toute l’année. Ses programmes ne faisant pas partie du système scolaire classique, Kiga enseigne là où elle le peut et là où on lui demande d’intervenir.
Selon Hizarci, le guide du Musée Juif, travailler avec des fonds récoltés à court terme et dans le cadre d’un système éducatif rigide font de cette mission une tâche difficile.
« Notre travail est similaire à l’action d’un anti douleur », déplore Hizarci, « trop éphémère pour provoquer un changement à long terme. Nous nous battons pour que notre programme éducatif devienne un sujet à part entière que les étudiants pourront choisir comme option à l’école ».
Kiga a été fondée il y a plus de dix ans par Aycan Demirel, un Turco-Allemand d’origine musulmane. Anciennement travailleur social avec les associations de jeunesse de son quartier, il s’est inquiété devant l’antisémitisme qu’il y a rencontré. Après les attaques terroristes de 2003 contre des synagogues à Istanbul, il a décidé qu’il fallait faire quelque chose.
Demirel affirme que les adolescents issus de l’immigration ne sont pas plus ou moins antisémites que d’autres adolescents allemands mais il pense en revanche que les origines culturelles turques ou arabes nécessitent une approche unique. Ils comprennent ce que c’est que d’appartenir à une minorité, sentiment que les Allemands ne ressentent pas.
Kiga s’attaque donc à l’antisémitisme en commençant par les histoires de ses propres étudiants.
« Beaucoup d’entre eux veulent savoir pourquoi ils se sentent comme des étrangers dans cette société, alors même qu’ils sont la quatrième génération d’Allemands. Il est essentiel que nous traitions leurs questions relatives à leur identité et à leur sentiment d’exclusion », explique Demirel.
Hasan-Ali Yildirim, du haut de ses 25 ans, connaît bien le sujet. Quand il était adolescent, il n’était pas du tout intéressé par le judaïsme.
« Je n’ai jamais rien eu contre les Juifs, mais à cette époque de ma vie, j’avais des amis palestiniens qui, eux, leur en voulaient », se souvient-il. La raison qui l’a poussé à frapper la porte de Kiga est simple : un de ses amis lui a dit qu’il y trouverait sûrement une personne avec qui il pourrait parler de son sentiment de déchirure entre son identité allemande et son identité turque.
C’est ce qu’il a fait. Et peu à peu, il s’est de plus en plus investi dans cette organisation à but non lucratif. Il est devenu l’un des « pair éducateurs » – des jeunes gens et des jeunes femmes issus de l’immigration d’une vingtaine ou trentaines d’années formés pour animer des ateliers destinés à leurs jeunes congénères.
Naturellement, ils sont beaucoup plus crédibles que les enseignants traditionnels quand ils parlent de religion, d’identité et de stéréotypes à leurs élèves.
Aujourd’hui, Yildirim enseigne le judaïsme, l’islam et le conflit israélo-palestinien à des élèves de lycée et l’approche impartiale adoptée par Kiga pour traiter ce sujet est un véritable souffle d’air frais.
Le vaste matériel éducatif que l’organisation a développé comprend des faits : par exemple, la décision d’établir un État israélien a été prise par plusieurs pays dans le monde, selon le Plan de Partage des Nations unies de 1947.
Dans un questionnaire à choix multiples, à la question « Qui a dû fuir pendant la première guerre israélo-arabe de 1948 ? », les réponses possibles sont : les Palestiniens et les Juifs dans les États arabes. Le questionnaire demande également aux étudiants de lister les pays où vivent les Palestiniens aujourd’hui.
Kiga n’a pas toujours recueilli l’approbation d’autres organisations musulmanes. Certaines d’entre elles redoutent même que son action incite, au pire à l’islamophobie ou, au mieux, suggère que l’antisémitisme est un problème spécifique à la population musulmane. Demirel comprend cette inquiétude et reconnaît qu’ils effectuent un véritable travail d’équilibriste. Mais il reste convaincu que ce qu’ils font est absolument nécessaire.
Les enseignements font régulièrement appel à Kiga quand ils se trouvent confrontés au conflit à l’école et qu’ils ne savent pas comment le traiter. Le nombre d’appels est particulièrement élevé à certains moments tels que le conflit à Gaza en 2014, période au cours de laquelle les manifestations pro-palestiniennes sont devenues ouvertement antisémites.
« De nombreux enseignants ne savent quasiment rien du Moyen-Orient. Ils sont nommés dans des écoles où de nombreux élèves sont issus de l’immigration mais ils ne savent pas du tout comment établir un lien avec leurs étudiants », constate Demirel. Dans le cursus professionnel des enseignants, personne ne leur apprend correctement comment gérer les enfants issus de milieux culturels différents ».
Demirel explique que, même si les programmes de Kiga ont un plan de cours fixe, ils s’adaptent aux situations quand des conflits éclatent. Il prend l’exemple du raid de la flottille de Gaza en 2010 qui a eu lieu alors qu’ils étaient sur le point de partir pour un voyage en Israël avec de jeunes Musulmans. Selon lui, le plus important est de rester factuel et d’ôter à la situation les émotions qu’elle engendre.
« Nous expliquons les différents points de vue que l’on peut avoir sur ce qu’il se passe, ainsi les enfants peuvent se forger leur propre opinion », indique Demirel.
Bientôt, les enseignants auront même la possibilité d’appeler une hotline spéciale que Kiga est en train de mettre en place. Demirel explique qu’ils aident les enseignants à évaluer et gérer la situation dans leurs salles de classe. Le conseil de base est d’afficher une position claire : que l’antisémitisme ne soit pas toléré.
Et Kiga n’est pas destiné qu’aux seuls adolescents. Quand, à la fin d’une visite du Musée Juif, un lycéen demande à Hizarci le guide «Qu’en est-il de la puissante famille Rothschild et des Juifs qui possèdent les banques ? », Hizarci répond avec sa propre question « Est-ce que tu penses que tu poses une question sur un fait ou est-ce que c’est juste un stéréotype ? ».
L’enseignante intervient « Il faut faire attention avec ce genre d’affirmations », acquiesce-t-elle, « même s’il est vrai que beaucoup de Juifs travaillent dans la finance ».
Sans hésiter, le guide rétorque que ce que vient d’affirmer l’enseignante révèle un stéréotype antisémite classique. Il s’agit d’un autre problème auquel Kiga est fréquemment confrontée, ajoute Demirel, fondateur de l’organisation : quand les enseignants confirment les préjugés des élèves.
Manifestement, il reste encore beaucoup de travail.
Avant que les élèves ne quittent le musée, Hizarci leur distribue des oursons gélifiés casher. Ils lui demandent de venir leur rendre visite à l’école afin de pouvoir discuter un peu plus.
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