Israël en guerre - Jour 562

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Reportage

Face à la guerre contre le Hezbollah, les Arabes israéliens confrontés à leur identité

Vivant près de la frontière libanaise, les leaders de Sheik Danun affirment que les radicaux du gouvernement - et non les combats - leur donnent l'impression d'être privés de leurs droits

Ahmed Samniya se tenant devant chez lui, à Sheikh Danun, en Galilée occidentale, le 8 octobre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)
Ahmed Samniya se tenant devant chez lui, à Sheikh Danun, en Galilée occidentale, le 8 octobre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

GALILEE OCCIDENTALE – Alors que des explosions déchiraient l’air mardi, Ahmed Samniya se tenait sur son porche à la limite du village de Sheikh Danun, regardant les champs sous sa fenêtre.

En contrebas, les troupes de l’armée israélienne tiraient de l’artillerie vers le Liban, à 9,5 kilomètres de là. Les fortes détonations semblaient servir de points d’exclamation lorsque Samniya parlait de son identité compliquée d’Arabe israélien – une identité qui est devenue encore plus complexe depuis que le conflit contre le groupe terroriste chiite libanais du Hezbollah a commencé il y a un an, le 8 octobre 2023.

« Ce n’est pas parce que mon pays a des conflits avec d’autres pays en dehors de nos frontières que je suis un ennemi », a déclaré Samniya, directeur du centre communautaire de son village.

Depuis le 8 octobre de l’année dernière, le Hezbollah attaque quotidiennement les communautés israéliennes et les postes militaires le long de la frontière avec des roquettes, des drones, des missiles antichars et d’autres moyens, affirmant qu’il le fait pour soutenir Gaza dans le cadre de la guerre contre le groupe terroriste palestinien du Hamas qui s’y déroule.

Israël a lancé ce qu’il a appelé des « raids limités, localisés et ciblés » sur le terrain dans le sud du Liban le 30 septembre, dans le but de démolir les infrastructures du Hezbollah près de la frontière, en particulier dans les villages adjacents à Israël, afin de permettre aux résidents israéliens évacués dans le nord de rentrer chez eux en toute sécurité.

Samniya a déclaré qu’il était un Arabe israélien, ou un Israélien arabe – les deux expressions sont correctes, selon lui – ainsi qu’un Bédouin.

Ahmed Samniya et sa fille Jamal, étudiante à l’Université de Haïfa, dans leur maison de Sheikh Danun, le 8 octobre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

« Je parie que vous n’avez jamais vu un Bédouin conduire une Tesla », plaisante-t-il en inclinant la tête vers la Tesla bleue qui se trouve dans son allée, avant de reprendre son sérieux.

« Nous vivons en Galilée, près de la frontière libanaise, et en tant que citoyens israéliens, nous sommes tous sous le feu des armes : juifs, musulmans, bédouins et druzes », explique Samniya.

« Les roquettes ne font pas de distinction entre les religions, les nationalités ou les sexes. »

Cependant, Samniya a déclaré que les divisions croissantes au sein d’Israël, aggravées par la guerre, ont mis au premier plan les questions d’identité des Arabes israéliens et les craintes quant à leur place dans le pays.

« Ici, je suis libre de choisir ma religion », a-t-il souligné.

« J’ai une liberté d’expression. Mes grands-parents sont nés ici. Ce qui se passe à l’extérieur de nos frontières ne devrait pas me donner l’impression que je n’appartiens pas à ce pays. »

Une ville endormie qui ne l’est plus aujourd’hui

Sheikh Danun, qui compte 3 000 habitants, presque tous musulmans, est située sur une colline d’où l’on aperçoit au loin la Méditerranée étincelante.

Mahmod Akawi, maire de Sheikh Danun, montrant le Liban au loin alors qu’il se tient devant une école primaire temporaire préparée pour les élèves évacués d’Arab al-Aramshe, le 8 octobre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

Il a toujours été un petit village endormi – il n’y a ni cafés ni restaurants et les initiatives visant à attirer les touristes ont été reportées en raison de la guerre – mais il est maintenant devenu un village insomniaque, a déclaré Mahmod Akawi, le maire de Sheikh Danun. La ville se trouve juste à l’extérieur de la zone de conflit, et les habitants n’ont donc pas été évacués.

Le village fait partie du Conseil régional de Mateh Asher, la plus grande des 32 communautés. Huit d’entre elles ont été évacuées, et plus de 7 000 habitants sont considérés comme des citoyens évacués à l’intérieur de leur propre pays.

Les habitants d’Arab al-Aramshe, l’autre implantation non juive du conseil, plus proche de la frontière libanaise, ont été évacués. Akawi a emmené l’auteur de ces lignes voir l’école élémentaire temporaire construite pour les enfants d’Arab al-Aramshe.

Jusqu’à présent, les affrontements à la frontière ont causé la mort de 26 civils du côté israélien, ainsi que celle de 33 soldats et réservistes de l’armée israélienne. Plusieurs attaques ont également été lancées depuis la Syrie, sans faire de blessés.

Le terrain de football de Sheikh Danun fermé le 8 octobre 2024, en raison de la guerre contre le Hezbollah. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

Les habitants ont l’impression que la guerre se déroule dans leur cour, a déclaré Akawi. Selon les instructions du Commandement du Front intérieur de l’armée israélienne, toutes les écoles de Sheikh Danun sont fermées et il n’y a pas d’événements publics. Les enfants ont cours sur Zoom, mais Akawi précise qu’un parent doit rester à la maison pour surveiller le temps passé sur l’ordinateur. Les élèves de maternelle ne peuvent pas utiliser Zoom.

Les deux tiers des maisons du village n’ont pas de mamad – pièce anti-atomique –, selon Akawi. Sept miklatim – abris anti-atomiques – temporaires ont été installés dans le village. Les habitants de chaque quartier ont également reçu des instructions sur le miklat dans lequel ils peuvent entrer, dans l’une des écoles ou dans le jardin d’enfants.

« Personne ne peut dormir la nuit à cause des roquettes », a déclaré Akawi. « Les parents ne savent pas quoi dire à leurs enfants. »

La guerre a également donné à Akawi le sentiment que les Arabes israéliens sont pris entre deux feux.

Un conflit contre les Arabes en Israël ?

« Je travaille dans la ville depuis 37 ans dans le secteur public », explique Akawi, assis dans son bureau situé dans le centre-ville.

« J’ai toujours été en contact avec des membres de la Knesset. Je sais à quel point il est important d’être bon pour tous les citoyens du pays. Mais aujourd’hui, j’ai l’impression que les extrémistes de droite dirigés par [le ministre de la Sécurité nationale Itamar] Ben Gvir et [le ministre des Finances Bezalel] Smotrich pourraient transformer la guerre en un conflit contre les Arabes d’Israël. »

Mahmod Akawi, chef de Sheikh Danun, devant un plan de la ville dans son bureau, le 8 octobre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

Musulman pratiquant, père de cinq enfants et grand-père de dix, Akawi a une vision fataliste de la vie. Il a également un sens de l’humour ironique. Lorsqu’une sirène d’alerte retentit et qu’il est dehors en train de fumer une cigarette, il rentre dans son bureau, même s’il ne s’agit pas d’une pièce sécurisée. Pourtant, il ressent une profonde incertitude qu’aucun humour ne peut atténuer.

« Les Arabes israéliens commencent à avoir l’impression que nous sommes considérés comme un fardeau », a-t-il déclaré. « Les gens d’ici craignent que le gouvernement ne s’en prenne à nous ensuite. »

Notre existence est menacée

Sur le porche de Samniya, le responsable du centre communautaire fait un geste en direction des collines. La saison des pluies n’a pas encore commencé et la terre et les arbres ont un aspect délavé. Au loin, un nuage de fumée noire s’élève des roquettes lancées.

Les quatre enfants de Samniya ont tous participé au service national israélien car, dit-il, il estime que « si je demande des droits au pays, je dois assumer mes responsabilités et rendre au pays ce qu’il m’a donné ».

Les Arabes d’Israël ont subi ce qu’il nomme « l’israélisation ».

« Nous ne pouvons pas dire plus de quelques phrases sans ajouter un mot hébreu », a-t-il déclaré. « Au supermarché, par exemple, nous montrons le même type d’impatience. »

Les Arabes qui sont restés en Israël après la Guerre d’Indépendance sont parfois appelés « les Arabes de 1948 » par les Arabes d’autres pays. Ils ne peuvent pas comprendre l’idée « d’Arabes israéliens » », a-t-il souligné.

Il s’agit d’une identité unique, qui est loin d’être simple. Dans le salon de Samniya, la télévision est allumée sur une chaîne d’information israélienne. Son bouquet de chaînes lui permet également de choisir des chaînes en langue arabe, notamment d’Algérie, de Tunisie et de Palestine.

Il explique qu’Al-Jazira annonce les nouvelles avant les chaînes israéliennes, et qu’il les regarde donc toutes les deux. Il a ensuite pris un pin’s qu’il avait reçu lors d’une cérémonie commémorative la nuit précédente au bureau du Conseil régional de Mateh Asher, avec le mot hébreu « Yizkor », c’est-à-dire « Souvenir ». Le pin’s commémore les victimes du pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023, lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont fait irruption en Israël depuis Gaza, ont assassiné plus de 1 200 personnes et ont enlevé 251 autres pour les emmener de force à Gaza.

Samniay a assisté à l’événement et s’est levé pour chanter l’Hatikvah, l’hymne national israélien.

Ahmed Samniya montrant le pin’s qu’il a reçu lors d’une cérémonie commémorative pour les victimes du pogrom du 7 octobre du Hamas alors qu’il se tient dans son salon devant sa télévision avec une chaîne d’information israélienne en cours de diffusion et des programmes en langue arabe provenant du monde entier, le 8 octobre 2024. (Crédit : Diana Bletter/Times of Israel)

« Les paroles ne me parlent pas, mais c’est notre hymne national, et je me lève par empathie et par respect parce que c’est mon pays », a déclaré Samniya. « Je corrige même mes amis juifs lorsqu’ils ne prononcent pas les paroles correctement. »

La discussion a de nouveau porté sur les politiciens de droite qui, selon Samniya, se renforcent dans le pays.

« Leur programme et leur idéologie nous mettent en danger », a estimé Samniya. « Notre existence est menacée. »

Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il dirait à Ben Gvir et Smotrich s’il en avait l’occasion, Samniya a répondu : « Ils ne vivent pas parmi les Arabes. Qu’ils viennent en Galilée occidentale où ils verront des gens vivre en coexistence. »

Les Arabes israéliens ne doivent pas être repoussés, a-t-il ajouté. Au contraire, ils peuvent servir de pont entre deux peuples.

« Nous pouvons trouver la voie royale sans perdre notre identité », a déclaré Samniya.

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