Israël en guerre - Jour 399

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Interview

En Iran, une dissidente attend la riposte d’Israël, et avec elle, « la crainte d’une guerre totale »

Alors que le mécontentement à l'égard du gouvernement s'accroît, une opposante au régime confie que les citoyens sont en proie à l'incertitude et doutent de la capacité de leurs dirigeants à les protéger

Une femme passe devant une bannière montrant des missiles en cours de lancement, dans le nord de Téhéran, en Iran, le 19 avril 2024. (Crédit : AP Photo/Vahid Salemi)
Une femme passe devant une bannière montrant des missiles en cours de lancement, dans le nord de Téhéran, en Iran, le 19 avril 2024. (Crédit : AP Photo/Vahid Salemi)

Depuis que l’Iran a attaqué Israël avec des missiles balistiques le 1er octobre et qu’Israël a juré de riposter, les Iraniens attendent. La date et le lieu de l’attaque israélienne restent inconnus, ce qui accroît le sentiment d’anxiété dans tout le pays. Et pour beaucoup, cette attente demeure insoutenable.

« En Iran, certains journalistes sadiques ne cessent de tirer la sonnette d’alarme et affirment qu’une attaque israélienne est imminente, peut-être dans les heures qui viennent. Ces dernières nuits, j’ai commis la terrible erreur d’ouvrir Twitter avant d’aller me coucher, pour tomber sur des messages de ces journalistes ridicules qui prétendent que l’attaque est sur le point de se produire. Après cela, je n’arrive pas à dormir, je reste allongée, bien éveillée jusqu’à 6 heures du matin, attendant que quelque chose se passe », a confié Leila (nom fictif).

Iranienne d’une trentaine d’années, Leila vit à Ispahan, une ville du centre de l’Iran située à environ 320 kilomètres au sud de Téhéran.

Six jours après la première attaque à grande échelle de missiles et de drones de la République islamique contre Israël, le 13 avril, Tsahal avait frappé un radar d’une batterie de défense aérienne à Ispahan, qui couvrait l’installation d’enrichissement nucléaire souterraine de Natanz, située à proximité. Cette frappe visait à démontrer la capacité d’Israël à pénétrer les systèmes de défense aérienne de l’Iran.

Mais cette fois-ci, la réponse israélienne devrait être bien plus dévastatrice.

Les responsables israéliens ont laissé entendre que les représailles pourraient viser des infrastructures clés, telles que des plates-formes gazières ou pétrolières, voire des sites nucléaires ou des installations militaires en Iran. Une frappe sur les installations pétrolières iraniennes pourrait paralyser l’économie et perturber l’approvisionnement mondial en carburant.

Outre sa proximité avec le site nucléaire de Natanz, son aéroport et sa base aérienne à double usage, Ispahan abrite des raffineries de pétrole et des installations de production d’armes, ce qui en fait, comme l’a dit Leila avec humour, « le parfait endroit pour une frappe ».

Une image diffusée par la télévision d’État iranienne, l’Islamic Republic of Iran Broadcasting (IRIB), montre ce que la télévision a déclaré être une image en direct de la ville d’Isfahan tôt le 19 avril 2024, suite à des rapports d’explosions entendues dans la province au centre de l’Iran. (Crédit : IRANIAN STATE TV/IRIB/ AFP)

Militante de longue date et critique ouverte du régime, Leila a été arrêtée à plusieurs reprises et a passé plusieurs mois en prison pour avoir participé à des manifestations antigouvernementales, notamment les manifestations massives « Femme, vie, liberté » en 2022.

Se définissant comme une « réformiste, pas une révolutionnaire », elle a déclaré avoir voté pour le candidat dit « modéré » Massoud Pezeshkian lors de la dernière élection présidentielle. Elle s’est souvent exprimée dans les médias occidentaux sur la situation en Iran. Le Times of Israel a confirmé son identité par l’intermédiaire de journalistes étrangers qui l’ont déjà interviewée.

Leila critique aussi sévèrement les opérations militaires d’Israël à Gaza et au Liban, mais elle a exprimé le souhait que les relations entre les deux peuples s’améliorent, et a qualifié leurs dirigeants de « désespérés ».

Avec un sarcasme mordant, Leila a parlé de la façon dont les Iraniens ont supporté les récentes tensions, de leurs angoisses face à l’imminence d’une frappe israélienne, de leurs opinions sur Israël et de la vie sous un régime de plus en plus impopulaire.

Elle a brossé le tableau d’une puissance régionale en devenir qui gaspille ses ressources pour financer des groupes terroristes dans tout le Moyen-Orient, un géant aux pieds d’argile, gouvernée par une direction fragmentée, isolé sur le plan international, avec une population résiliente qui lutte quotidiennement contre l’effondrement de son économie et la crainte d’être entraînée dans une guerre régionale.

L’interview qui suit a été éditée à des fins de clarté et de concision.

Lors d’un rassemblement dans le centre de Rome, le samedi 29 octobre 2022, une femme dont le visage est scindé en deux : d’un côté du rouge sang qui dégouline et de l’autre le drapeau de l’Iran, en mémoire à la mort de Mahsa Amini, une femme décédée alors qu’elle était en garde à vue en Iran.(Crédit : AP Photo/Gregorio Borgia )

The Times of Israel : Comment les Iraniens ont-ils réagi à l’attaque de missiles balistiques lancée par Téhéran contre Israël la semaine dernière ?

Leila : Tout d’abord, permettez-moi de préciser que je parle en mon nom et au nom de mon cercle d’amis et de connaissances, qui sont également des opposants au régime et partagent des points de vue similaires.

Honnêtement, étrangement, l’attaque a presque été une agréable surprise pour nous. Je m’explique : en Iran, nous n’avons jamais vraiment cru que notre armée avait la capacité de frapper des cibles importantes en Israël sans que nous devenions la risée de tous.

[Après l’attaque, l’armée iranienne a affirmé que 90 % des missiles lancés sur Israël avaient atteint leurs cibles, notamment des bases militaires. Israël a indiqué que certains missiles avaient touché des bases aériennes, mais a déclaré qu’il n’y avait pas eu de dégâts majeurs. Toutefois, des médias étrangers suggèrent que les dommages pourraient être plus importants que ce qui a été officiellement signalé.]

Nous avons été surpris d’apprendre que certaines cibles avaient été touchées, et il semble que nous ayons causé quelques dommages à des équipements militaires israéliens. Mais ne vous méprenez pas : cela ne signifie pas que nous nous réjouissons de la guerre ou d’éventuelles représailles. Seulement, nos dirigeants se sont toujours vantés d’être une puissance régionale, et nous nous moquions d’eux à ce sujet.

Mais maintenant, nous pouvons espérer que si la guerre éclate, nous ne serons peut-être pas anéantis d’un seul coup. Peut-être pourrons-nous nous défendre un peu.

Des Israéliens perchés sur les restes d’un missile iranien dans le désert du Néguev, à proximité d’Arad, le 2 octobre 2024. (Crédit : Menahem Kahana/AFP)

Quel est le sentiment général en Iran quant à une riposte israélienne ?

Nous savons malheureusement que pour chaque missile tiré depuis le sol iranien, il y aura une riposte, et ce sont les civils qui souffriront le plus. Dès que la nouvelle de l’attaque au missile s’est répandue la semaine dernière, la panique s’est généralisée. Les gens se sont précipités dans les stations-service et se sont approvisionnés en produits de première nécessité, comme le thon en conserve, etc. C’était comme aux premiers jours de la pandémie de grippe aviaire.

[Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux montrent de longues files de voitures dans des stations-service en Iran après l’attaque de missiles contre Israël la semaine dernière].

Certains gardent même un sac à dos près de la porte. La peur d’une guerre totale est bien réelle. Beaucoup d’entre nous, en particulier ceux de ma génération et les plus âgés, se souviennent de la guerre Iran-Irak [le conflit sanglant entre la République islamique nouvellement établie et le régime de Saddam Hussein, qui a duré de 1980 à 1988]. Les sirènes, les missiles, les bombardements, les gens qui mouraient dans les rues, tout cela était traumatisant. La guerre est un cauchemar qui laisse des traces indélébiles.

Plus nous attendons une frappe israélienne, plus l’anxiété augmente. Si l’attaque avait déjà eu lieu, que ce soit sur une installation nucléaire, une base militaire ou une ville, nous aurions au moins quelque chose de concret à affronter. L’incertitude est insupportable. J’espère simplement qu’Israël en finira rapidement avec cette situation.

Quelle est l’opinion des Iraniens à l’égard d’Israël aujourd’hui ?

De nombreux Iraniens soutiennent encore Israël, mais pas par amour pour ce pays. C’est parce qu’ils détestent le régime iranien.

Après le 7 octobre, de nombreux Iraniens ont soutenu le droit d’Israël à se défendre contre le terrorisme. Mais à mesure que la guerre à Gaza s’éternise et que le nombre de civils, de femmes et d’enfants tués augmente, j’ai vu beaucoup de ces mêmes personnes commencer à changer d’avis. Surtout depuis qu’Israël menace de frapper l’Iran.

Plusieurs Iraniens ont également célébré sur Twitter l’assassinat du [chef du Hezbollah] Hassan Nasrallah – là encore, par dépit pour le régime. Mais l’extension de la guerre avec le Hezbollah au Liban a touché de nombreux Iraniens, peut-être en raison de l’attachement sentimental à Beyrouth que nous avons dans notre imaginaire collectif, dans nos films et dans notre littérature.

Des automobilistes passent devant une affiche du président iranien Ebrahim Raisi, sur une autoroute dans la banlieue sud de Beyrouth, au Liban, le 21 juin 2024. (Crédit : ANWAR AMRO / AFP)

Quelle a été votre réaction au discours de Netanyahu au peuple iranien la semaine dernière ?

[Le 30 septembre, le Premier ministre Netanyahu a adressé un message vidéo aux Iraniens, affirmant qu’Israël « se tient à leurs côtés » et qu’ils « seront libres plus tôt qu’on ne le pense »].

Je pensais que c’était une plaisanterie. Pour qui se prend-il ? Nous n’avons pas besoin de son aide. Nous combattons ce régime par nos propres moyens depuis des années et nous continuerons à le faire sans intervention extérieure.

Une minorité d’Iraniens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, se range du côté du prince héritier Reza Pahlavi [le fils du chah destitué lors de la Révolution islamique de 1979]. Cette faction de royalistes est également pro-israélienne et pro-Netanyahu. Ils veulent qu’Israël assassine le chef suprême iranien et frappe toutes les infrastructures du pays pour provoquer l’effondrement du régime.

Mais il s’agit en fait d’une minorité de personnes qui ne se rendent pas compte que les citoyens finiront par payer le prix de la destruction.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu adressant un message vidéo à l’attention du peuple iranien, le 30 septembre 2024. (Crédit : Capture d’écran/Bureau du Premier ministre)

Que pensent les Iraniens du soutien apporté par le régime aux milices mandataires dans l’ensemble du Moyen-Orient ?

Nous y sommes fermement opposés. Le régime gaspille l’argent qui devrait être consacré aux infrastructures et à nos besoins quotidiens. Au lieu de cela, il finance le Hezbollah et d’autres mandataires. Les Iraniens luttent pour leur survie. Pourquoi devrions-nous souffrir de la faim alors que notre gouvernement envoie des armes au Hezbollah, aux Houthis ou au Hamas ? Le Corps des Gardiens de la Révolution islamique contrôle une grande partie de notre économie.

[Les analystes estiment que le Corps des Gardiens de la Révolution islamique a bâti un empire économique dans divers secteurs en Iran, souvent en utilisant des sociétés écrans].

Les États-Unis laissent d’autres pays s’en tirer avec des crimes alors qu’ils imposent des sanctions à l’Iran pour son programme nucléaire, mais en même temps, ils autorisent les enfants des responsables du CGRI à étudier dans les universités américaines.

La République islamique s’est divisée en plusieurs factions. Il y a une faction réformiste pro-Pezeshkian, une faction pro-russe, une faction conservatrice et d’autres encore. Ils se battent tous pour le pouvoir.

Le guide suprême iranien, l’ayatollah Ali Khamenei, à gauche, et le président iranien Masoud Pezeshkian lors d’une réunion avec le président et son cabinet à Téhéran, le 27 août 2024. (Crédit : KHAMENEI.IR/AFP)

Le régime actuel est profondément impopulaire. Lors de la dernière élection présidentielle, 60 % des électeurs se sont abstenus de voter, un geste délibéré pour montrer leur rejet du système. Parmi ceux qui ont voté, beaucoup étaient des travailleurs du secteur public qui craignaient de perdre leur emploi s’ils ne le faisaient pas. On peut donc supposer que l’opposition au régime dépasse largement les 60 %.

Les sanctions américaines ont paralysé notre économie. Les gens ont du mal à joindre les deux bouts et la guerre ne fait qu’aggraver la situation. La monnaie iranienne est très instable et les grèves de travailleurs sont de plus en plus fréquentes [dernièrement celles des travailleurs du pétrole et du gaz et des infirmières]. Nous sommes acculés, au pied du mur.

Le fait que le régime ait permis à Pezeshkian de se briguer la présidence indique qu’il voulait un réformateur, en raison du fossé énorme qui sépare les dirigeants du peuple. S’il veut conserver le pouvoir dans la région, le régime iranien doit d’abord résoudre ses problèmes intérieurs. Nous sommes vraiment à un point de rupture en tant que société.

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