En Israël, les experts en cannabis médical saluent l’assouplissement des règles
Les changements prévus dans les politiques de la Santé, conjugués aux cas de TSPT liés à la guerre, devraient conduire à une hausse de 70 % du nombre de patients enregistrés
Le militant en faveur du cannabis, Nir Youftaro, est devenu un héros populaire de la contre-culture en 2018. Son arrestation pour avoir fabriqué et distribué de l’huile de cannabis artisanale à des centaines de personnes souffrant de douleurs chroniques l’a propulsé sur le devant de la scène. Ces personnes refusaient de se soumettre à l’obligation de commencer par prendre des analgésiques opioïdes, comme c’était alors imposé aux patients officiellement autorisés à consommer du cannabis.
Cet épisode lui a valu le surnom de « Nir the King », ainsi qu’une affaire judiciaire en cours et non résolue.
La réglementation contre laquelle Youftaro s’est battu est sur le point d’être supprimée pour un grand nombre des affections pour lesquelles elle est utilisée. Cette règle exige que les patients aient suivi jusqu’à trois ans de médecine conventionnelle avant de pouvoir bénéficier d’un traitement au cannabis médical. Israël s’apprête à mettre en œuvre une nouvelle réforme globale de ses politiques en matière de cannabis médical.
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Ces changements de politique, prévus pour fin mars, ainsi qu’une probable augmentation du nombre de patients cherchant un traitement en raison de la guerre entre Israël et le Hamas, devraient augmenter de façon spectaculaire le nombre déjà élevé de patients enregistrés pour le cannabis dans le pays.
« Israël possède l’un des marchés du cannabis médical les plus importants et les plus organisés au monde ; le marché est en pleine croissance, avec 3 000 nouveaux patients supplémentaires chaque mois », a déclaré Youftaro, lors d’un entretien vidéo avec le Times of Israel.
Avec le Dr Idan Harpaz, immunologiste, Youftaro dirige aujourd’hui une société de conseil aux professionnels du cannabis, aux médecins et aux patients.
La nouvelle réglementation, prise dans son ensemble, représente une mise à jour complète qui constituera « un changement général dans tous les aspects du cannabis en Israël. Tout sera plus facile, il y aura beaucoup moins de contrôles », a-t-il déclaré.
La demande, encore la demande et le TSPT
Début mars, Israël comptait plus de 137 000 patients détenteurs d’une licence de consommation de cannabis médical, selon les données du ministère de la Santé, ce qui fait d’Israël, selon les experts consultés pour cet article, le plus grand marché de cannabis médical par habitant au monde.
La majeure partie de cette croissance a eu lieu ces dernières années ; au début de 2019, seuls 30 000 patients environ étaient enregistrés. Depuis le 1er octobre 2023, juste avant l’attaque terroriste dans le sud d’Israël qui a conduit au déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas, plus de 10 000 nouvelles licences ont été accordées.
Si les changements sont mis en œuvre sans trop de heurts, le nombre de patients pourrait augmenter de 70 % d’ici 2024, selon une estimation publiée en janvier dans le Israeli Cannabis Report, une analyse annuelle du secteur.
La guerre en cours aura probablement un impact sur l’augmentation du nombre de patients, car « le conflit en Israël devrait entraîner une augmentation du nombre de soldats souffrant de TSPT, ce qui pourrait élargir le bassin de consommateurs de cannabis médical », souligne le rapport.
Israël devrait compter au moins 30 000 nouveaux patients souffrant de TSPT à la suite de la guerre entre Israël et le Hamas, une « estimation prudente », selon le professeur Yaïr Bar-Haïm, expert en traumatologie à l’université de Tel Aviv, qui s’est récemment entretenu avec le Times of Israel.
Le ministère de la Santé a souligné que le cannabis n’est pas un traitement recommandé pour les traumatismes récents. Deux semaines après le début de la guerre, il a publié un communiqué dans lequel il déconseillait l’utilisation du cannabis pour traiter les séquelles immédiates d’expériences traumatisantes, ou TSA (troubles de stress aigu).
Ces derniers diffèrent du TSPT (trouble de stress post-traumatique), une affection à long terme qui se manifeste généralement un certain temps après les événements déclencheurs initiaux et qui peut être traitée dans les cas débilitants avec du cannabis, a déclaré le ministère.
Tsahal s’intéresse depuis longtemps aux différents traitements du TSPT et a commencé à étudier l’utilisation du cannabis pour le traiter en 2003. Actuellement, environ 17 % des patients israéliens sont traités au cannabis pour ce trouble, selon les données du ministère de la Santé.
La question du TSPT et du cannabis a été compliquée par un scandale qui a éclaté en décembre 2022, dans lequel des médecins approuvés par le ministère ont délivré des licences frauduleuses en échange d’honoraires exorbitants. Selon une mise à jour de l’affaire en février par le site d’information en hébreu Mako, les médecins avaient remis des milliers de fausses licences, délivrées en invoquant le TSPT.
Un accès plus aisé pour les patients
En vertu de la nouvelle réglementation, les personnes souffrant de TSPT devront présenter une réduction d’au moins 30 % de leur capacité fonctionnelle et suivre un traitement conventionnel pendant un an avant de se voir prescrire du cannabis qui, dans le cas du TSPT, sera associé à un traitement psychologique.
L’exigence d’un traitement conventionnel préalable a toutefois été supprimée pour la plupart des affections.
Nir Youftaro a déclaré que lui et d’autres militants attendaient depuis longtemps que le cannabis devienne un « traitement de première étape ».
« Si nous parvenons à faire passer le cannabis en premier, par exemple pour réduire les effets secondaires chez les patients subissant une chimiothérapie, c’est merveilleux. C’est un énorme changement en termes de qualité de vie », a-t-il ajouté.
La nouvelle réglementation permettra à un plus grand nombre de médecins de le prescrire, sous réserve de l’accord d’un service spécialisé qui sera mis en place par chacun des principaux prestataires de soins de santé, a-t-il expliqué.
Ce changement – un élément clé des réformes – est un pas décisif vers la mise à disposition du cannabis médical sur ordonnance, comme tout autre médicament, par opposition au modèle précédent de licences de cannabis médical accordées aux patients par un nombre limité de médecins privés approuvés par le ministère de la Santé.
La nouvelle politique augmentera le nombre de personnes éligibles à un traitement au cannabis médical en éliminant partiellement certaines limites d’âge. Elle permettra notamment aux enfants atteints de certaines maladies chroniques de bénéficier plus facilement de ces traitements, et aux personnes âgées de recevoir plus facilement des ordonnances, a-t-il ajouté.
La majorité des licences de cannabis médical en Israël sont accordées à des personnes souffrant de diverses maladies chroniques douloureuses, selon les données du ministère de la Santé. Des licences sont également accordées pour traiter le cancer et les effets secondaires de la chimiothérapie, le TSPT et d’autres troubles psychiatriques, divers troubles neurologiques, des maladies gastro-entérologiques et d’autres affections.
Limiter le tabagisme
La consommation de cannabis a par ailleurs des effets négatifs et potentiellement addictifs, comme l’a souligné l’Association médicale israélienne dans ses observations sur les réformes qu’elle a envoyées aux législateurs. L’une des principales recommandations de l’AMI, qui préconisait l’administration du cannabis médical principalement sous forme d’huile afin d’atténuer les effets nocifs du tabagisme, n’a pas été incorporée dans la politique mise à jour.
Il n’y a « aucune justification médicale » au préjudice causé à la santé personnelle ni au tabagisme passif causé en fumant du cannabis médical, et l’utilisation de l’huile devrait donc être la norme par défaut, a écrit l’IMA dans un document de 2023 envoyé au Times of Israel.
Le groupe médical a également noté que fumer du cannabis « est plus caractéristique de l’usage récréatif que de l’utilisation dans le cadre d’un traitement médical ». Il a noté en outre que « la pratique répandue de mélanger le cannabis avec le tabac » était un facteur « d’augmentation de la dépendance au tabac et de l’augmentation des taux de tabagisme. »
Selon les chiffres du ministère de la Santé, la grande majorité des produits à base de cannabis médical achetés par les patients titulaires d’une autorisation sont des fleurs de marijuana séchées. Israël autorise la vente d’huile de cannabis aux patients, mais pas de produits à base de cannabis tels que les produits que l’on peut manger ou les crèmes topiques. Il est peu probable que ce régime change dans le cadre de la nouvelle réglementation.
Une économie du cannabis relancée
Le ministère de la Santé a annoncé la réforme sous sa forme actuelle au début du mois d’août, même si certaines politiques avaient déjà été rendues publiques par des responsables. Approuvés par le gouvernement, les changements devaient être mis en œuvre avant la fin de l’année 2023, mais ils ont été retardés en raison du déclenchement de la guerre entre Israël et le Hamas.
La plupart des éléments de la réforme devraient entrer en vigueur d’ici la fin du mois de mars, certains faisant l’objet d’une période d’essai qui sera prolongée jusqu’à la fin de l’année 2024. La nouvelle réglementation peut être téléchargée (en hébreu) sur le site web du ministère.
Israël est déjà « le plus grand marché de cannabis médical par habitant au monde » et pourrait à terme compter jusqu’à 250 000 consommateurs de cannabis médical, selon Adi Rozenfeld, avocate spécialisée dans ce secteur et partenaire responsable du bureau du cannabis chez Herzog, Fox et Neeman, un important cabinet d’avocats de Tel Aviv.
La nouvelle mise à jour devrait « changer la donne », a-t-elle déclaré, car outre les sections qui faciliteront grandement l’accès et augmenteront le nombre de patients, la mise à jour comprend également une rationalisation d’un environnement réglementaire commercial difficile, qu’elle a appelé « les neuf couches de l’enfer ».
Les entreprises israéliennes de cannabis médical, dont beaucoup ont été « à l’article de la mort », ont dû naviguer dans un système complexe d’autorisations et de surveillance, en interagissant non seulement avec le ministère de la Santé, souvent lent à réagir, mais aussi avec la police, le ministère de l’Agriculture et d’autres organismes officiels, ayant chacun avec son propre calendrier d’inspections fréquentes et de paperasse, a déclaré Rozenfeld.
Selon elle, les nouvelles réglementations faciliteront considérablement les activités sur le terrain. « Il règne une atmosphère d’optimisme et nous avons le sentiment que quelque chose de positif est en train de se produire », a-t-elle ajouté.
Les nouvelles réglementations sont similaires « au processus par lequel toutes les industries du monde sont passées », a indiqué Ophir Nevo, directeur de l’Association israélienne du cannabis, un important groupe commercial de l’industrie qui coproduit le Israeli Cannabis Report (rapport israélien sur le cannabis).
« Je pense que le gouvernement essaie de faire les choses correctement et de ne rien faire qui soit susceptible de créer davantage de problèmes à l’avenir », a-t-il ajouté.
« Dès que les nouvelles réglementations seront adoptées, de nombreuses entreprises ouvriront leurs portes », a ajouté Nevo, notant que les réglementations permettront aux entreprises de cannabis de s’engager plus facilement dans la recherche clinique et d’exporter leurs produits.
Une route semée d’embûches
Il reste à voir comment cette réforme complexe sera mise en œuvre, mais il y a déjà des signes de problèmes à venir : les données publiées par le ministère de la Santé en mars, qui font état de quelque 137 000 patients autorisés, révèlent une baisse de quelque 3 000 par rapport au rapport précédent de février, après des mois de croissance rapide.
Le site web Israel Cannabis Maganize, spécialisé dans l’industrie du cannabis, a qualifié cette baisse « d’extrême », « la plus forte jamais enregistrée ».
Un porte-parole du ministère de la Santé a déclaré au Times of Israel « qu’il est impossible de mettre le doigt sur une seule raison » de cette baisse, mais il a noté que les années précédentes, à peu près à la même époque, il y avait eu des baisses similaires, bien que plus faibles, du nombre de patients.
Au début de la guerre entre Israël et le Hamas, le ministère a mis en place un système de renouvellement automatique des licences, mais cette politique a depuis été annulée, et il se pourrait donc que les patients n’aient tout simplement pas suivi la procédure de renouvellement à temps, a déclaré le porte-parole.
L’une des possibilités évoquées par Nevo pour expliquer la baisse « très inhabituelle » du nombre de patients est que les licences octroyées à tort par des « médecins douteux » ont été retirées du registre officiel. Le ministère de la Santé a toutefois déclaré que cette question était « entre les mains de la police » et qu’elle n’expliquait pas la baisse du nombre de patients.
Vers une légalisation ?
Israël est depuis longtemps à l’avant-garde dans le domaine du cannabis. Le principal composant psychoactif de la marijuana, le tétrahydrocannabinol ou THC, a été isolé par des chercheurs de l’Université hébraïque en 1964. L’usage médical du cannabis a été autorisé pour la première fois par le gouvernement dans les années 1990, et les années qui ont suivi ont vu l’industrie du cannabis médical se développer à pas de géant dans le pays.
En 2019, Israël a dépénalisé le cannabis pour l’usage personnel chez les adultes, de sorte que la punition pour possession de petites quantités de cannabis est comparable à une contravention et ne constitue plus une infraction pénale, même si le cannabis reste techniquement une substance illégale et réglementée.
Bien qu’ils aient obtenu le soutien tant de la population que d’une majorité de législateurs, divers efforts en faveur d’une légalisation complète ont été bloqués à la Knesset. La marche se poursuit toutefois au niveau international : en février, l’Allemagne, la plus grande économie d’Europe, a totalement légalisé la marijuana pour un usage récréatif chez les adultes.
L’usage non médical est très répandu en Israël ; le spécialiste du secteur, Nevo, a avancé un chiffre non vérifié de plus d’un million de consommateurs réguliers de marijuana à des fins récréatives, dans un pays qui compte quelque 9 millions d’habitants. Après avoir autorisé l’importation de cannabis en 2020, Israël est devenu le premier importateur mondial de cannabis médical en termes de volume, mais une partie de ce cannabis est écoulé sur le marché illégal, fait-il remarquer.
La part de « marché gris dans le pays, où circule une importante quantité de cannabis médical, est importante et en croissance », a indiqué Nevo, tout en ajoutant qu’il était opposé à une légalisation complète, qui engendrerait « une lourde bureaucratie, des taxes et des prix plus élevés ».
Les conditions actuelles – dépénalisation de l’usage privé et nouvelles réglementations visant à renforcer l’accès des patients et des entreprises – rappellent le marché californien avant la légalisation complète de la marijuana récréative en 2016, une situation « optimale » pour les patients, les entreprises et les utilisateurs occasionnels, selon Nevo.
D’autres experts interrogés pour cet article ne sont pas d’accord. Rozenfeld, l’avocate de Tel Aviv, a soutenu que la légalisation complète en Israël est inévitable et souhaitable. Un Israël avec un cannabis entièrement légalisé, « ouvert à la R&D, aux produits innovants, aux dispositifs médicaux, aux systèmes de livraison et à l’agro-technologie », serait en mesure d’imprimer une marque unique sur l’industrie mondiale, a-t-elle déclaré.
Quant au militant Youftaro, il a déclaré qu’étant donné le nombre élevé de consommateurs de cannabis en Israël, il était lui aussi fermement « en faveur d’une légalisation totale, avec la filière médicale subventionnée par les autorités sanitaires séparément. »
« Tant que je ne cause de tort à personne, ni à moi-même, c’est bon », a-t-il affirmé.
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