Israël en guerre - Jour 435

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En Israël, les raisons du surprenant essor de l’immobilier en pleine guerre

De l'avis d'experts, cette surprenante flambée des prix mêle causes systémiques, pénurie de main-d'œuvre et achats d'étrangers, au détriment des acheteurs israéliens

Panneau annonçant un projet immobilier dans le quartier de Gonen, à Jérusalem, en janvier 2020. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)
Panneau annonçant un projet immobilier dans le quartier de Gonen, à Jérusalem, en janvier 2020. (Crédit : Hadas Parush/Flash90)

Alors qu’en Israël, la guerre continue de faire rage sur plusieurs fronts, le marché immobilier continue de défier les attentes et les prix de l’immobilier atteignent presque des niveaux records.

Ce paradoxe n’est pas sans soulever quelques questions, et notamment celle-ci : comment la demande de logements peut-elle rester à un niveau élevé dans un pays en proie à une telle tourmente ?

C’est en fait une combinaison de facteurs – notamment la pénurie, déjà ancienne, de logements, la forte croissance démographique et la vigueur des investissements étrangers, qui maintient la demande à un niveau élevé, même si le conflit a des effets négatifs sur les chantiers de construction et la stabilité économique.

L’activité de ce marché n’est pas sans poser d’importants problèmes aux primo-accédants, qui se retrouvent chassés des centres-villes.

Selon le dernier indice Alrov en date relatif à l’accession au logement, pour le deuxième trimestre 2024, les prix des logements sont devenus inabordables, comparables à ceux du deuxième trimestre 2023.

Cet indice, qui mesure l’accessibilité du logement, en termes de mensualités de remboursement de crédit et d’acompte nécessaire à l’acquisition, met en évidence les difficultés croissantes que rencontrent nombre d’Israéliens désireux d’accéder à la propriété.

Danny Ben-Shahar, co-auteur du rapport et directeur de l’Institut Alrov pour la recherche immobilière à la Coller School of Management de l’Université de Tel Aviv, explique que la forte hausse des prix a commencé bien avant la guerre.

« Si l’on regarde les dix dernières années, on constate que les prix ont commencé à augmenter aux environs de 2007, avec une brève stabilisation avant 2020. Et ces deux dernières années, les prix ont de nouveau augmenté fortement », explique-t-il au Times of Israel.

La guerre – qui a commencé en octobre 2023 lorsque des milliers de terroristes du Hamas ont envahi Israël pour y massacrer 1 200 personnes et faire 251 otages, depuis séquestrés dans la bande de Gaza – pourrait laisser penser que le marché immobilier a ralenti, mais la demande ne faiblit pas.

« Ce qui me surprend, c’est qu’en dépit du conflit, la demande reste forte. Les gens investissent toujours dans l’immobilier israélien », ajoute Ben-Shahar. Les chiffres du Bureau central des statistiques (CBS) d’Israël corroborent cette affirmation : les prix continuent en effet d’augmenter de l’ordre de six à sept pour cent chaque année.

Danny Ben-Shahar, directeur de l’Institut Alrov pour la recherche immobilière à la Coller School of Management de l’Université de Tel Aviv. (Avec l’aimable autorisation de Micha Loubaton)

Un réseau complexe de forces économiques

Pour comprendre cette anomalie, les experts évoquent un ensemble de facteurs macroéconomiques qui plongent leurs racines bien au-delà de la guerre.

Nir Mualam, professeur d’architecture et d’urbanisme au Technion – Institut israélien de technologie de Haïfa, rappelle que même avant le conflit, les prix des logements avaient considérablement augmenté en raison de problèmes systémiques sur le marché israélien.

« Le principal problème est la pénurie chronique de logements, qui existait bien avant la guerre », explique-t-il. « La planification israélienne ne peut tout simplement pas produire suffisamment de logements pour répondre à la demande. »

La population en plein essor d’Israël, qui affiche l’un des taux de croissance les plus élevés du monde développé, alimente encore davantage cette demande.

Selon le CBS, la population d’Israël a augmenté de 1,6 % rien qu’en 2023.

« Avec 2,6 millions de foyers en Israël, nous avons besoin de 55 000 à 65 000 logements supplémentaires chaque année rien que pour suivre le rythme de la croissance démographique », explique Ben-Shahar.

The maternity ward at Bikur Holim Hospital in Jerusalem (photo credit: Flash90)
La maternité de l’hôpital Bikur Holim de Jérusalem. Illustration. (Crédit : Flash90)

Pourtant, c’est impossible. Mualam évoque la tendance à « acheter sur plan » – les acheteurs acquièrent un logement avant même sa construction effective – ce qui assure une mise de départ aux promoteurs mais n’accorde aucune garantie en matière de délais de livraison. Cette pratique a eu pour effet d’accentuer le côté spéculatif du marché du logement : les prix continuent d’augmenter, reflets des attentes et non des constructions livrables.

L’impact de la guerre sur le secteur de la construction

La guerre a exacerbé la pénurie de logements, principalement en raison des difiultés dans le secteur de la construction. Les travailleurs palestiniens, qui représentent une part importante de la main-d’œuvre de la construction israélienne, ont pour l’essentiel disparu du marché depuis octobre 2023. Cette pénurie de main-d’œuvre a mis à l’arrêt un très grand nombre de nombreux projets qui étaient en cours.

Mualam note qu’avant la guerre, la pandémie de COVID-19 avait déjà entamé les capacités de construction de nouveaux logements, faute pour les ouvriers originaires de Cisjordanie et de Gaza d’avoir accès aux grandes villes israéliennes.

A mesure que la guerre se durcit, les entreprises de construction cumulent les retards à cause de la mobilisation au titre de la réserve de Tsahal de leurs propriétaires ou de leurs employés, laquelle affecte la capacité à programmer et mener à bein de nouveaux projets.

Contacté pour s’exprimer sur la question, le chef du groupe H.K.R. Construction, à Kfar Saba, a répondu par SMS qu’il se trouvait actuellement dans la réserve, dans le nord, et qu’il n’était pas disponible pour évoquer l’impact de la situation sur son entreprise.

C’est une illustration des conséquences du conflit sur le secteur du logement.

Hausse des taux d’intérêt et demande internationale

Un autre facteur contribue au coût élevé du logement en Israël : la récente flambée des taux d’intérêt. Ben-Shahar explique que la guerre a entraîné une augmentation de la prime de risque d’Israël et une baisse sensible de sa note de crédit. La Banque Centrale maintient des taux d’intérêt élevés pour lutter contre l’inflation mais les prix de l’immobilier continuent d’augmenter.

Pourtant, contrairement à d’autres pays, les anticipations d’inflation en Israël restent obstinément élevées.

« Des pourparlers en vue de nouvelles hausses des taux d’intérêt sont en cours », confie Ben-Shahar, suggérant que la situation pourrait s’aggraver encore avant de s’améliorer.

La demande intérieure de biens immobiliers a quelque peu ralenti en raison de la guerre et des difficultés économiques qu’elle a entraînées, mais l’intérêt des étrangers pour l’immobilier israélien a considérablement augmenté.

Le courtier immobilier Yuri Wolosov, de l’agence immobilière Armon, à Bat Yam, parle d’un afflux notable d’acheteurs étrangers, en particulier des États-Unis et de France.

Le luxueux quartier de Mamila à Jérusalem, le 27 octobre 2015. (Crédit : Lior Mizrahi/Flash90)

« Je reçois des appels de riches clients juifs, à New York ou Paris, qui veulent acheter des biens en Israël, sans que ce soit pour une utilisation immédiate, mais plutôt comme une couverture risque contre la montée de l’antisémitisme dans leur pays », analyse Wolosov.

En effet, l’Anti-Defamation League (ADL) a enregistré plus de 10 000 actes antisémites aux États-Unis depuis le 7 octobre 2023, soit 60 % de plus par rapport à l’année précédente. « Les gens ont peur », ajoute Wolosov. « Ils ont le sentiment que quelque chose de pire encore se prépare. »

En dépit des craintes, les clients fortunés avec lesquels il travaille n’hésitent pas à dépenser. « Ils achètent des biens d’une valeur de 4 ou 5 millions de shekels sans crédit », poursuit-il. « Ce ne sont pas des biens bon marché. »

La crise des primo-accédants

Pour les primo-accédants, le marché actuel est un défi presque insurmontable. Ben-Shahar reconnaît que la situation est désastreuse, en particulier pour ceux qui veulent s’installer dans les zones centrales d’Israël.

« Une grande partie des ménages israéliens ne peuvent déjà plus se permettre une maison dans des villes centrales comme Tel Aviv ou Jérusalem, ce qui les oblige à se tourner vers les zones périphériques comme Beer Sheva ou Haïfa », explique-t-il.

Les prix élevés du logement, combinés à la flambée des taux d’intérêt, font que nombre de primo-accédants sont évincés du marché.

« Cette hausse des prix et ces taux d’intérêt élevés créent une situation tout simplement intenable pour les candidats à la primo-acquisition », résume Ben-Shahar.

Une femme ultra-orthodoxe lit un livre à côté de sa poussette, sur la plage (Tsafrir Abayov/Flash90)

Un changement dans les priorités des acheteurs de maison

La guerre influence par ailleurs les choix des acheteurs.

M. Wolosov explique que, parmi ceux qui peuvent encore se porter acquéreurs, la demande est forte sur le segment des biens neufs avec des pièces sécurisées intégrées – les mamad -, signe de préoccupations sécuritaires accrues. Pour certains, la modernisation des biens plus anciens, pour y aménager des pièces sécurisées renforcées, est devenu une priorité, en particulier pour ceux qui ne peuvent pas se reloger.

Eli Perlowitz, entrepreneur indépendant spécialisé dans la rénovation à Jérusalem avec sa société Jerusalem Construction, confirme la demande accrue d’aménagement de pièces sécurisées.

« Je reçois de plus en plus de demandes de clients qui souhaitent renforcer leur pièce sécurisée. Certains veulent même installer des abris dans leur jardin », ajoute Perlowitz.

« Compte tenu de la situation actuelle, disposer d’un lieu sécurisé dans son logement est devenu le plus important. »

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