En pleine vague de froid, les communautés juives du Texas se serrent les coudes
Synagogues, groupes juifs, restaurants casher et particuliers se sont associés pour répondre aux besoins de la communautés alors que l'Etat est dépassé par les sinistres

JTA — Il y a un an, la communauté juive de Dallas a tenu une « réunion de crise » pour coordonner la réponse à la pandémie de Covid-19 qui faisait timidement son apparition.
L’équipe, composée de rabbins de toutes affiliations confondues et de directeurs d’agences juives locales, a su se recycler pour gérer une crise d’un autre genre. Le Texas a affronté un hiver inhabituellement rude et des millions de personnes sont sans accès à une source de chaleur, à l’électricité et à l’eau potable.
Pour le moment, le groupe a offert son aide aux seniors et aux personnes sans électricité. Les synagogues et leurs fidèles accueillent ceux qui sont privés de courant. La fédération juive de la région de Dallas s’est associée à Kosher Palate, un restaurant casher, pour faire livrer des milliers de repas aux Juifs privés d’électricité. Le restaurant avait entamé ce projet seul et a pu ensuite compter sur l’aide de la fédération.
« Je passe mon temps à dire que c’est la raison pour laquelle la fédération a été créée », a dit Mariam Shpeen Feist, présidente et PDG de la fédération. « Nous avons été créés pour répondre à la crise. »
Le Texas abrite une population juive forte de 130 000 membres, principalement concentrés autour de Dallas et de Houston. L’Etat et ses populations juives, n’ont pas été épargnés par les crises ces dernières années. En 2017, l’ouragan Harvey a décimé la région de Houston, inondant des milliers de maisons juives et causant des dégâts estimés à plusieurs millions de dollars dans les synagogues et institutions juives. En 2019, une tornade de catégorie 5 a frappé Dallas, endommageant encore davantage les communautés juives. Et la pandémie a bien évidemment modifié tous les aspects de la vie juive et de la vie communautaire.
Le bilan de ce dernier sinistre – assez rare dans un Etat ou le climat est généralement tempéré – n’est pas encore définitif. En date de jeudi matin, près de 500 000 maisons et commerces étaient toujours sans électricité, comme de larges secteurs du Texas. Les hôpitaux manquent d’eau. Sept millions de résidents doivent faire bouillir leur eau pour la rendre potable Au moins trente décès liés à la tempête ont été signalés et certains brûlent leurs meubles pour se réchauffer.

Et une autre tempête est en route.
« La situation est assez désastreuse », a déclaré Steven Adler, maire d’Austin – la capitale de l’Etat – qui est juif, à une chaine de télévision locale jeudi matin, se demandant, comme de nombreux Texans, pourquoi le réseau de distribution d’énergie de l’État n’était pas préparé à affronter des températures inférieures à zéro. « C’en est trop pour tout le monde. Les gens sont en colère, confus et frustrés. Et je le suis aussi. »
Cette colère est notamment alimentée par ce que certains perçoivent comme un laxisme dans la réaction des chefs de l’Etat. L’ancien gouverneur Rick Perry a déclaré que les Texans préféraient les pannes d’électricité à la réglementation du réseau électrique au niveau fédéral et le sénateur Ted Cruz s’est envolé pour Cancun et a pris des vacances dans la station balnéaire mexicaine. Tous deux sont républicains.
Les communautés juives prennent des mesures pour répondre aux besoins. A Dallas, l’une des deux résidences senior juives n’a plus de courant ni d’accès au générateur de secours et a dû transférer les pensionnaires dans l’autre établissement, qui vient tout juste de rouvrir.
Deux unités d’intervention d’urgence dirigées par des juifs orthodoxes, Hatzalah de Dallas et la toute nouvelle organisation Texas Chaverim, toutes deux fondées par un résident local, Baruch Shawel, ont envoyé des patrouilles pour aider les résidents en cas de panne de batterie de voiture, d’urgence médicale et d’autres problèmes.
« C’est la folie ici », a dit Hannah Lebovits, professeure à l’université Texas-Arlington, qui vit dans une communauté orthodoxe au nord de Dallas, a déclaré que les coupures de courant, qui s’accompagnent de coupure de chauffage et de pression d’eau. « Heureusement, dans la communauté juive, nous créons souvent nos propres systèmes d’aide mutuelle. »
« Mais ce n’est pas à Chaverim de faire ça. Les autorités de Dallas devraient toquer à ma porte et vérifier que tout va bien », a dit Lebovitz.
A Houston aussi, les dirigeants juifs s’appuient sur un travail de terrain coordonné bien avant que le froid ne frappe. Traumatisés par la réponse désorganisée après les crues causées par l’ouragan Harvey, la fédération juive de la région de Houston avait établi le Réseau d’Action et de Réaction juive au début de l’année 2020, avant même la pandémie.

« Après Harvey, chaque synagogue a géré à sa façon. Chacun préparait à manger. Ce n’était pas coordonné », a raconté Jackie Fisherman, directrice du Réseau et directrice des affaires gouvernementales au sein de la fédération de Houston. « Nous nous sommes dit que nous pouvions mieux faire. »
Cette semaine, la fédération de Houston a pris des mesures pour atténuer l’impact de la tempête d’hiver sur la communauté juive de Houston, qui compte environ 55 000 personnes et est plus âgée. Le groupe a contribué à l’achat de carburant pour un générateur de secours dans une résidence senior, a participé à la distribution de 10 000 bouteilles d’eau à la communauté et a aidé quelques personnes ayant besoin d’électricité à sécuriser les générateurs de la ville – tout en continuant à travailler avec les dirigeants juifs locaux sur un plan de lutte contre le coronavirus.
Sur le terrain à Houston, certains, dont des représentants de la fédération, affirment que de nombreux Juifs de Houston vivent dans des zones qui ont évité le plus gros des pannes, bien que l’absence de service de téléphonie mobile fiable et d’autres problèmes de communication toute la semaine aient empêché les équipes d’intervention de dresser un tableau clair de la situation. Mais des défis restent à relever, car la région de Houston, comme une grande partie du Texas, est contrainte de faire bouillir son eau pour la rendre potable. De nombreux tuyaux gelés risquent d’éclater au moment du dégel.
« La pratique vous rend meilleur, et il n’y a pas vraiment moyen de se préparer à une catastrophe tant que vous ne l’avez pas vécue », a déclaré Fisherman. Néanmoins, « je me réjouis d’avoir un travail vraiment ennuyeux à l’avenir », a-t-elle ajouté.
La communauté juive de Houston a également contribué à la réponse plus large de la ville en ce qui concerne le vaccin contre la COVID-19. Des coupures de courant ont affecté la distribution du vaccin dans tout l’État, qui doit être conservé à des températures glaciales jusqu’à ce qu’il soit prêt à être utilisé. En réponse à un besoin soudain et urgent cette semaine de distribuer des doses de vaccin, les synagogues de l’Orthodox Union de Houston ont rapidement proposé leurs bâtiments comme centres de vaccination, et ont réussi à orchestrer l’administration de 350 doses à la communauté en quelques heures.

Malgré les défis du moment, la vie juive de certains Texans a trouvé un moyen de continuer. À Austin, Sam Robinson est devenu bar mitsva le week-end dernier.
La famille avait déjà prévu d’organiser les offices sur Zoom en raison de la pandémie, mais elle a dû se démener à la dernière minute pour relever les défis du moment lorsque leur synagogue, la congrégation Agudas Achim, a été privée d’électricité et a dû se contenter d’un parking glacé qui les a empêchés de s’approcher suffisamment du bâtiment pour pouvoir porter la Torah.
Au lieu de lire des passages des trois rouleaux de Torah de la congrégation depuis l’estrade, comme il avait prévu de le faire, Sam a dû diriger l’office depuis sa maison, en lisant des passages de la Torah depuis des photos prises par son père sur son téléphone.
« Tous nos plans, nous avons dû les mettre au rebut et préparer la maison avec frénésie », a déclaré Sam. « Nous l’avons fait sur la table de la salle à manger. On a juste tout mis de côté. »
Moins de 24 heures après la bar mitsva de Sam, la maison des Robinson a aussi été privée d’électricité. Avec la chute soudaine des températures, la mère de Sam, Rachel, a également trouvé une utilité aux nombreux chapeaux, écharpes et couvertures qu’elle avait pris le temps de tricoter pendant son temps libre depuis le début de la pandémie. Rachel a ajouté que la famille Robinson pourrait se retrouver à puiser dans sa réserve de matsa de Pessah pour les enfants d’un an s’ils ne sont pas en mesure de cuisiner.
« Cela nous a certainement tenus en haleine, a mis à l’épreuve notre résistance », a déclaré le père de Sam, Alex. Il a remercié sa congrégation pour la flexibilité dont elle a fait preuve dans l’organisation de cet événement.
Sam a dit qu’il est « encore déçu de ne pas avoir eu accès aux trois rouleaux de la Torah », mais il est heureux de la façon dont s’est déroulée sa bar mitsva.
« Wow, cette semaine a été bizarre », a-t-il dit.
Le leader d’Agudas Achim, le rabbin Neil Blumofe, a écrit sur Facebook jeudi matin que les conditions à Austin restaient difficiles, même si le courant a été rétabli chez lui après plus de 50 heures.
« Cette crise finira par passer, mais nous n’oublierons pas la misère de ces derniers jours – comment certains membres de notre communauté sont entièrement habités par le ‘hessed et comment d’autres gouvernent avec indifférence et égocentrisme », a écrit le rabbin Blumofe, en utilisant le mot hébreu pour désigner la bienveillance envers ceux qui sont dans le besoin.
À Dallas, la rabbin Shira Wallach de la congrégation Shearith Israel, une synagogue conservatrice, a puisé dans sa réserve de bougies de Shabbat et de bougies commémoratives pour garder la maison de sa famille au chaud lorsque le courant a été coupé. Elle a dit que les deux filles du couple, âgées de 1 et 5 ans, se couvraient instinctivement le visage, pensant qu’il était temps de réciter les bénédictions.

Ce moment a apporté de la légèreté dans une période difficile – un moment que le mari et collègue rabbin de Wallach, Adam Roffman, a déclaré approprié pour ce moment du calendrier juif. Pourim, une fête caractérisée par des célébrations censées donner un sentiment de confusion, commence cette semaine – quand la température avoisine généralement le 20 degrés.
« Nous sommes ici à Dallas, au Texas », a déclaré Roffman. « Le reste du pays se moque de nous parce que nous sommes la capitale de la production d’énergie du pays et que nous n’avons ni chauffage ni électricité. C’est une situation qui est très pourimesque. »