En s’inspirant du livre de Ruth, un écrivain évoque le chemin vers la foi de 7 femmes
Pour Shavouot, lisez « Godstruck » de Kelsey Osgood, récit de sa conversion au judaïsme orthodoxe et de a conversation de six autres femmes, toutes confessions confondues
Chaque fois que l’écrivaine Kelsey Osgood entend le livre de Ruth, au moment de Shavouot, elle se sent en communion avec ce récit biblique.
A l’instar de Ruth, Osgood s’est convertie au judaïsme – et comme son illustre prédécesseure, sa décision d’embrasser la religion juive a été le fruit d’une longue histoire. Une histoire qu’elle livre, en plus de six autres récits, dans son tout nouveau recueil, « Godstruck : Seven Women’s Unexpected Journeys to Religious Conversion [NDLT : Godstruck : Le surprenant chemin de sept femmes vers la conversion religieuse ».
« A la fin de la vingtaine, avant ma conversion, j’avais une vision très romantique de Ruth et de sa décision de prêter allégeance à Naomi et de se rendre en Israël ; j’avais le sentiment que cela incarnait la foi dans ce qu’elle peut avoir de plus pur », confie Osgood au Times of Israel en évoquant ce célèbre extrait de Ruth 1:16 : « Où que tu ailles, je te suivrai ; où que tu vives, je vivrai. Ton peuple sera mon peuple et ton Dieu, mon Dieu. »
« Pour autant », ajoute-t-elle, j’ai toujours lu ce texte avec le recul critique et historique qui s’impose, bien consciente des difficultés auxquelles Ruth a dû faire face, en tant que femme, au sein du monde antique et en tant que non-Israélite qui faisait de son mieux pour s’assimiler à sa nouvelle culture. »
Les femmes de la génération Y dont il est question dans ce livre remettent en cause l’une des étiquettes que l’on met souvent à leur génération, à savoir sa laïcisation galopante, en adoptant des confessions qui vont du catholicisme à l’islam – en passant par le mouvement quaker et par l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours. Dans le dernier chapitre, Osgood évoque sa propre conversion au judaïsme orthodoxe, il y a de cela dix ans.
Les motivations de ces femmes étaient souvent complexes, parfois même pour elles. Soucieuse de découvrir un point commun les reliant à elle-même, l’autrice dit avoir trouvé ce point commun dans l’expression biblique « Na’aseh v’nishma », qu’elle traduit par « Nous ferons et écouterons », l’acte de foi des Israélites au moment où ils devaient recevoir les Dix Commandements, au pied du mont Sinaï.
« Je suis quasi-certaine que toutes ont vécu plus ou moins la même chose sur le plan religieux », poursuit Osgood. « Elles se sont senties attirées par quelque chose, elles ont trouvé un sens aux choses, sans vraiment savoir dire pourquoi. »
Ce à quoi elle voit une conséquence : « Elle font partie de quelque chose de tellement grand et de tellement fort – leur relation à Dieu – qu’elles font parfois des choses qui semblent difficiles voire étranges aux yeux des autres. » Pourtant,ajoute-t-elle, il a été « absolument essentiel pour elles d’agir comme elles l’ont fait, de continuer dans cette voie. On peut dire, je crois, qu’elles ont toutes en commun cette expérience. »
Comme Osgood l’explique dans l’introduction de son livre, elle a choisi de parler des femmes parce que « la plupart des convertis sont des femmes ». Osgood consacre un chapitre à chacune de ces sept femmes, assorti de réflexions inspirées de sa propre histoire et d’idées de penseurs comme le rabbin Nahman de Breslov ou William James.
Osgood a grandi, dit-elle, dans « une famille chrétienne laïque ». Ses jeunes années ont été marquées par un scepticisme à l’égard de Dieu et par un combat contre l’anorexie – une lutte évoquée dans son précédent ouvrage, intitulé « How to Disappear Completely: On Modern Anorexia [NDLT : Comment disparaître complètement : sur l’anorexie moderne] ».
C’est une conversation fortuite avec un médecin qui l’a aidée à repenser son rapport à Dieu.
Et c’est cette réflexion qui aura mené Osgood au judaïsme. Elle sortait alors avec un homme issu d’un milieu réformé. Le couple s’est depuis marié et il a aujourd’hui trois enfants, élevés dans le Bronx. Elle aime le quartier où elle vit, où elle croise de jeunes familles juives et des expatriés israéliens, un quartier qui offre aussi de nombreuses opportunités pour le Shabbat, bien davantage qu’à Brooklyn ou au Royaume-Uni, où elle a vécu. Pour autant, tout n’est pas rose.

« Je me sens souvent démunie au moment d’expliquer à mes enfants le genre de monde dans lequel ils vont grandir », confie-t-elle. « La nécessité d’Israël, la profondeur de l’antisémitisme … Je n’ai pas connu l’antisémitisme quand j’étais enfant. Une partie de moi ne se sent pas prête pour leur expliquer toutes ces choses. »
Quand le vêtement fait la femme
Au sujet de sa décision de se lancer dans une conversion orthodoxe et non conservatrice ou réformée, Osgood explique : « Ainsi, je me sens meilleure : je voulais tout savoir, je voulais y consacrer tout mon temps. »
Elle parle de son attachement à porter des jupes au lieu de tenues plus décontractées, et des réflexions de son mari sur son aspect religieux. Ce à quoi elle a un beau jour répondu : « Sois je me convertis à l’orthodoxie soit je ne fais rien » – des propos qui lui ont valu un « Quoi ? » de sa part.
Les six autres femmes évoquées par Osgood ont, elles aussi, ouvertement dit leur volonté de changer de foi. C’est le cas de Hana, qui s’est convertie à l’islam et qui a participé à une émission de télé-réalité sur Oxygen, se livrant sur le port du couvre-visage islamique pour les femmes – l’abaya – et sur ses projets d’installation en Arabie saoudite.

Comme l’illustre le chapitre qui lui est consacré, Hana connait une jeunesse difficile : on apprend en effet dans le livre qu’au lycée, elle perd sa mère, une ressortissante tchéco-américaine, et que son père ne lui est, à ce moment-là, d’aucun réconfort. À l’université, Hana trouve enfin un apaisement dans un verset du Coran et elle se lie d’amitié avec des étudiants musulmans du campus, avant de finalement se convertir en 2011. Pendant cinq ans, elle portera un niqab – ce vêtement qui couvre non seulement les cheveux des femmes, comme le fait un hijab, mais également leur visage, à la seule exception des yeux.
Une fois diplômée, elle part vivre en Californie et se lie à des musulmans des environs originaires d’Arabie saoudite, y compris avec un natif saoudien qui devient son meilleur ami. Elle fait siennes les pratiques traditionnelles de l’islam saoudien et elle part y vivre. Ironiquement, elle refusera de travailler au service d’un millionnaire et philanthrope saoudien, jugeant son niqab en décalage avec un royaume sur la voie de la modernité.
Sa recherche de l’amour au Moyen-Orient n’est pas si simple, précise Osgood : « Elle se sent particulièrement attirée par les hommes d’une certaine région de l’Arabie saoudite, réputée conservatrice », là où les couples se font en fonction d’allégeances tribales anciennes, et non de la religion ».
Ne pas se convertir pour le mariage
A propos des conversions relatées dans son livre, Osgood explique : « Dans le cas de ces femmes, on peut légitimement dire que leur conversion n’a rien à voir avec un potentiel partenaire amoureux. Et dans certains cas, cela leur a même nui sur ce plan-là.

Orianne, une autre des femmes qu’Osgood évoque dans son livre, a totalement abandonné l’idée de se marier. Née au Canada d’un père mennonite et d’une mère druze libanaise, Orianne a non seulement embrassé la foi catholique mais elle est aussi devenue religieuse au sein des Filles de Saint-Paul. Aujourd’hui, elle répond au nom de Sœur Orianne et prie cinq fois par jour avec ses consœurs, dans un couvent.
Selon Osgood, l’histoire d’Orianne montre qu’avec « des choses qui… sont au cœur de la tradition catholique – à savoir la solitude, le silence, la contemplation -, Orianne a su donner à des concepts séculaires une touche moderne grâce à Instagram, où elle est suivie par plus de 100 000 abonnés. « J’ai regardé ce qu’elle publiait et je l’ai contactée », se souvient Osgood.
Au sein de nombreuses communautés religieuses, hommes et femmes mènent une existence que la société américaine dominante peut considérer comme traditionnelle, sinon conservatrice. Cet ouvrage questionne également la décision prises par ces femmes de rejoindre des communautés religieuses qui encouragent – lorsqu’elles ne l’imposent pas – une ségrégation des rôles selon le sexe.
« Je me souviens, au moment de ma conversion, certains se demandaient dans quelle mesure, en tant que femme, en adhérant à une forme plus ‘conservatrice’ de la foi, il n’y avait pas une forme de dissonance ? » confie Osgood. « Un peu comme si vous mettiez votre destin entre des mains qui… ne vous veulent pas que du bien ? N’étais-je pas en train de renoncer moi-même à ma liberté ? C’était en 2015, au pinacle de l’ère de la femme forte. »
Elle a pour cela un contre-argument : « Les femmes devraient être plus ouvertes à l’idée de tenir… des rôles conservateurs », « sans être pour autant une femme soumise ».
Un nouveau rythme de vie
Osgood relève une forme de décalage entre le confort technologique du monde moderne, accessible 24 heures sur 24, et l’attrait intemporel de la religion, avec ses liens inextricables au monde naturel – à commencer par le cycle du jour et de la nuit, celui des saisons et de la solitude.
« Je sens en moi le désir très fort d’avoir une relation plus privée ou intime avec Hachem, avec Dieu, et en même temps, une grande partie de ma vie est imprégnée d’une forme de modernisme, voire de laïcité dans mon regard au monde », confie Osgood. « Je vais à l’épicerie acheter ma nourriture, je commande mon déjeuner par téléphone, je m’énerve quand le train n’est pas à l’heure. »
Celle qui s’ennuyait, autrefois, le samedi après-midi, est aujourd’hui très reconnaissante du répit de 24 heures que lui permet le Shabbat.
« C’est comme pour tout, au bout d’un certain temps, cela devient plus facile », affirme Osgood. « Il m’a fallu du temps pour entrevoir la valeur de cette oisiveté que je trouvais autrefois vraiment agaçante. Faire quelque chose parce que c’est sympa et agréable, et parce que qu’on est tous ensemble, c’est amusant, mais il n’y a pas de résultat mesurable au final. »
Faire le grand saut – sans vraiment comprendre pourquoi – c’est exactement ce qu’ont fait l’autrice et les six femmes dont elle relate le parcours tout au long de ce livre. Cela peut paraître contre-intuitif mais c’est au final très en phase avec l’expérience des individus et des groupes au fil du temps.
Comme l’écrit Osgood dans son livre, ce fut le cas de « ce groupe de Juifs affamés, tout-à-la fois en colère et stupéfaits, qui se tenaient debout au pied d’une montagne, disant à une voix divine ‘na’aseh v’nishmah’ : ‘Nous ferons et nous écouterons’ ».
« Rien que de l’entendre et d’y penser, cela m’a complètement chamboulée », confie Osgood. « Cela va à l’encontre de… d’une certaine idée de l’individualisme à l’américaine… celle de faire les choses simplement parce que l’on est censé les faire. »
« Evidemment que c’est fabuleux de le faire sciemment et d’en retirer un épanouissement », lance-t-elle. « Mais même si ce n’est pas le cas, il faut parfois faire, un point c’est tout. Cela a, en quelque sorte, été un déclic pour moi ».
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