Erdogan inaugure une nouvelle ère en Turquie avec des pouvoirs renforcés
Le poste de Premier ministre sera supprimé, le chef de l'Etat détiendra désormais l'ensemble du pouvoir exécutif et pourra promulguer des décrets

Recep Tayyip Erdogan prête serment lundi pour un nouveau mandat aux pouvoirs considérablement renforcés, ouvrant une nouvelle ère dans l’histoire moderne de la Turquie avec le passage à un système présidentiel dénoncé par ses détracteurs comme un virage autocratique.
M. Erdogan, 64 ans, a été réélu le 24 juin pour un nouveau mandat de cinq ans, remportant l’élection présidentielle dès le premier tour, avec 52,6 % des voix, loin devant ses concurrents.
Il prêtera serment lundi puis présidera une cérémonie au palais présidentiel marquant officiellement le passage au système présidentiel aux termes d’une révision constitutionnelle adoptée par référendum en avril 2017.
M. Erdogan bénéficiait déjà de pouvoirs très larges, mais « désormais, il aura le soutien institutionnel et légal pour contrôler quasiment tout », explique Ayse Ayata, professeure de Sciences politiques à l’Université technique du Moyen-Orient (Ödtü) à Ankara.
Le poste de Premier ministre sera supprimé, le chef de l’Etat détiendra désormais l’ensemble du pouvoir exécutif et pourra promulguer des décrets.
Il nommera également six des treize membres du Conseil des juges et procureurs (HSK), chargé de nommer et destituer le personnel du système judiciaire.
Et, comme le président peut désormais rester à la tête de sa formation politique, « il aura le contrôle des députés de son parti, ce qui signifie que le président aura le contrôle sur les branches exécutive, judiciaire et législative du pays », souligne Emre Erdogan, professeur de Sciences politiques à l’Université Bilgi à Istanbul.
« Un tel système crée un vaste espace d’opportunités pour qu’un président (…) gouverne le pays à lui seul », ajoute-t-il.

Négociations
« Avec ce système, lorsque le président contrôle la majorité au parlement, tous les autres partis politiques perdent leur utilité », poursuit le professeur.
Or, lors des élections législatives qui se sont tenues en même temps que la présidentielle, le 24 juin, le Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) de M. Erdogan a obtenu 295 sièges sur 600, et son allié ultranationaliste MHP 49 sièges.
Ainsi, dans la nouvelle législature, l’AKP ne dispose pas seul de la majorité et comptera sur le soutien du MHP pour contrôler le parlement. Mais « avec le temps, le MHP pourrait reconsidérer sa position et formuler des exigences », comme des postes au gouvernement, des concessions ou des emplois, estime Mme Ayata.
Faute de soutien du MHP, M. Erdogan devrait négocier sur chaque texte avec les différents partis pour s’assurer une majorité.
Certains députés du Bon parti (Iyi parti, droite nationaliste), qui s’est présenté dans une alliance de l’opposition, ont toutefois d’ores et déjà annoncé qu’ils étaient prêts à voter certaines lois proposées par l’AKP, « si elles sont bonnes ».
De nombreux experts craignent en outre que l’alliance forcée avec le MHP ne conduise à un durcissement de la politique menée par M. Erdogan, notamment sur la question kurde.

Défis
Après sa prestation de serment lundi, M. Erdogan présentera son nouveau gouvernement resserré qui devrait compter 16 ministères contre 26 (sans compter le Premier ministre) actuellement.
Plusieurs ministères seront donc fusionnés, comme le ministère des Affaires européennes, qui fera désormais partie du ministère des Affaires étrangères.
La présidence s’appuiera également sur des « commissions » et des bureaux consacrés à divers secteurs, même si les détails de leurs compétences ne sont pas encore connus.
Répondant aux critiques de l’opposition, dont les candidats à la présidentielle avaient juré de revenir sur ce nouveau cadre institutionnel, M. Erdogan répète que le nouveau système est un gage d’efficacité pour relever les défis auxquels fait face la Turquie.
Le plus pressant semble être la crise économique qui pointe son nez avec une inflation élevée, la dévaluation de la monnaie et un important déficit des comptes courants, en dépit d’une croissance solide.
Cette situation est en partie due à un manque de confiance des marchés dans la stratégie économique du président turc, qui ne cesse d’appeler à baisser les taux d’intérêt pour combattre l’inflation, alors que la plupart des économistes préconisent le contraire.