« Et soudain les ténèbres » : la mort tragique des 3 otages tués par Tsahal
Au cœur du cauchemar qui est devenu leur quotidien, les proches des otages craignent désormais que leur évasion puisse entraîner leur mort, dans des circonstances jusque-là impensables
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
L’armée israélienne savait à quel point la guerre contre le Hamas serait dangereuse et complexe sur le terrain de cette armée terroriste à Gaza. Pour autant, elle savait qu’il fallait la mener, suite au 7 octobre – une guerre encore loin d’être gagnée – pour s’assurer que le Hamas ne puisse plus jamais massacrer d’Israéliens dans leur propre pays.
Ce que les événements de vendredi ont montré, c’est que Tsahal n’avait pas anticipé tous les dangers et complexités du terrain.
Cela faisait 10 semaines qu’il livrait combat, et sept semaines que des soldats étaient déployés sur le terrain. Pas une seconde, une minute, une heure, un jour, une semaine sans que leur vie n’ait été – et soit toujours – en danger.
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Quelque 7 000 hommes armés du Hamas ont été éliminés, mais ce sont pas moins de 120 soldats qui ont perdu la vie dans l’offensive terrestre – militaires de carrière et réservistes. Ils ont été tués par des tirs de missiles à courte portée, dans des bâtiments piégés ou l’explosions de tunnels piégés, par des tirs amis, des hommes armés surgissant de nulle part – des hommes en civil qui ont subitement sorti des armes mortelles.
Mais, selon l’officier supérieur de Tsahal qui, samedi, a informé les journalistes de la terrible fusillade dans laquelle des soldats israéliens ont, par erreur, tué trois otages dans le nord de Gaza, vendredi matin, les courageux soldats pour lesquels la mort se cache dans chaque bâtiment, à chaque coin de rue, à chaque pas, ne s’attendaient pas à tomber sur des otages évadés en pleine zone de guerre.
À ce stade, les premières conclusions de l’enquête rendues publiques concernent la succession des événements qui ont abouti à ce que des soldats tuent Yotam Haim, Samar Talalka et Alon Shamriz dans le bastion ô combien complexe du Hamas, de Shajaiya, vendredi matin.
L’enquête initiale aurait révélé que les soldats auteurs des tirs l’ont fait en violation des protocoles de Tsahal ; que les trois otages évadés ou abandonnés par leurs ravisseurs étaient torse nu et brandissaient un drapeau blanc improvisé, mais qu’ils ont été pris à tort pour des terroristes ; qu’après que deux d’entre eux eurent été tués et que le troisième se fut enfui, apparemment blessé, on l’entendit crier « À l’aide » en hébreu avant de revenir, et d’être malgré tout abattu. Et que deux jours plus tôt, les messages « SOS » et, en hébreu, « Au secours, 3 otages » avaient été peints à la bombe sur un immeuble voisin.
Imaginez la liesse, en Israël, si les trois hommes avaient été secourus et recueillis en toute sécurité par l’armée israélienne.
Cela ne surprendra personne, les familles des quelque 128 otages encore à Gaza sont plus que désespérées.
Nombre d’entre elles ont déjà dénoncé ce qu’elles perçoivent comme l’incapacité du gouvernement à honorer sa promesse de faire tout son possible pour libérer les otages et leur donner une priorité absolue, au besoin par la conclusion d’accord avec leurs ravisseurs terroristes.
Dans la hantise, depuis plus de 70 jours, que leurs proches soient morts ou proches de la mort, de ce que leurs ravisseurs ont pu leur faire ou leur font encore, qu’ils les tuent ou que la campagne de Tsahal contre le Hamas ne les tue sans le vouloir, craignant le pire à toute heure du jour ou de la nuit, ils craignent aujourd’hui que leur improbable évasion puisse les conduire à la mort dans des circonstances jusqu’alors impensables, celles qui se sont produites vendredi matin.
Dans les heures qui ont suivi l’annonce de l’amère nouvelle, ces familles ont dit, l’une après l’autre, qu’elles ne voulaient pas que leurs êtres chers revienne morts ; elles veulent qu’ils reviennent vivants, et maintenant. Lors d’un rassemblement sur la Place des otages de Tel-Aviv, samedi soir, les unes après les autres, les familles ont demandé un « geste » du gouvernement.
Raz Ben-Ami, mère de trois enfants originaire du kibboutz Beeri, libérée après 54 jours de captivité et dont le mari Ohad est toujours otage à Gaza, a dit que les familles « ont toutes alerté le cabinet de guerre », lors d’une réunion il y a de cela deux semaines, que « la guerre risquait de nuire aux otages ».
« Faites une proposition et vous obtiendrez le soutien du monde entier », a-t-elle imploré. « Vous avez promis que vous ramèneriez les otages vivants. Qu’attendez-vous ? Ramenez-les, maintenant. »
L’armée israélienne et ses soldats incroyablement courageux ont regagné un peu de la confiance perdue auprès de la population, le 7 octobre dernier, lorsque Tsahal n’est pas parvenu à empêcher 3 000 terroristes dirigés par le Hamas de massacrer 1 200 personnes avec une brutalité dont l’obscénité le dispute au caractère monstrueux.
Le chagrin ressenti ce week-end ne fait pas écran à l’annonce faite à la nation, vendredi soir, une fois les familles informées, par le porte-parole de Tsahal, Daniel Hagari, tout en franchise et empathie, sans oublier sa déclaration disant que Tsahal en assume « l’entière responsabilité ».
Il y a, inévitablement, une certaine inquiétude s’agissant des circonstances exactes de la mort des otages.
Pour autant, les proches d’otages qui ont pris la parole lors du rassemblement de samedi soir ont souligné, au nom de toutes les familles, que loin de blâmer Tsahal, les commandants ou les soldats, ils les aimaient et les soutenaient. « Nous voulons que vous sachiez que nous sommes avec vous », a déclaré Noam Peri, dont le père Chaim, 79 ans, a été enlevé au kibboutz Nir Oz. « Nous voulons que vous gardiez la tête haute. Tout l’Etat d’Israël, nous tous et toutes, sommes avec vous. »
La direction politique d’Israël du Premier ministre Benjamin Netanyahu, en revanche, déjà impopulaire avant la guerre et regardée avec défiance suite à la catastrophe du 7 octobre, est loin d’avoir renoué avec la confiance de la population – ne serait-ce qu’en raison du refus de Netanyahu d’assumer la responsabilité de l’impuissance face à l’invasion du Hamas, ou des dysfonctionnements persistants de son gouvernement. Ce manque de confiance, qui ne peut que se tendre, va être mis à rude épreuve.
Il s’agit d’une guerre difficile et sanglante, rendue nécessaire par le massacre sans précédent perpétré le 7 octobre dernier, compliquée par la guerre amorale menée par le Hamas au beau milieu d’une population qu’il est supposé gouverner, de surcroît menée sans le soutien qu’un monde meilleur aurait pu apporter à Israël.
La tragédie de vendredi va creuser certaines fissures au sein d’Israël – à commencer par l’impératif national de ramener tous les otages vivants, maintenant, compliqué par le cynisme prévisible et l’intransigeance du Hamas à tirer parti de leur libération. Depuis la fin de la dernière trêve, fin novembre, le Hamas exige des conditions inacceptables par Israël – conditions qui vont bien au-delà d’un échange « tous contre tous » impliquant la libération de tous les prisonniers de sécurité palestiniens. Les conditions du Hamas concernent également la fin de la guerre – c’est-à-dire la possibilité de survivre et de revenir pour perpétrer d’autres massacres, jusqu’à ce qu’Israël soit détruit.
Une grande partie de l’opinion publique partage la conviction des autorités politiques et militaires, à savoir que la pression incessante exercée par l’armée israélienne à Gaza n’est pas seulement le seul moyen de vaincre le Hamas, mais aussi le meilleur moyen d’obtenir la libération d’un plus grand nombre d’otages, alors que les dirigeants terroristes voient leurs perspectives se réduire comme peau de chagrin. Mais l’argument selon lequel « les opérations militaires seules ne ramèneront pas les otages », avancé samedi soir par Raz Ben-Ami, a sa part de vérité.
Pour autant, la catastrophe de vendredi ne va sans doute pas faire évoluer l’approche globale d’Israël face à cette guerre qu’il n’a pas voulue. Le Hamas doit être démantelé.
« Il y avait de la lumière au bout du tunnel », a tweeté samedi après-midi Ido Shamriz, le frère d’Alon. « Et soudain, les ténèbres. »
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel