Expo à l’ONU : Quand le monde tournait le dos aux réfugiés juifs apatrides
L’exposition de YIVO et de l’ONU, visible jusqu’au 23 février à New York, montre la vie quotidienne des 250 000 survivants de la Shoah dans les camps de personnes déplacées
- Illustration : Des immigrants juifs venus de camps de personnes déplacées arrivent à Halifax, en Nouvelle-Écosse, de Braemanhaven, en Allemagne, à bord du General Sturgis le 6 février 1948. Bon nombre des personnes photographiées se sont finalement établies à Montréal. (Avec la permission des Archives juives de l’Ontario)
- Un groupe d’enfants du camp Jaeger Kaserne DP en Allemagne lit un journal en yiddish dans une photo non datée. (Archives de l’ONU via la JTA)
- Résidents d’un camp de personnes déplacées à Salzbourg, en Autriche. Non daté, après la Seconde Guerre mondiale. (Crédit : YIVO Institute for Jewish Research via la JTA)
- Poupées faites par des enfants juifs apatrides résidant dans un camp de personnes déplacées près de Florence, en Italie, connu sous le nom de 'Kibboutz HaOved', avec l’aide de fonds fournis par le Comité conjoint de distribution. Les poupées sont habillées en costumes locaux basés sur les districts de la ville toscane de Sienne. (Crédit : Institut YIVO pour la recherche juive via la JTA)
- Illustration : Des enfants du camp de personnes déplacées de Foehrenwald se rassemblent autour d’un soldat américain. (United States Holocaust Memorial Museum, gracieuseté de Larry Rosenbach)
- L’aumônier militaire américain Rabbi Abraham Klausner, sans chapeau, de centre-gauche, avec des survivants dans le camp de personnes déplacées de Landsberg. (Crédit : Amos Klausner)
- Le camps de personnes déplacées de Bad Reichenhall, aux environs de 1947. (Avec l’aimable autorisation de Leah Rochelle Ilutowicz Zylbercwajg)
New York Jewish Week – En 2017, Deborah Veach est retournée en Allemagne, à la recherche du camp de personnes déplacées où elle et ses parents avaient vécu après la Seconde Guerre mondiale.
Leurs vies étaient en suspens, entre leur Biélorussie d’origine, et un sort inconnu qui les attendait, eux, les réfugiés apatrides.
À son grand désarroi, alors même que Foehrenwald était l’un des plus grands centres de personnes juives déplacées dans la partie de l’Allemagne contrôlée par les Américains, elle en a difficilement trouvé la trace. Ce complexe, qui comprenait autrefois une yeshiva, un bureau de police, une caserne de pompiers, une maison de jeunes, un théâtre, un bureau de poste et un hôpital est aujourd’hui oublié de tous, sauf d’une voisine qui dirigeait un musée situé dans un ancien bain public.
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« C’est un accident de l’histoire que nous nous soyons trouvés dans ce camp, en Allemagne, sans attaches, sans famille, sans maison », explique Veach, née à Foehrenwald en 1949 et qui vit aujourd’hui dans le New Jersey. De nos jours, « il porte un autre nom. Ils ont changé les noms de toutes les rues. On ne voit plus qu’il s’agissait d’un camp de personnes déplacées. »
Veach fait partie de ces enfants nés ou élevés dans les camps de personnes déplacées, par lesquels quelque 250 000 survivants juifs sont passés à la fin de la guerre.
Pour s’assurer que le souvenir de ces camps ne s’efface pas avec le temps, l’Institut YIVO pour la recherche juive et le Département des communications mondiales des Nations Unies ont organisé une exposition temporaire intitulée « Après la fin du monde : personnes déplacées et camps de personnes déplacées ».
Exposée au siège de l’ONU, à New York, depuis le 10 janvier jusqu’au 23 février prochain, elle met en lumière « l’impact durable de la Shoah après la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que le courage et la résilience de ceux qui ont survécu et se sont bâti une nouvelle vie après avoir tout perdu », selon les termes d’un communiqué de presse.
Parmi les pièces exposées figurent des poupées fabriquées par des enfants juifs et quelques exemplaires des quelque 70 journaux publiés par les résidents, ainsi que des photographies scolaires, de mariages, de représentations théâtrales ou d’événements sportifs.

L’exposition porte « sur les personnes déplacées, leur vie, leurs espoirs et leurs rêves, leurs ambitions, leurs initiatives », explique Debórah Dwork, qui dirige le Centre pour l’étude de la Shoah, du génocide et des crimes contre l’humanité au Graduate Center-CUNY, conseillère scientifique de l’exposition.
« Les résidents de ces camps de personnes déplacées n’avaient rien à attendre des autres », rappelle-t-elle lors de la Semaine juive de New York.
« Ils ont pris l’initiative et développé toute une gamme de programmes culturels et éducatifs. »
Dès 1943, alors que la guerre provoque déjà le déplacement de millions de personnes, des dizaines de pays se rendent à Washington pour signer l’Autorité des Nations Unies pour les secours et la reconstruction. (En dépit de son nom, il précède la création de l’ONU.)
Après-guerre, les armées britannique et américaine sont chargées de fournir des vivres, des soins médicaux et la sécurité aux centaines de camps allemands et autrichiens. C’est l’Autorité des Nations Unies pour les secours et la reconstruction qui administre les camps au jour le jour.

Au début, les survivants juifs de la Shoah – rescapés des camps de concentration ou enfuis en Union soviétique – sont placés dans des camps de personnes déplacées, aux côtés de leurs anciens bourreaux, jusqu’à ce que les États-Unis acceptent de les placer dans des enceintes séparées.
Incapables ou réticents à l’idée de retourner dans leur pays, où ils ont souvent perdu des parents, des biens et tout semblant de vie normale, ils attendent, car bien peu de pays, les États-Unis y compris, sont disposés à les accueillir, et la Palestine mandataire fait alors l’objet d’un blocus de la part des Britanniques.
La persistance de l’antisémitisme n’est pas l’unique raison pour laquelle ils demeurent apatrides.
« Les Juifs sont [accusés d’être] subversifs, communistes, rebelles, fauteurs de troubles. La guerre mondiale cède rapidement la place à la guerre froide, et avec elle, l’idée qu’Hitler est bel et bien vaincu, et que ce dont nous devons nous inquiéter, ce sont les communistes », expliquait en 2020 David Nasaw, auteur de The Last Million, une histoire des personnes déplacées.
En 1948 et 1950, le Congrès adopte à contrecœur une loi permettant à 50 000 survivants juifs et à leurs enfants de s’installer aux États-Unis. Les autres peuvent finalement se rendre en Israël, après son indépendance, proclamée en 1948.

L’exposition de l’ONU accorde moins d’attention à cette macro-histoire – qui inclut ce qui est devenu une autre crise de réfugiés pour les Palestiniens déplacés par la guerre d’indépendance d’Israël – qu’à la vie dans les camps de personnes déplacées.
« L’exposition illustre la manière dont les personnes déplacées ont eu le courage de reconstruire à la fois leur vie et la vie communautaire juive », précise Jonathan Brent, directeur général de YIVO, dans un communiqué.
Parmi ces femmes et ces hommes qui ont reconstruit leur vie, on trouve Max Gitter et ses parents, Juifs polonais qui ont eu la chance perverse d’être exilés en Sibérie pendant la guerre. La famille s’est rendue à Samarcande, en Ouzbékistan, où Gitter est né en 1943.
Après la fin de la guerre, ses parents retournent en Pologne, mais repoussés par l’antisémitisme, ils trouvent refuge dans la zone américaine de l’Allemagne. Ils passent du temps dans le camp de personnes déplacées d’Ainring, une ancienne base de la Luftwaffe située à la frontière autrichienne, et dans un petit camp appelé Lechfeld, à environ 25 miles à l’ouest de Munich.
« C’est là que j’ai vécu jusqu’à ce que nous arrivions aux États-Unis, quand j’avais six ans et demi, alors j’ai des souvenirs à la fois très clairs et très flous », confie Gitter, directeur émérite et vice-président du conseil d’administration de YIVO.
Il n’a pas oublié l’histoire de son père et d’un ami qui, traversant le camp, sont tombés sur une longue file de personnes.
« Ils venaient d’Union soviétique, donc ils savaient que s’il y avait une file, cela voulait dire qu’il y avait potentiellement quelque chose de bien. »
Cette file d’attente s’avère être celle pour participer à la loterie permettant d’entrer aux États-Unis en vertu de la loi sur les personnes déplacées de 1948.

La famille arrive aux États-Unis en 1950 et s’installe dans un « logement minable » du Bronx, avant que son père n’achète un magasin de bonbons et ne les installe dans le Queens. Max étudiera plus tard à Harvard et Yale, et deviendra avocat d’entreprise.
Le frère de Gitter nait dans l’un des camps et l’exposition montre une affiche mettant en évidence l’augmentation de la population entre 1946 et 1947 dans le camp de personnes déplacées de Bad Reichenhall.
Le taux de natalité dans les camps est souvent décrit comme une preuve de l’optimisme et de la défiance des survivants, mais Dwork estime que la vérité est un peu plus complexe.
« Il y avait un taux de natalité très élevé parmi les Juifs dans ces camps de personnes déplacées, du fait du groupe en âge de procréer, entre 20 et 40 ans », explique-t-elle.
« Cette image de fécondité cache un taux d’avortement important. Les femmes avaient connu des années de famine. Leurs menstruations n’avaient repris que récemment. Énormément de femmes ont fait des fausses couches ou ont eu du mal à concevoir, dans les tout premiers temps. »
« Il n’y avait pas beaucoup d’espoir », ajoute-t-elle.
« Les gens vivaient leur vie, partagés entre deux univers. Ils regardaient vers l’avenir, avec espoir, tout en portant un énorme fardeau de douleur et de souffrance, de traumatismes et d’appréhensions face à l’avenir. »

Veach, qui est membre du conseil d’administration de YIVO, espère que les visiteurs de l’exposition comprendront que ce type de traumatisme est tout sauf révolu.
« Je pense que la vraie leçon est que l’histoire ne cesse de se répéter », rappelle Veach, de plus en plus émue.
« Nous avons des personnes déplacées à nos portes, à la frontière avec le Mexique, vous avez des personnes déplacées d’Ukraine. Je ne pense pas que les gens se rendent compte des répercussions pour ces gens qui essaient de se trouver un endroit où vivre. Ce sont de bonnes personnes qui sont simplement placées là où elles sont par l’Histoire. »
Gitter espère également que l’exposition stimulera la conscience des visiteurs.
« Beaucoup de pays, beaucoup d’endroits, y compris les États-Unis, n’accepteraient pas les Juifs après la guerre », dit-il.
« La question de la mémoire, de l’apatridie, le fait de savoir s’il y avait un peu d’espoir pour les Juifs immigrant en Israël et aux États-Unis, toute cette partie de l’histoire doit également être racontée. »
« After the End of the World: Displaced Persons and Displaced Persons Camps » est visible jusqu’au 23 février 2023 au siège des Nations Unies, 405 E. 42nd St, New York, du lundi au vendredi, de 9h00 à 17h00. L’entrée au Centre des visiteurs des Nations Unies à New York est gratuite, mais sous conditions. Consultez les directives d’entrée au Centre d’accueil des visiteurs des Nations Unies.
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