Face au bras de fer entre Israël et l’ONU, le père d’un otage prône le maintien du dialogue
Jonathan Dekel-Chen, né aux États-Unis, dont le fils Sagui a été kidnappé le 7 octobre, voit peu d'avantages à fermer la porte à des responsables étrangers qui ont le pouvoir de faire revenir les captifs - en vie
Au 136e jour de la guerre, Jonathan Dekel-Chen vient, encore une fois, aux Nations unies – il s’y est déjà rendu à trois ou quatre reprises depuis que son fils, Sagui Dekel-Chen, a été pris en otage par le Hamas au kibboutz Nir Oz, le 7 octobre.
« Je le fais parce que je veux que mon fils revienne », explique Dekel-Chen. « C’est une forme d’amour, une forme d’engagement pris à l’égard de mon fils et de sa famille, et des gens différents agissent de manière différente ».
Lors de ce déplacement particulier, Dekel-Chen, âgé de 60 ans et son épouse, l’activiste Gillian Kaye, ont fait le voyage à New York pour y rencontrer des responsables des Nations unies et pour prendre la parole lors du rassemblement qui est organisé, chaque semaine, aux abords de l’habitation du secrétaire-général de l’ONU, Antonio Guterres, réclamant la libération des captifs.
Cet historien à l’Université hébraïque, qui est né aux États-Unis, est parfaitement conscient de la relation difficile qu’entretiennent Israël et la prestigieuse institution – une relation qui n’est devenue que plus houleuse depuis le mois d’octobre.
Les différentes instances des Nations unies – et Guterres – ont été parmi les critiques les plus véhéments de la campagne militaire lancée par Israël pour renverser le Hamas et garantir la remise en liberté des otages. L’État juif, de son côté, n’a pas épargné dans ses critiques les responsables de l’ONU pour leurs déclarations et pour leurs positionnements et il a affirmé que certains employés de l’agence chargée des réfugiés palestiniens au sein des Nations unies, l’UNRWA, avaient pris part au massacre du 7 octobre et qu’un grand nombre d’entre eux ont tissé des liens avec le Hamas.
Une proximité avec l’ennemi, sur le front, qui est très exactement la raison pour laquelle « il est judicieux de les rencontrer et de ne pas leur fermer la porte », dit Dekel-Chen.
« En tant que famille d’otage, je peux rencontrer les officiels qui travaillent aux Nations unies. Je ne tente pas de les convaincre du caractère juste de la guerre que mène Israël contre le Hamas ; je veux seulement rencontrer des responsables pour discuter et pour essayer de faire aller de l’avant tout type d’initiative qui serait favorable aux otages », indique-t-il.
Dekel-Chen vit au kibboutz Nir Oz, l’une des communautés les plus durement touchées par le massacre du 7 octobre, lorsque des milliers d’hommes armés du Hamas avaient franchi la frontière et qu’ils avaient semé la désolation dans le sud d’Israël, tuant 1200 personnes environ et kidnappant 253 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza.
Une quarantaine d’habitants de Nir Oz avaient perdu la vie lors de l’assaut. 80 avaient été enlevées et emmenées en captivité dans la bande, notamment Sagui Dekel-Chen, âgé de 35 ans.
Le trentenaire était sorti tôt de chez lui, ce matin-là, et il avait été le premier à réaliser que des terroristes avaient envahi le kibboutz. Il avait vérifié que son épouse Avital et leurs enfants étaient en sécurité, puis il avait à nouveau quitté la maison, rejoignant les autres membres de l’équipe de sécurité de la communauté.
Le contact avait été perdu avec ses proches à partir de 9 heures 30.
Jonathan Dekel-Chen se trouvait aux États-Unis à l’occasion d’une conférence universitaire, le 7 octobre, quand un ami l’avait informé de l’attaque qui était en train de se dérouler dans le sud d’Israël. Il s’était immédiatement connecté au groupe du kibboutz, sur WhatsApp, pour suivre les événements en cours dans la communauté.
Depuis, il consacre son énergie et ses émotions à la nécessité de faire libérer Sagui et tous les autres otages. Citoyen américain, Dekel-Chen déclare tenter de faire bouger les choses en exerçant un maximum de pression sur les gouvernements étrangers.
Dekel-Chen reconnaît que si ses échanges avec les responsables des Nations unies ne sont pas un secret, il n’est pas pour autant en mesure d’en révéler la teneur.
Il critique le gouvernement israélien qui a adopté un positionnement dur dans les négociations visant à obtenir la remise en liberté des otages et à faire une pause dans les combats – voire à mettre en place un cessez-le-feu permanent. Des négociations entre les deux parties concernées qui se déroulent par le biais des États-Unis, du Qatar et de l’Égypte.
« Pour négocier, il doit y avoir la marge nécessaire », explique Dekel-Chen. « C’est une situation unique. C’est la première fois, dans toute l’Histoire d’Israël, que le gouvernement n’agit pas dans l’intérêt absolu de la population. Cela n’était jamais arrivé auparavant et cela doit changer au nom de la survie à long-terme d’Israël ».
Il est maintenant à Washington, DC, où il va rencontrer des responsables communautaires juifs pour évoquer le rôle qui peut être le leur s’agissant du rapatriement des otages, sains et saufs. Au programme, des réunions sont aussi prévues avec des officiels de premier plan, à la Maison Blanche. Il prendra de surcroît la parole, vendredi, lors de la Conservative Political Action Conference, un rassemblement emblématique du parti républicain où le nominé à la présidentielle présumé Donald Trump fera aussi une apparition.
Dekel-Chen a déjà rencontré le président américain Joe Biden au mois de décembre, en compagnie de douze autres proches d’otages. A l’époque, il avait déclaré que ces échanges « réaffirment une nouvelle fois le fait que l’administration Biden – le président, le secrétaire d’État – sont complètement engagés dans la bataille pour la libération de tous les otages, et notamment en ce qui concerne la remise en liberté des captifs américains ».
Alors qu’il fait tout ce qu’il peut depuis l’étranger, il appelle ses concitoyens à intervenir auprès du gouvernement israélien pour exercer un maximum de pressions en faveur de la remise en liberté des otages.
« Je veux qu’ils reviennent à la maison en vie, pas dans un cercueil », répète-t-il à plusieurs reprises pendant notre entretien, présentant ses excuses pour cette insistance faite, dit-il, par souci de clarté.
« En tant que citoyen lambda, je n’ai aucun moyen de savoir où en sont les négociations », déclare-t-il en évoquant la question des pourparlers sur les captifs. « Ce que je sais, c’est que la vaste majorité des familles d’otages et de leurs proches demandent à notre gouvernement un engagement absolu, celui de faire revenir nos otages en vie, pas dans un cercueil ».
Une quarantaine d’habitants de Nir Oz avaient été libérés à la fin du mois de novembre dans le cadre d’une trêve négociée par le Qatar qui avait duré une semaine. Plus d’une centaine d’otages avaient été relâchés à cette occasion.
Israël pense que cent otages environ – et les corps sans vie d’une trentaine de personnes – sont encore entre les mains du Hamas à Gaza. Il reste encore dans la bande approximativement 40 habitants de Nir Oz qui, espèrent les membres du kibboutz, sont encore en vie.
Jonathan Dekel-Chen est un kibboutznik depuis presque cinquante ans mais il a grandi dans une petite ville semi-rurale du Connecticut. Il est le fils d’un survivant « pur et dur » de la Shoah et d’une réfugiée venue aux États-Unis après avoir quitté l’Allemagne nazie et il a passé son enfance dans une petite communauté de survivants du génocide juif qui étaient originaires de la ville natale de son père.
« J’étais un petit Américain normal avec une forte conscience de ce qu’a été la Seconde guerre mondiale et un esprit très sioniste », se souvient-il.
Dekel-Chen était venu en Israël dans le cadre d’un programme de six mois, à l’âge de 17 ans, et il avait décidé de rester. Il connaissait bien le kibboutz Nir Oz mais il souhaitait en intégrer un nouveau – il s’était alors installé au kibboutz Geshur, sur le plateau du Golan, tout en faisant son service dans l’armée. Il était resté là-bas, il s’était marié avec une jeune femme de la communauté et il avait fondé une famille.
Le couple s’est installé à Nir Oz en 1990, se rappelle Dekel-Chen qui ajoute que lui-même, son ex-épouse et deux de leurs quatre enfants, avec leurs familles y ont vécu jusqu’au 7 octobre, lorsque l’assaut du Hamas a décimé la communauté.
« Nir Oz était un bel endroit », s’exclame Dekel-Chen.
Aujourd’hui, de nombreux membres du kibboutz vivent dans une série de nouveaux immeubles résidentiels de Carmei Gat, une banlieue du nord de Kiryat Gat.
Dekel-Chen et son épouse vivent dorénavant là-bas avec Avital, l’épouse de Sagui, et leurs trois petites filles. La plus jeune, Shachar, est née au mois de décembre.
Une autre fille de Dekel-Chen réside également à Carmei Gat avec son mari et leurs deux jeunes garçons, et c’est le cas également de l’ex-épouse de Dekel-Chen, la mère de ses quatre enfants.
« Nous sommes là, les survivants », déclare Dekel-Chen, en référence à la communauté temporaire qu’il forme avec 200 autres personnes environ. « C’est ainsi que nous nous qualifions, il n’y a aucun autre mot et nous tentons d’imaginer l’avenir dans ce contexte de deuil qui est le nôtre – ou d’incapacité à faire notre deuil ».
Dekel-Chen, avec ses enfants et avec ses petits-enfants au kibboutz, indique qu’il ira où iront ses enfants. Actuellement, l’idée des survivants est de partir vivre définitivement au kibboutz Beit Nir, qui est également situé à proximité de Kiryat Gat.
« Nous nous installerons là où il y aura suffisamment de logements », dit-il. « C’est une initiative individuelle, le gouvernement a été complètement inefficace sur ce sujet. »
Même si Nir Oz doit être reconstruit, Dekel-Chen est relativement sûr de lui : il affirme que la majorité des survivants ne reviendra pas y vivre et en particulier les parents de jeunes enfants, comme c’est le cas de son fils Sagui.
« Quatre-vingt dix pour cent des habitants ne reviendront jamais », s’exclame-t-il.
« Nous avons été trahis, nous avons été abandonnés et complètement terrorisés. C’est difficile d’imaginer qu’un jeune parent veuille prendre le risque de vivre une telle situation à nouveau ».
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