Face aux raids israéliens et au gel des liquidités, l’AP perd son emprise sur la Cisjordanie
Des analystes estiment que l'étranglement de Ramallah risque de favoriser le Hamas et le Jihad islamique palestinien, car les travailleurs ne perçoivent que des salaires partiels et les autorités ne peuvent pas entretenir les infrastructures
Les routes détruites il y a plusieurs mois par les bulldozers de l’armée dans le camp de réfugiés de Jénine, dans le cadre d’opérations contre des groupes terroristes, restent impraticables parce que l’Autorité palestinienne (AP) n’a pas les moyens de les réparer. Les fonctionnaires ne perçoivent qu’une fraction de leur salaire et les services de santé s’effondrent.
Tous ces éléments témoignent d’une profonde crise financière qui a paralysé l’administration dirigée par le président Mahmoud Abbas en Cisjordanie, sous contrôle israélien, et qui suscite des interrogations sur son avenir, alors même que les États-Unis et d’autres pays font pression pour qu’une AP « revitalisée » dirige la bande de Gaza une fois que les combats y auront cessé.
Les finances de l’AP sont en difficulté depuis des années, les États donateurs ayant réduit les financements qui couvraient autrefois près d’un tiers de son budget annuel de 6 milliards de dollars, en exigeant des réformes visant à lutter contre la corruption et le gaspillage.
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Mais les responsables palestiniens affirment qu’elles se sont fortement dégradées depuis le 7 octobre 2023, lorsque des milliers de terroristes dirigés par le Hamas ont pris d’assaut le sud d’Israël, massacré près de 1 200 personnes et enlevé 251 otages, déclenchant ainsi la guerre à Gaza.
Depuis le début de la guerre, Israël a retenu à l’AP des fonds destinés à Gaza et provenant des recettes fiscales que Jérusalem perçoit au nom de l’AP en vertu des accords d’Oslo de 1993.
Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, a interrompu le transfert en raison de ce qu’il a qualifié de soutien de l’AP à l’attaque terroriste du Hamas du 7 octobre et à ses actions contre Israël sur la scène internationale.
Les tensions sont particulièrement préoccupante à Jénine, bastion terroriste situé au nord de la Cisjordanie, où Israël cible depuis longtemps les terroristes et a intensifié ses opérations depuis le mois d’octobre.
Nidal Obeidi, le maire de la ville, a déclaré que les raids israéliens menés depuis le mois d’octobre ont causé plus de dégâts que par le passé aux infrastructures essentielles.
« Les canalisations d’eau et d’égout sont touchées. Les transformateurs électriques sont touchés, et même les réservoirs d’eau sur les toits », a décrit Obeidi à Reuters.
Il a estimé que les réparations coûteraient 15 millions de dollars rien que pour le camp de réfugiés. Mais l’AP étant « assiégée », les ressources se raréfient.
Des routes ont été détruites lors de raids menés par les forces du génie pour neutraliser des bombes posées par des terroristes contre des soldats israéliens.
Les responsables palestiniens affirment que l’AP est confrontée à l’une des crises les plus graves depuis sa création dans le cadre des accords d’Oslo, il y a 30 ans.
À l’époque, les Palestiniens considéraient l’AP comme un tremplin vers leur objectif d’un État indépendant en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale.
Mais comme cet objectif n’a pas été atteint, les salaires et les services fournis par l’AP ont permis à Abbas et à sa faction du Fatah de conserver leur pertinence politique face à l’expansion des implantations israéliennes en Cisjordanie et aux défis posés par des rivaux armés tels que le Hamas, qui s’est emparé de la bande de Gaza en 2007.
Ghassan Khatib, maître de conférences à l’université de Birzeit, en Cisjordanie, qui a été ministre au sein de l’AP, a déclaré que les politiques israéliennes risquaient de marginaliser davantage l’AP « et, à un moment donné, pourraient provoquer son effondrement ».
« Elles ont pour effet de réduire le poids politique des factions qui soutiennent un règlement pacifique avec Israël – à savoir le Fatah – au profit des groupes d’opposition, principalement le Hamas », a-t-il déclaré.
Le bureau du Premier ministre Benjamin Netanyahu et l’AP n’ont pas commenté les remarques de Khatib.
Cependant, Hussein al-Sheikh, un haut fonctionnaire palestinien, a déclaré à la chaîne de télévision Al Arabiya en juin que le manque de financement signifiait que l’AP ne pouvait pas « s’acquitter de ses devoirs envers le peuple palestinien », ce qui pourrait conduire à « l’effondrement de l’Autorité palestinienne ».
Mise en garde contre une nouvelle Intifada
La Cisjordanie et Jérusalem-Est abritent plus de trois millions de Palestiniens et, selon les autorités israéliennes, quelque 700 000 Israéliens. Les forces de sécurité israéliennes contrôlent la Cisjordanie, bien que l’AP exerce une gouvernance limitée dans les zones où vit la majorité de la population palestinienne.
En vertu d’un accord de longue date entre les deux parties, Israël perçoit des taxes sur les marchandises qui transitent par Israël vers la Cisjordanie et effectue des transferts mensuels aux autorités de Ramallah.
À la suite du pogrom du 7 octobre, Smotrich a commencé à retenir une partie de ces recettes correspondant au montant transféré par l’AP à Gaza, où l’administration dirigée par Abbas a continué à financer les services, les salaires et les pensions depuis que le Hamas a pris le pouvoir. Smotrich a fait valoir que les fonds finiraient entre les mains du Hamas.
Le ministre des Finances a également accusé l’AP de ne pas avoir condamné les attaques du 7 octobre. Abbas a généralement condamné la violence contre les civils et a critiqué le raid du Hamas, estimant qu’il donnait à Israël un prétexte pour attaquer Gaza, mais l’AP n’a jamais franchement condamné les atrocités commises par le Hamas.
Le montant retenu – environ 300 millions de shekels par mois – s’ajoute aux déductions précédentes imposées par Israël, équivalentes aux « allocations » versées par l’AP aux familles des terroristes et des personnes emprisonnées ou tuées par les autorités israéliennes, ce à quoi Israël s’oppose car cela constitue un soutien direct au terrorisme.
En mai, Smotrich a gelé complètement les transferts et accusé l’AP de travailler contre Israël après que le procureur de la Cour pénale internationale a demandé des mandats d’arrêt contre son Premier ministre et son ministre de la Défense et que trois pays européens ont reconnu l’existence d’un État palestinien.
« L’Autorité palestinienne s’est jointe au Hamas pour tenter de nuire à Israël, à l’intérieur du pays et dans le monde entier, et nous nous y opposerons », a déclaré Smotrich lors d’une réunion du cabinet du 27 juin.
Smotrich, qui contrôle également les affaires civiles israéliennes en Cisjordanie dans le cadre des accords de coalition, a débloqué certains fonds dans le cadre d’un accord de contrepartie qui a permis au gouvernement de légaliser cinq avant-postes en Cisjordanie. Israël a transféré 435 millions de shekels à l’AP au début du mois de juillet, mais les responsables palestiniens affirment qu’Israël détient toujours 6 milliards de shekels de ses fonds.
« Ce qui a été transféré n’a pas suffi à payer 60 % des salaires, et la crise financière se poursuit donc », a déclaré à Reuters Mohammad Abu al-Rub, porte-parole de l’AP. « Israël déduit environ deux tiers des revenus, ce qui met en veilleuse tous les plans du gouvernement et augmente la dette publique. »
Le ministère des Finances a déclaré qu’il lui était interdit, en vertu de la loi et d’une décision du cabinet, de transférer des fonds qui seraient envoyés à Gaza et « alimenteraient le terrorisme ». Il a déclaré que le montant retenu n’était « même pas proche » de 6 milliards de shekels, ajoutant dans une déclaration à Reuters : « Si l’Autorité palestinienne ne transfère pas de fonds pour financer le terrorisme, son économie n’en souffrira pas. »
Les États-Unis affirment que les fonds appartiennent à l’AP et ont exhorté Israël à les débloquer, tout en pressant l’AP de mettre en œuvre des réformes pour se préparer à administrer la bande de Gaza après la guerre – une idée que Netanyahu a rejetée à plusieurs reprises.
« La viabilité de l’Autorité palestinienne est essentielle à la stabilité en Cisjordanie, qui est elle-même essentielle aux intérêts d’Israël en matière de sécurité », a déclaré Vedant Patel, porte-parole du département d’État américain, lors d’une conférence de presse tenue le 2 juillet.
L’armée israélienne a averti le gouvernement que la suppression des fonds destinés à l’AP pourrait entraîner la Cisjordanie dans une nouvelle « intifada » – nom donné à deux soulèvements palestiniens meurtriers entre 1987 et 2005 – selon un reportage publié en juin par la chaîne publique Kan et confirmé à Reuters par un fonctionnaire israélien.
L’armée a alors renvoyé Reuters vers le service de sécurité interne Shin Bet, qui s’est refusé à tout commentaire.
Le bureau de Netanyahu n’a pas répondu aux questions posées pour cet article.
« Personne ne nous aide »
La pression financière exercée sur l’AP intervient alors que les conditions économiques et sécuritaires en Cisjordanie se sont fortement détériorées, érodant encore le soutien à l’administration d’Abbas, dont les dernières élections législatives remontent à 18 ans et que de nombreux Palestiniens considèrent comme totalement corrompue.
Plus de 60 % des Palestiniens soutiennent désormais la dissolution de l’AP, selon un sondage d’opinion publié en juin par le Palestinian Center for Policy and Survey Research, qui a également constaté une augmentation du soutien à la lutte armée.
L’AP verse des salaires ou des pensions à 150 000 personnes dans les Territoires palestiniens. La dernière fois qu’elle les a payés intégralement, c’était en 2022. En mars et avril, les employés de l’Autorité palestinienne ont reçu 50 % de leur salaire. En mai, ils ont été rémunérés à hauteur de 60 % de leur salaire.
En plus des difficultés économiques en Cisjordanie, Israël a, depuis le 7 octobre, refusé l’entrée à quelque 200 000 Palestiniens qui se rendaient quotidiennement à leur travail en Israël, en invoquant la crainte de nouvelles attaques.
Kathem Harb, 53 ans, père de quatre enfants et employé du ministère de l’Economie nationale de l’AP, a déclaré qu’il ne pouvait s’offrir que des produits de base comme le riz, la farine et le gaz de cuisine.
« Nous vivons avec le strict minimum », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il n’y avait parfois pas d’argent pour payer les factures d’eau et d’électricité.
Selon les syndicats des travailleurs de la santé, les coupes dans les salaires de l’AP signifient que le personnel des cliniques gouvernementales ne se présente au travail que deux jours par semaine. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le mois dernier qu’environ 45 % des médicaments essentiels étaient en rupture de stock.
Hayat Hamdan, une femme d’une cinquantaine d’années, a parcouru 10 kilomètres depuis la ville d’Arraba jusqu’à une clinique gouvernementale de Jénine dans l’espoir de trouver des médicaments subventionnés pour son mari en fauteuil roulant. Mais à l’intérieur, de nombreux rayons de la pharmacie étaient vides.
« Nous avons une assurance maladie, mais elle n’est d’aucune utilité », a déclaré Hamdan. « Depuis le début de la guerre à Gaza jusqu’à aujourd’hui, nous achetons la plupart des médicaments à nos frais. »
Parallèlement, les attaques par des extrémistes israéliens sur les villages palestiniens se sont multipliées, tandis que les attaques des Palestiniens en Cisjordanie et à Jérusalem-Est ont tué plus d’une dizaine d’Israéliens.
Depuis le 7 octobre, plus de 560 Palestiniens de Cisjordanie ont été tués, selon le ministère de la santé de l’Autorité palestinienne. Les forces israéliennes affirment que la grande majorité d’entre eux ont été tués lors d’affrontements avec des hommes armés au cours de raids ou qu’il s’agissait de terroristes menant des attaques.
Au cours de la même période, 22 Israéliens, dont des membres des forces de sécurité, ont été tués dans des attaques terroristes en Israël et en Cisjordanie. Cinq autres membres des forces de sécurité ont été tués lors d’affrontements avec des terroristes en Cisjordanie.
Dans le camp de réfugiés de Jénine, où quelque 14 000 personnes vivent dans un espace de moins d’un demi-kilomètre carré, de jeunes hommes armés de fusils d’assaut patrouillent dans les rues, défiant ouvertement l’AP et soulignant l’influence que les groupes terroristes tels que le Hamas et le Jihad islamique palestinien exercent encore en dépit des raids israéliens.
Des traces de balles sur la façade du siège de l’AP, situé à proximité, rappellent les affrontements entre les forces de sécurité de l’AP et les hommes armés.
Un homme d’une vingtaine d’années, qui a demandé à être identifié uniquement comme Mohammed pour des raisons de sécurité, a déclaré que les conditions dans le camp étaient mauvaises avant le 7 octobre en raison des raids israéliens et qu’elles s’étaient considérablement aggravées depuis.
« Il n’y a pas de routes, les infrastructures sont détruites, les maisons sont détruites, les magasins sont détruits », a-t-il déclaré, exprimant sa frustration à l’égard de l’AP qui réprime ses ennemis et ne fait pas grand-chose pour les civils palestiniens.
« Il n’y a pas de travail, les autorités ne versent pas les salaires, les prix augmentent. Personne n’aide les habitants du camp ».
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