Fragments des funérailles de Shireen Abu Akleh, inhumée à Jérusalem
Un cercueil qui vacille, des arrestations brutales, un château gonflable en l'honneur du jubilé de la reine de l’autre côté de la rue et des t-shirts ornés de fusils M-16
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Deux heures avant l’arrivée du cercueil dans le quartier chrétien de la Vieille Ville de Jérusalem vendredi, les habitants avaient commencé à se rassembler pour se joindre au cortège funèbre de Shireen Abu Akleh, la journaliste chevronnée d’Al Jazeera tuée mercredi matin à Jénine en mission.
Des cafés situés à proximité de la Nouvelle Porte ont fermé leurs portes, pour permettre à leur personnel de se joindre au cortège, partiellement ou totalement vêtus de noir. L’ardoise située à l’extérieur d’un café n’affichait pas le menu du jour mais rendait hommage à Shireen Abu Akleh, martyre de Palestine.
Des affiches à son image – certaines d’entre elles comportant des symboles chrétiens, d’autres superposées à une image du Dôme du Rocher – ont été apposées sur les murs et les devantures des magasins, fermés.
La foule s’est faite de plus en plus nombreuse dans les ruelles du quartier chrétien et sur l’esplanade à l’intérieur de la porte de Jaffa, en majorité des hommes jeunes, adolescents et jeunes adultes dans la vingtaine ou la trentaine.
Certains portaient des T-shirts à l’image d’Abu Akleh et une carte de la Palestine faite de l’état actuel d’Israël, de la Cisjordanie et de Gaza. D’autres portaient des T-shirts très à la mode, ornés d’un fusil M16, celui qui aurait tiré la balle qui a tué Abu Akleh.
Dans cette forte chaleur de début d’après-midi, des personnels de l’église grecque melkite ont distribué des bouteilles d’eau. Une couronne de fleurs a fait son apparition et a été brandie très haut. Suivie d’une croix fleurie.
À un moment donné, un chant est monté de la foule laissant entendre que le peuple de Mahomet ne s’agenouillait pas. Personne ne semblait savoir, ou à tout le moins se soucier, qu’Abu Akleh était chrétienne.
De temps à autres, des groupes au milieu de la foule scandaient des slogans en soutien à la Palestine, « Que le rameau d’olivier tombe et se lève le fusil ». Des drapeaux palestiniens ont été hissés. De temps à autres, quelqu’un était brutalement extrait de la foule et conduit, en se débattant, au poste de police voisin. Cela s’est produit à deux ou trois reprises avec des policiers israéliens infiltrés, à deux ou trois autres reprises par la police en uniforme et la police des frontières. Lorsqu’une femme a été extraite de la foule, trois policières l’ont encadrée.
On ne sait pas pourquoi ces interpellations ont eu lieu, mais il y avait eu des jets de projectiles et la police avait reçu l’ordre d’empêcher que le drapeau palestinien ne soit brandi dans le cortège. Un peu plus tôt, il s’est avéré que les policiers, casqués et armés de longues matraques, avaient foncé dans le cortège et frappé des porteurs de cercueil, devant l’hôpital de Jérusalem où la journaliste entamait son dernier voyage. Il s’en est fallu de peu que le cercueil ne s’écrase au sol.
(La police a plus tard déclaré être intervenue devant l’hôpital parce que des émeutiers s’étaient emparé du cercueil contre la volonté de la famille et n’avaient pas permis qu’il soit chargé à bord d’un corbillard, comme l’avaient souhaité ses proches. Le frère d’Abu Akleh a toutefois donné une autre version à la BBC, affirmant que la famille et les proches endeuillés souhaitaient organiser une « petite procession » mais ont été « bombardés » par des policiers à la sortie de l’hôpital.)
Au niveau de la porte de Jaffa, les policiers qui fendaient la foule n’étaient pas casqués et ceux que j’ai vu courir après des membres du cortège brandissant des drapeaux palestiniens n’avaient pas de matraques à la main.
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À une cinquantaine de mètres de la foule, Christ Church Jérusalem, une communauté anglicane située à l’intérieur de la porte de Jaffa, organisait sa fête annuelle de printemps, coïncidant cette année – comme le souligne une affiche à l’entrée – avec le jubilé de platine de la reine (70 ans sur le trône britannique).
Tandis que la foule nombreuse attendait le cercueil d’Abu Akleh de l’autre côté de la rue, ici, dans ce complexe isolé, des gens s’étaient rassemblés, Union Jacks flottant au vent, pour se réunir paisiblement et collecter des fonds pour les nécessiteux. Il y avait une sorte de vide-grenier et des vêtements d’occasion à vendre, des stands de boissons chaudes et froides, gâteaux et autres gourmandises et enfin un château gonflable et du maquillage pour les enfants dans le jardin.
Élégant, louable et finalement assez surréaliste.
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Des roulements de tambour ont signalé l’arrivée – tardive – du cercueil.
Un homme barbu vêtu d’un t-shirt de créateur, tenant l’enseigne du restaurant Samara à l’angle de la rue du Patriarcat gréco-catholique, a agité les bras pour signaler à la foule de faire plus de bruit.
Une fanfare à béret rouge est apparue sous un déluge d’ applaudissements, puis s’est immobilisée quelques minutes.
La foule a continué d’affluer sur la place, suivie du cercueil d’Abu Akleh. Un chemin s’est dégagé pour laisser passer la fanfare puis le cercueil. Des Palestiniens en chemise noire contenaient la foule.
Des pères portant leurs enfants sur les épaules se sont écartés par sécurité alors que le cercueil, vacillant, passait.
Une famille ultra-orthodoxe, qui observait la procession depuis l’entrée du souk de la porte de Jaffa, jugea qu’il était temps de s’éloigner. Un balayeur municipal, arrivé avec un balai et une pelle, en fit de même.
Un petit groupe d’adolescents en chemise blanche et kippa de velours observaient la scène à distance.
Alors que le cortège progressait, un religieux grec barbu parvint péniblement à s’extraire de la foule et se réfugia sur le côté, pour se remettre de la chaleur et de ses émotions.
Une dizaine de policiers ont alors entrepris de confisquer les drapeaux palestiniens. Trois d’entre eux ont joué au chat et à la souris avec un homme avant de finalement s’emparer de l’article incriminé, puis de se tourner vers un enfant, juché sur les épaules de son père, qui leur a remis son drapeau sans faire de difficultés.
Fort de plusieurs milliers de personnes, le cortège a suivi le cercueil porté à hauteur d’épaule hors de la porte de Jaffa en descendant la pente vers le sud, le long des murs de la Vieille Ville, en route vers le cimetière du mont Sion.
Des drapeaux palestiniens de plus en plus grands ont fait leur apparition, alors que les membres du cortège passaient devant les drapeaux israéliens flottant haut, le long des chemins à l’extérieur des murs.
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En regardant le cortège disparaître en bas de la colline, depuis le pont entre la porte de Jaffa et le boulevard commerçant de Mamilla, un touriste italien demanda à son guide: « Est-ce comme ça tous les jours? »
Plus loin sur la route de Mamilla presque déserte quelques heures avant le début du Shabbat, un musicien ultra-orthodoxe interprétait Bohemian Rhapsody sur sa guitare Gibson SG. « Trop tard, mon heure est venue », chantait-il.
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