Handicap : la fermeture des foyers en raison du Covid-19 suscite l’indignation
La Knesset va débattre d'un projet de loi qui autoriserait le ministère des Affaires sociales à fermer les foyers pour lutter contre le COVID-19
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Niv Miron, 23 ans, que son père, Shmuel, décrit comme un « beau garçon aux yeux bleus qui ne parle pas », est autiste et vit dans une institution depuis l’âge de 14 ans.
Quand tout va bien, il adore la musique et les sports. Il vient habituellement une fois par semaine à Ness Ziona, dans le centre d’Israël, et sa mère et son père lui rendent visite à la Maison de la vie, dirigée par l’organisation à but non lucratif Alut, à Rishon Lezion, une ville située à proximité.
Récemment, avec l’introduction des restrictions de déplacement liées au coronavirus, les sorties habituelles de Niv sur un vélo-tandem ont pris fin. Finies aussi les activités amusantes telles que les sessions avec les animaux qui étaient organisées avec des intervenants extérieurs.
Puis, le 25 mars, le ministère des Affaires sociales a annoncé que dans le cadre des mesures visant à limiter la propagation du Covid-19, il serait interdit aux familles d’entrer dans les institutions et les résidents n’auraient plus le droit d’en sortir « jusqu’à une date ultérieure ».
Les familles désireuses de laisser des colis à leurs êtres chers devraient donc informer le personnel à l’avance puis laisser les objets à l’agent de sécurité – avec une livraison prévue quatre jours plus tard. Concernant la communication, il faudrait se contenter du numérique.
Et les résidents qui quitteraient sans autorisation préalable les institutions et qui désireraient y revenir devraient d’abord être placés en quarantaine pour garantir qu’ils n’ont pas été contaminés pendant le temps passé à l’extérieur.

Cela fait douze jours maintenant que Shmuel Miron n’a pas vu Niv. Le personnel de l’institution l’a informé que ce dernier rencontrait des difficultés à dormir.
« Dans les premiers stades de l’épidémie de coronavirus, nous avions l’autorisation de continuer à venir », dit Shmuel Miron, médecin et chercheur spécialisé dans la sclérose en plaques au centre médical Sheba, aux abords de Tel Aviv.
« On nous avait dit de nous rencontrer dehors, dans le jardin, en plein air. Je portais des gants et un masque avant même que cela ne devienne obligatoire, et même si je suis moi-même en bonne santé », explique-t-il.
« Puis il y a eu des cas de coronavirus ailleurs. Un travailleur social a transporté involontairement le virus. Et le ministère des Affaires sociales est devenu hystérique », continue-t-il.
« Les gens doivent comprendre les choses. Si un grand-père en maison de retraite est informé que sa famille ne pourra pas lui rendre visite à cause du coronavirus, il comprendra. Mais une personne atteinte d’autisme ne dispose pas de cette capacité cognitive. Un grand nombre d’entre eux ne parlent même pas. Ils ne savent pas lire un journal ou ce qu’est un virus – sans parler du coronavirus », poursuit-il.
« Ils ont leur cadre, leur routine de vie. Ils ont l’habitude de rendre visite à leurs familles une fois par semaine. Le contact est important. Si le ministère des Affaires sociales nous avait dit : ‘On fait une pause pendant une semaine ou deux’, on aurait probablement accepté. Mais telles que les choses se présentent, la crise du virus pourrait bien continuer encore deux ou trois mois », déplore-t-il.

« Alors quelle est la solution ici ? Affaiblir les résidents, à tel point qu’ils auront besoin d’un traitement pour régler des problèmes comportementaux quand le coronavirus aura disparu ? Il faut réfléchir à ce qu’il va se passer », prévient-il.
Shmuel Miron indique que « certains ont sorti leurs enfants de l’institution. Ils ne peuvent pas y retourner ».
« On arrive à mettre une personne revenue de l’étranger en quarantaine pendant deux semaines, mais pas un enfant en situation de handicap cognitif. C’est dingue ! », s’insurge-t-il.
Il ajoute que « après une semaine ou deux, certains enfants se trouvent dans un état de détresse qu’ils ne sont pas en mesure d’exprimer et qui peut entraîner des actes d’auto-mutilation, d’agression envers le personnel, et ils en arrivent même parfois à se cogner la tête contre les murs jusqu’au sang ».
« Qu’on nous laisse leur rendre visite », s’exclame-t-il. « On peut porter des masques, des gants, des blouses, tout ce qu’on voudra. On peut se voir à l’extérieur, mais bon sang, s’ils présentent un risque d’avoir attrapé le coronavirus, alors dépistons-les, dépistons le personnel qui rentre et qui sort en permanence ! ».
Shmuel Miron explique avoir écrit un courrier au ministre des Affaires sociales et au directeur général du ministère, les suppliant : « Accordez-moi un cadeau à Pessah : une visite à mon fils ».
Il ajoute que « dans les faits, Niv est en prison ».
Des pouvoirs ministériels abusifs
Dimanche soir à 22 heures, la situation est devenue encore plus compliquée lorsque le gouvernement a publié un projet de loi qui donnerait au ministre des Affaires sociales le pouvoir radical de fermer l’ensemble des institutions pendant 21 jours d’affilée.
Une mesure qui concerne 35 000 Israéliens placés en institution, des personnes âgées, des mineurs en foyer et 17 000 personnes en situation de handicap, âgées majoritairement de 20 à 65 ans.
Les personnes concernées ont eu 12 heures – jusqu’à 10 heures dans la matinée suivante – pour réagir.

« Quelqu’un nous a téléphoné pour nous le dire », raconte Naama Lerner, à la tête du département communautaire de l’organisation à but non lucratif Bizchut, qui œuvre pour les droits des personnes en situation de handicap.
« On s’est levés au milieu de la nuit pour écrire notre opposition », ajoute-t-elle.
D’autres organisations ont fait de même.
Lundi, Gideon Shalom, directeur de la branche chargée de s’occuper des personnes en situation de handicap au sein du ministère des Affaires sociales, a déclaré par vidéoconférence à la Knesset, via Zoom, que 25 résidents en situation de handicap avaient contracté le coronavirus dans 16 institutions, qu’il n’y avait pas eu de décès et que 350 personnes se trouvaient actuellement en quarantaine à cet effet.
Interrogé sur les visites des parents, il a répondu que « ce n’est pas une priorité pour le moment ».
De nombreux parents ne savent plus que faire et, à leur demande, Bizchut a aidé en hâte à créer une pétition (en hébreu) dénonçant le projet de loi, qui sera envoyée à tous les membres de la Knesset, au ministre des Affaires sociales et à son directeur général avant le débat sur le texte prévu mardi.
Gideon Lerner indique que tous les résidents infectés ont été contaminés par des membres du personnel.
« D’un côté, on transforme les parents en vecteur le plus probable de la propagation du virus, mais de l’autre, avec une grande facilité, on laisse le personnel entrer, sans protection appropriée, sans même savoir où ils ont pu aller. Certains sortent d’agences intérimaires parce qu’il faut des aides supplémentaires. Qui sait seulement où ils ont travaillé la veille ? Et que dire de tous les bénévoles ? », interroge-t-elle.

« Il n’est pas interdit aux employés de retourner chez eux voir leurs propres familles, alors pourquoi est-ce interdit aux résidents ? », s’étonne-t-elle.
Naama Lerner ajoute que la logique aurait imposé de dépister tous les résidents et les personnels entrant dans un foyer pour permettre un diagnostic précoce.
« Dans certaines structures, les membres des familles n’ont même pas le droit de s’entretenir au téléphone avec les résidents ou les appels sont limités. S’ils veulent passer un appel vidéo via Zoom, cela dépend de la bonne volonté d’un employé », continue-t-elle.
Les droits des familles
« Des familles s’effondrent et celles qui ont un membre en situation de handicap sont déchirées », continue Naama Lerner.
« J’ai eu une mère qui voulait dire en face à face à sa fille que sa grand-mère était décédée, mais les employés ont dit que non, qu’ils lui diraient au dîner, au nom de sa mère », raconte-t-elle. « J’ai eu une mère, dont l’enfant unique est autiste et qui se trouve dans un hôpital psychiatrique depuis des années. Il avait trouvé une sorte d’équilibre l’année dernière, quoique fragile. Il rentrait chez lui le week-end, il avait une visite le mardi. Aujourd’hui, il est coupé de tout et il explose ».
« J’ai une fille dans un hôpital psychiatrique. L’hôpital dit qu’elle est en bonne santé et il voudrait qu’elle s’en aille. Mais son père est octogénaire, avec des complications médicales, et si elle rentre chez elle, elle représentera un risque pour lui à cause du Covid-19 », dit-elle encore.
« Personne d’autre ne peut s’occuper d’elle. Si elle est jetée dehors, elle mourra. Mais pour eux, au ministère des Affaires sociales, peu importe véritablement si elle meurt à la rue. Le principal, c’est qu’elle ne meure pas du coronavirus sous leurs yeux », s’indigne-t-elle.

Menachem Goldin, avocat et conseiller juridique de l’organisation à but non lucratif Kesher, qui défend les parents d’enfants en situation de handicap, explique que « tout cela est une affaire de ressources. Les services sociaux parlent actuellement de comment faire pour trouver des alternatives de contact [via des moyens numériques], plutôt que de comment faire pour trouver une solution ».
« Il pourrait y avoir un dépistage de chaque résident qui revient, un dépistage des parents, des équipements de protection prévus pour les visiteurs ou la mise en place de zones stériles où chacun pourrait se rencontrer », ajoute-t-il.
Pour Menachem Goldin, « les parents ont aussi le droit de voir leurs enfants. En particulier pendant la crise du coronavirus ».