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« Honte » : la statue d’un ex-maire antisémite qui agite Vienne

"Sa place est dans les poubelles de l'histoire, pas dans l'espace public", dénonce un militant au sujet de l'ancien maire populiste et antisémite, dont l'héritage a inspiré Hitler

La statue de Karl Lueger, ancien maire antisémite de Vienne, dégradée par des manifestants du mouvement "Black Lives Matter". (Crédit : Presse Service Wien / Twitter)
La statue de Karl Lueger, ancien maire antisémite de Vienne, dégradée par des manifestants du mouvement "Black Lives Matter". (Crédit : Presse Service Wien / Twitter)

Un collectif d’artistes viennois a ravivé cette semaine la querelle mémorielle autour de Karl Lueger, un ancien maire populiste et antisémite de la capitale autrichienne, dont l’héritage ayant inspiré Hitler est toujours défendu par l’extrême droite.

« Honte » : les militants ont apposé dans la nuit de dimanche à lundi des lettres en béton doré sur le socle du monument, qui trône en bonne place sur la célèbre Ringstrasse, le boulevard circulaire de Vienne.

Las, elles n’auront survécu que quelques heures, bientôt arrachées, à coup de marteau, par des activistes nationalistes en pleine campagne électorale.

Depuis, la statue a été placée sous escorte policière, des barricades en bloquent l’accès. Les artistes, eux, sont toujours là, épaulés par des organisations juives, musulmanes, féministes et de gauche qui se relaient à son chevet.

« La Ville veut enlever les graffiti, nous nous y opposons fermement », explique à l’AFP – sous le regard d’un groupe scolaire intrigué par la controverse – Simon Nagy, une des figures de proue des militants anti-Lueger.

« Sa place est dans les poubelles de l’histoire, pas dans l’espace public », s’emporte le jeune homme de 25 ans qui trouve indigne de le voir encore honoré au XXIe siècle.

Si lui veut voir la statue déboulonnée, le collectif, galvanisé par les manifestations liées au mouvement Black Lives Matter, réclame plus largement aux autorités de prendre le dossier en main et de repenser le monument.

« Antisémitisme agressif »

Les Viennois se souviennent de Karl Lueger, maire de 1897 jusqu’à sa mort en 1910, comme de celui qui a impulsé la transformation visionnaire de Vienne à la Belle époque, devenue sous son égide une cité rayonnante de plus de deux millions d’habitants, aux infrastructures modernes.

Il a bâti un culte de la personnalité qui lui a survécu : outre cette statue érigée en 1926, des rues lui rendent encore hommage en Autriche. La portion de la Ringstrasse à son nom a, elle, été débaptisée en 2012, sur fond, déjà, de controverse.

Grand démagogue, il a fait aussi de l’antisémitisme une arme politique, déclare Florian Wenninger, historien de l’Université de Vienne, au point d’être cité par Adolf Hitler dans son manifeste « Mein Kampf ».

En 1900, les Juifs représentaient 20 % de la population du centre de Vienne. Stefan Zweig, Gustav Mahler, Sigmund Freud… une grande partie des intellectuels viennois étaient issus de la bourgeoisie juive.

Et « Lueger a construit sa carrière politique sur la haine d’une minorité », décrypte le professeur. C’est son « antisémitisme particulièrement agressif » qui l’a porté au pouvoir sous la monarchie austro-hongroise, rappelle-t-il.

Esquiver le débat

Le débat a longtemps été évité sur cet épisode sombre de l’histoire autrichienne, dans un pays qui privilégie le consensus politique au conflit.

Il en est de même pour son passé nazi : annexée par Hitler à l’Allemagne en 1938, ses gouvernements successifs l’ont présentée après 1945 comme « la première victime du nazisme », niant la complicité de nombreux Autrichiens dans les crimes du IIIe Reich.

Et ce n’est que dans les années 1980 que l’Autriche a commencé à porter un regard critique sur cette époque.

Mais au même moment, le parti de la Liberté (FPÖ), créé en 1956 et mené dans ses premières années par un ex-officier de la Waffen-SS, faisait sa première entrée au gouvernement, en 1983. Il a de nouveau dirigé le pays en coalition entre 2000 et 2005, puis entre 2017 et 2019.

Dans le cas de Lueger, il semblerait qu’une fois encore la plupart des politiciens au pouvoir bottent en touche, sensibles à ne pas froisser leur électorat. D’après un sondage en ligne publié mercredi dans la presse, 70 % des personnes interrogées se disent défavorables au déboulonnage de la statue.

Les sociaux-démocrates, en course pour rester à l’Hôtel de Ville à l’issue d’élections municipales prévues dimanche, considèrent que le monument « a suffisamment été replacé dans le contexte ». Une petite plaque explicative avait ainsi été apposée à proximité en 2016.

Quant aux élus du parti de droite qui gouverne le pays, s’ils disent rejeter l’antisémitisme de Lueger, ils rappellent qu’il fut « l’un des maires les plus influents de Vienne ».

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