Inquiétude des Juifs allemands après le coup de pouce de JD Vance à un parti d’extrême droite
Le chef de la fédération juive dit que "la vie des Juifs en Allemagne serait compromise" si l'AfD arrivait au pouvoir, car "négationnistes et antisémites sont chez eux » dans ce parti

BERLIN (JTA) – Les prochaines élections allemandes – qui devraient voir arriver le parti d’extrême droite allemand en deuxième position – s’annonçaient déjà anxiogènes pour les Juifs qui y vivent.
Mais la semaine dernière, soit 10 jours avant le vote de dimanche, le vice-président américain JD Vance a prononcé un discours à Munich pour remettre en cause le « pare-feu » que les principaux partis allemands auraient mis en place contre le parti d’extrême droite, Alternative pour l’Allemagne, plus connu sous l’acronyme AfD.
La montée de l’AfD inquiète dirigeants juifs et politiciens allemands. Aujourd’hui, ils sont désormais nombreux à parler de ce que beaucoup voient comme une tentative de faire tomber le boycott dont fait depuis longtemps l’objet l’extrême droite, et certains vont jusqu’à critiquer personnellement Vance.
Vance « fait sciemment l’impasse sur le fait que la constitution [allemande] protège les principes fondateurs de la démocratie en interdisant les discriminations », a déclaré l’auteure juive Anetta Kahane, qui a grandi dans l’ex-Allemagne de l’Est et est à l’origine de la Fondation antiraciste et pro-démocratie Amadeu Antonio, créée en 1998. « C’est le fruit d’un long et difficile travail, qui s’est fait ici, sur plusieurs siècles. Nous ne laisserons personne y toucher. »
Parti d’extrême droite créé en 2013, l’AfD figure aujourd’hui en deuxième place avant les élections, parfois crédité de plus de 20 % dans certains sondages. Farouchement opposé à l’immigration, en particulier en provenance des pays à majorité musulmane, il est également critique envers l’Union européenne. Il devance dans les sondages le Parti social-démocrate de centre-gauche, au pouvoir, passé en troisième place, ainsi que d’autres partis, dont les Verts et le Parti libéral-démocrate.
« L’AfD a un programme politique fondé sur l’exclusion et la division », a déclaré Karin Prien, vice-présidente de l’Union chrétienne-démocrate de centre-droit, en tête des sondages. Prien est juive et est porte-parole du forum juif au sein du parti.
Dans un courriel adressé à la JTA, elle a ajouté que l’Allemagne devait tirer les enseignements des « crimes contre l’humanité commis par nos ancêtres, qui n’ont jamais commencé par des meurtres de masse. Cela commence dévaloriser la vie humaine, semer l’alarme et s’en prendre sans cesse à ce qui fait de nous une société. Et lorsque les partis démocratiques ne font rien, sont apathiques, ils laissent advenir de futurs crimes. »

Les principaux partis traditionnels allemands, que ce soit de gauche ou de droite, s’en sont tenus au boycott de l’extrême droite en ne lui faisant pas de place au sein des gouvernements de coalition. Le discours de Vance, le 14 février dernier, n’a pas fait explicitement mention de l’AfD, mais a été compris comme un appel à l’acceptation du parti au sein des courants politiques dominants en Allemagne.
« Ce que la démocratie allemande – ce qu’aucune démocratie, qu’elle soit américaine, allemande ou européenne – ne peut supporter, c’est que l’on dise à des millions d’électeurs que leurs pensées et préoccupations, aspirations, appels à l’aide, n’ont pas droit de cité ou ne sont pas dignes d’être pris en compte », a déclaré Vance. « La démocratie repose sur le principe sacré selon lequel la voix du peuple compte. Il n’y a pas de place pour les pare-feu. »
Lors de son déplacement, Vance s’est entretenu avec Alice Weidel, candidate de l’AfD à la chancellerie, qui l’a remercié sur X, le réseau social appartenant au principal conseiller de l’administration Trump, Elon Musk.
Musk a fait l’éloge de l’AfD à plusieurs reprises et a récemment interviewé Weidel sur X, où elle a déclaré qu’Adolf Hitler était communiste et n’était pas de droite, ce qui est mensonger.
Vance a écrit sur X que les institutions de l’élite faisaient en sorte de « faire taire leur peuple et de délégitimer les croyances du peuple », ajoutant « Même si vous n’êtes pas d’accord avec moi sur le fond, ces institutions se sont révélées fragiles. L’AfD occupe la deuxième place en Allemagne. L’extrême droite ne cesse de se rapprocher en France. Réveillez-vous ! »

Le chancelier allemand Olaf Scholz a condamné le discours de Vance en parlant de la visite du vice-président à Dachau, le camp de concentration nazi, cette semaine, et à l’expression « Plus jamais ça », héritée de la Shoah.
« Cet engagement au ‘plus jamais ça’ est inconciliabe avec un soutien à l’AfD », a déclaré Scholz au lendemain du discours de Vance.
Les déclarations de politiciens de l’AfD pour relativiser l’importance de la Shoah ou s’opposer à sa mémoire dans ce pays, attirent depuis longtemps l’attention et l’inquiétude. En 2018, un politicien de tout premier plan de l’AfD a qualifié l’époque nazie de « trois fois rien » dans le cours de l’histoire allemande. Le parti s’oppose également à la circoncision religieuse des garçons, ainsi qu’à l’abattage rituel, ce qui empêcherait de facto la production de viande casher et halal.
Charlotte Knobloch, survivante de la Shoah et présidente de la communauté juive de Munich et de Haute-Bavière, a déclaré que l’AfD avait « d’ores et déjà réussi à repousser les limites de ce qui pouvait être dit ». Elle ne s’est pas adressée directement à Vance, mais s’est inquiétée de l’acceptation latente de l’extrême droite.
« Nous sommes très préoccupés de cette tendance à la normalisation », a-t-elle déclaré dans une interview par courrier électronique. « Notre démocratie s’est construite – avec l’aide des libérateurs américains – sur les ruines des crimes contre l’humanité de la Shoah et est revenue dans le cercle des États civilisés contre la promesse de « Plus jamais ça ! »
« Il ne peut y avoir de normalisation et certainement pas de coopération avec un parti qui dit de cette descente dans l’inhumanité qu’elle est « trois fois rien », ajoute-t-elle.

Josef Schuster, qui préside le Conseil central des Juifs d’Allemagne, n’a rien dit au sujet de Vance. Mais il s’oppose depuis longtemps à l’AfD. Il a déclaré à un journal catholique italien, cette semaine, que si un tel parti « arrivait au pouvoir, la vie des Juifs en Allemagne serait compromise », avant d’ajouter que « les négationnistes et antisémites sont chez eux au sein de l’AfD. »
Face à cette polémique, Prien se dit confiante. Contrairement à ce que pense Vance, a-t-elle dit, le consensus anti-AfD au sein des partis traditionnels est un signe de la santé de la démocratie allemande. Le pare-feu politique est le signe que « 80 % des Allemands rejettent l’AfD », explique Prien, qui est également ministre de l’Éducation, de la Science, de la Recherche et de la Culture dans l’État de Schleswig-Holstein.
« C’est un parti qui, heureusement, n’a jamais été élu et n’a jamais eu de responsabilités gouvernementales. Certains de ses dirigeants sont des extrémistes de droite. »
L’AfD reçoit malgré tout quelques voix juives.
Artur Abramovych, président du caucus juif du parti, qui compterait une vingtaine de membres, fait siens les propos de Vance. Plus importante encore que la menace de la Russie ou de la Chine, c’est la menace de « l’idéologie woke » qu’il pense être au coeur des propos de Vance. « Le plus gros problème est l’oppression de la liberté d’expression. La morale en Occident est en pleine décadence. » À titre d’exemple, il cite un politicien allemand qui aurait récemment porté plainte contre quelqu’un qui l’avait traité de « crétin » sur X.
Il critique par ailleurs les membres du Bundestag – le parlement allemand – qui ont ostensiblement tourné le dos au parlementaire de l’AfD Martin Trefzer lors de sa prise de parole à l’occasion de l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Les manifestants étaient « tous anti-sionistes, des gens pleins de haine envers Israël qui traitent l’AfD de parti nazi et se disent pro-juifs », a déclaré Abramovych. « Nous sommes très heureux qu’il y ait enfin une administration américaine qui comprenne ce qui se passe en Allemagne, parce que nous souffrons de ce qui se passe ici depuis des années. »

L’attrait de l’AfD pour Vance, Musk et d’autres personnalités proches du président Trump repose sur leur défiance commune envers les réglementations de l’UE, les restructions à la liberté d’expression imposées à l’extrême droite et, peut-être surtout, l’opposition de l’AfD à l’immigration.
« Aucun électeur de ce continent n’a voté pour que l’on ouvre en grand les vannes et que des millions d’immigrants déferlent sans contrôle », a déclaré Vance lors de son discours de Munich. « De plus en plus, partout en Europe, on vote pour des dirigeants politiques qui s’engagent à mettre fin à l’immigration incontrôlée. »
Alors que l’Allemagne continue de se débattre avec les retombées du discours de Vance et ce qu’il laisse présager des relations transatlantiques, Prien espère que le vice-président américain saura tirer les enseignements de sa visite à Dachau.
« Voir un des camps de concentration devrait être un choc », explique Prien. « Ces meurtres de masse, industrialisés, systématiques et bureaucratiques, ont été rendus possibles par l’abandon des Juifs, des sociaux-démocrates et des homosexuels par leurs voisins et collègues. »
Elle estime que l’AfD est loin d’avoir tiré les leçons de cette histoire.
« La vision du monde et de la vie humaine de ce parti est totalement arronée », assure-t-elle. « Nul politicien respectueux de la Déclaration des droits ne devrait les laisser se livrer à leurs activités répréhensibles. »