Israël en guerre - Jour 536

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Inquiétudes autour du projet de baignades séparées dans les réserves naturelles

Une tentative de satisfaire les visites estivales des haredim dans les sources naturelles ajoute du piment à la lutte qui fait déjà rage sur le caractère démocratique d'Israël

Les Israéliens dans le parc national Gan HaShlosha, dans le nord d'Israël, le 9 septembre 2017. (Crédit : Gili Yaari/Flash90)
Les Israéliens dans le parc national Gan HaShlosha, dans le nord d'Israël, le 9 septembre 2017. (Crédit : Gili Yaari/Flash90)

Préparer une valise pour six enfants et faire sortir tout le monde est la partie la plus simple des préparatifs de Yehuda Fua chaque fois que sa famille veut aller visiter l’une des sources naturelles qui attirent des milliers d’Israéliens chaque été.

Comme la plupart des haredim – des Juifs ultra-orthodoxes qui représentent environ 17 % de la population juive d’Israël – Fua s’interdit, ainsi qu’à son épouse et aux plus âgés de ses enfants, d’entrer dans l’eau en même temps que des personnes du sexe opposé.

Mais contrairement aux quelque 16 plages israéliennes séparées par sexe, aucune des dizaines de sources entretenues par l’Autorité israélienne de la nature et des parcs (INPA) ne tient compte de cette exigence de tsniout – ou règles de pudeur de la loi juive orthodoxe. Les haredim comme Fua, 38 ans, résident d’Afula et militant de droite, essaient donc de venir assez tôt pour devancer les visiteurs laïcs, ou renoncent tout simplement.

« La plupart du temps, nous ne nous en donnons même pas la peine. C’est effectivement hors limites pour nous », a déclaré cette semaine au Times of Israel Fua, co-fondateur de B’Tsalmo, un groupe conservateur de défense des droits de l’Homme.

Pour remédier à cette situation, la ministre de l’Environnement, Idit Silman (Likud), a annoncé la semaine dernière que deux réserves naturelles près de Jérusalem – Einot Tzukim et Ein Haniya – resteraient ouvertes après les heures d’ouverture pour la baignade séparée ce mois-ci.

Mais son projet a été bloqué par le bureau de la procureure générale, qui a invoqué des problèmes d’égalité et de discrimination en l’absence de lois réglementant la ségrégation sexuelle.

La députée Idit Silman à la Knesset, le 6 juin 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Pour certains, la décision de Silman est un acte d’empiètement religieux sur un passe-temps majoritairement séculier, au plus fort d’un combat clivant entre traditionalistes et laïcs sur les relations entre la religion et l’État, et intervient dans le cadre de la volonté – largement controversée – du gouvernement de réformer le système judiciaire. Pour d’autres, il s’agit d’une correction tardive dont la suspension par les bureaucrates prouve que la refonte est nécessaire pour assurer la représentation d’un public conservateur, dont certains pensent qu’il a été mis à l’écart par une élite judiciaire non-élue et largement libérale.

Dans une interview accordée au Times of Israel, Silman a refusé de discuter des aspects plus larges des retombées de son plan, le décrivant simplement comme une erreur juridique commise par la procureure générale adjointe Avital Sompolinsky.

« Je n’aborderai pas ces questions pour le moment », a déclaré Silman lorsqu’on lui a demandé si l’affaire s’inscrivait dans le débat sur la religion et l’État et dans la controverse autour de la refonte judiciaire, qui vise à affaiblir le pouvoir judiciaire et donc à accroître le pouvoir des élus.

L’eau s’accumulant dans une piscine à Einot Tzukim, dans le désert de Judée, le 3 janvier 2017. (Crédit : Melanie Lidman/Times of Israel)

Silman a déclaré que le plan, qui devait être lancé la semaine dernière, a été suspendu après que les conseillers juridiques de l’Autorité israélienne de la nature et des parcs (INPA) ont consulté les responsables de la justice.

Le plan de Silman « nécessite une autorisation législative. En l’état actuel de la législation, l’INPA n’est pas autorisée à limiter l’accès à ses installations en fonction du sexe. Il faut donc une législation explicite et certifiante », a écrit le bureau de la procureure générale dans un communiqué publié jeudi.

Selon Silman, Sompolinsky a suspendu le projet en se basant sur les actions de son prédécesseur, Dina Zilber, qui avait torpillé en 2020 une précédente tentative d’instaurer une baignade séparée pour les hommes et les femmes dans une réserve naturelle, estimant que cela allait à l’encontre des principes d’égalité défendus par la Cour suprême.

« Il y avait quelques problèmes dans le plan de 2020 », a déclaré Silman. « Principalement, les heures de séparation se faisaient au détriment des heures mixtes. Nous avons résolu ces problèmes en ajoutant des heures d’ouverture supplémentaires pour la baignade séparée et non-séparée, à des heures qui ne dérangent pas la faune », a-t-elle ajouté.

La procureure générale adjointe Avital Sompolinsky participant à une réunion de la commission de la Constitution, du Droit et de la Justice à la Knesset, le 19 janvier 2023 (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La suspension n’est « pas légitime parce qu’il s’agit d’une ingérence sans raison valable », a déclaré Silman. Mercredi, son bureau a envoyé une lettre à la procureure générale Gali Baharav-Miara et à Sompolinsky pour protester contre le retard dans l’autorisation et l’examen du programme pilote de baignade séparée. Baharav-Miara a répondu à la ministre qu’elle bloquait le projet de baignade séparée lors d’une réunion que les deux ont tenue jeudi, a rapporté Israel Hayom.

« Dans l’ensemble, je fais confiance à l’establishment professionnel. J’espère que personne au bureau de la procureure générale n’essaie de perpétuer l’exclusion inadmissible et blessante d’une grande partie de la population – qui comprend des musulmans pieux en plus des Juifs – de l’accès à nos ressources naturelles et hydriques communes », a déclaré Silman au Times of Israel.

Silman n’a pas encore répondu à une demande de réaction à la décision de la procureure générale. Israel Hayom a cité des sources proches de Silman : « L’effort en faveur de l’égalité et du pluralisme prend fin lorsqu’il s’agit des besoins du public pieux haredi et arabe. En ce qui concerne la procureure générale, il n’y a pas de place pour des accords civiques mesurés et compréhensifs entre les secteurs sur la mise en œuvre des préférences de la population dans toute sa diversité. »

Moriya Litvak, directrice de Yehudit, une organisation conservatrice de défense des droits des femmes, décrit la mise en veille du plan comme la preuve que le pouvoir judiciaire adopte une approche libérale qui considère la dissimulation des traits féminins comme le résultat de l’oppression patriarcale.

« Il s’agit d’un point de vue féministe radical contre la pudeur, imposé par un bureau de la procureure générale de gauche dans 100 % des réserves naturelles », a déclaré Litvak.

Shai Glick, à gauche, et Yehuda Fua, les dirigeants du groupe de défense de droite B’Tsalmo, manifestant en faveur de la refonte judiciaire à Jérusalem, en Israël, en février 2023. Sur la pancarte, on peut lire : « Mettez fin à la tyrannie de la minorité ». (Crédit : B’Tsalmo)

Pour Litvak, « cela montre la centralité et la nécessité de la refonte judiciaire ». « Au lieu d’aider les élus, les conseillers juridiques et les bureaucrates leur mettent des bâtons dans les roues. Lorsque la réforme aura été [intégralement] mise en œuvre, nous bénéficierons, entre autres, d’un accès égal aux ressources naturelles », a déclaré Litvak.

Les opposants à la baignade séparée par sexe dans les réserves naturelles affirment que les pressions exercées en ce sens s’inscrivent dans une volonté plus large de transformer Israël en théocratie – une perspective qu’ils craignent de voir facilitée par la refonte judiciaire menée par le Likud et ses cinq partenaires de la coalition religieuse.

L’INPA est « soumise à la pression des partis religieux qui veulent opprimer les femmes et limiter nos droits dans l’espace public », a écrit Karni Ben Yehuda, graphiste et militante féministe, dans une pétition contre la baignade séparée dans les sources naturelles. « Ce serait un dangereux précédent et si cela se produisait, d’autres entités publiques pourraient discriminer légalement les femmes », peut-on lire dans la pétition, qui a reçu plus de 125 000 signatures.

Une piscine datant de l’époque byzantine découverte sur le site d’Ein Hanya, près de Jérusalem, et révélée au public le 31 janvier 2018 (Crédit : Assaf Peretz/Israel Antiquities Authority)

Or Kashti, journaliste à Haaretz, a écrit dans une tribune publiée dimanche dernier : « Rien n’arrête Silman et ses camarades du coup d’État du régime », terme désignant la refonte judiciaire qui a la faveur de ses opposants.

« Elle est déterminée à mépriser la loi et à continuer à saper le principe d’égalité dans une autre sphère de la vie, tout en prononçant de belles paroles sur la ‘considération’, la ‘sensibilité’ et le multiculturalisme. »

Les inquiétudes concernant la mise en péril des droits des femmes « se confirment, que ce soit par l’expansion des tribunaux rabbiniques ou la normalisation des concerts, des activités de loisirs et des universités séparés », a écrit Kashti, faisant référence à des controverses antérieures sur la séparation en fonction du genre.

L’une des récentes controverses concerne un projet de loi proposant d’exiger des installations séparées dans les parcs naturels dotés de sources d’eau, soumis en janvier par Moshe Gafni, le chef du parti haredi Yahadout HaTorah et l’un des partenaires de la coalition du Likud. Le projet de loi, qui semble être au point mort, n’a pas progressé vers une lecture préliminaire. Mais suite à l’abandon du plan de Silman, Gafni a déclaré qu’il allait maintenant faire avancer le projet de loi.

« L’autre partie n’est apparemment pas intéressée par un compromis », a écrit Gafni dans un communiqué. « Maintenant que le projet de Silman a été rejeté, nous devrons le faire avancer [le projet de loi] afin que les communautés intéressées par la baignade séparée en Israël puissent également profiter des sources naturelles d’Israël. »

Des hommes et des garçons se baignant sur une plage séparée par sexe, à Herzliya, en Israël, en juillet 2012. (Crédit : Wikimedia Commons)

« Les gens venant de l’étranger penseraient qu’ils ont atterri en Iran par erreur », avait déclaré Amnon Gofer, guide touristique, à la station de radio FM103 en janvier à propos du projet de loi. En outre, avait-il ajouté, les haredim ne sortent généralement pas dans la nature.

« Soyons réalistes : les étudiants en yeshiva rentrent chez eux [pendant les vacances], ils ne sont pas tout le temps dans la nature. »

Yisrael Shapira, un guide touristique bien connu des haredim, s’amuse de cette affirmation. « Dites-le aux dizaines d’entreprises touristiques qui dépendent des visiteurs haredim », a-t-il déclaré au Times of Israel. « Les randonneurs haredim viennent principalement trois mois par an, et surtout en été, lorsque les étudiants en yeshiva sont en vacances », a déclaré Shapira.

« Mais lorsqu’ils viennent, ils viennent en masse. Cela ne fait que faciliter la mise en place d’une baignade séparée pendant ces trois mois seulement », a-t-il affirmé.

Certaines sources, comme Gan Hashlosha (Sahne) près d’Afula, un parc très apprécié dont les eaux claires et turquoises ont une température constante d’environ 28°C, possèdent plusieurs bassins qui facilitent les opérations pour les baignades séparées et mixtes en même temps. D’autres, comme la piscine Hexagonale du Golan, une étendue d’eau profonde et fraîche nommée ainsi en raison des remarquables formations de roches volcaniques qui ornent ses bords, disposent d’un espace nécessitant des horaires distincts.

Une cascade se déversant dans la piscine Hexagonale sur le plateau du Golan. (Crédit : Autorité israélienne de la nature et des parcs)

Randonner avec des enfants en l’absence d’eau est difficile en Israël, un pays aride où les températures peuvent facilement atteindre 39°C à l’ombre. Cette réalité a donné lieu à des litiges sur l’accès à l’eau, qui deviennent souvent le reflet de griefs sociétaux plus larges, tels que le clivage entre Ashkénazes et Séfarades qui s’est manifesté lors d’une bataille sur le ruisseau Hassi, ou Nahal Amal.

Après dix ans de litiges qui sont allés jusqu’à la Cour suprême, un accord a été conclu cette année qui permet aux visiteurs, principalement de la ville de Beit Shean, plus pauvre et majoritairement séfarade, d’avoir un accès limité au ruisseau Hassi via Nir David, le kibboutz aisé et fortement ashkénaze qui, pendant des décennies, a illégalement interdit aux non-membres d’entrer dans le lieu.

Litvak, féministe et pratiquante, privilégie les sorties dans la nature aux quelques sources qui parsèment la Cisjordanie et qui n’ont pas encore été déclarées « parcs ». La population juive locale, qui compte plus de fidèles que la moyenne nationale, « élabore ses propres programmes de multipropriété. Les gens négocient simplement sur le terrain, en accordant aux femmes et aux hommes le même temps dans l’eau », a-t-elle déclaré.

Le ruisseau Amal, ou « Hassi », traversant le kibboutz Nir David dans le nord d’Israël, le 9 août 2020. (Crédit : Menachem Lederman/Flash90)

En tant que guide touristique expérimenté, Shapira, 33 ans et père de quatre enfants, originaire de Modiin Ilit, amène des groupes de haredim aux sources lorsqu’il est presque sûr qu’elles seront désertes. « Nous venons très tôt. Mais parfois, même comme de cette façon, ça ne sert à rien et nous nous sentons humiliés et marginalisés », a-t-il déclaré.

Certaines personnes laïques qui protestent contre la séparation sexuelle craignent de ressentir la même chose.

« Cela commencera par les sources naturelles, se poursuivra par des couloirs de marche séparés et se terminera par l’attribution aux hommes de la majorité de l’espace et du temps au détriment des femmes », avait écrit Uri Misgav, chroniqueur à Haaretz, en 2021, à propos d’un projet antérieur et infructueux visant à instaurer la baignade séparée dans les réserves naturelles.

« Stratégiquement, les haredim vont nous consommer, il n’y a pas d’autre solution. Ce n’est pas de l’antisémitisme, c’est une analyse honnête des tendances sociales, économiques et démographiques », avait noté Misgav.

Mais si c’est vrai, ce n’est qu’une raison de plus pour être généreux avec les haredim lorsqu’ils sont minoritaires, a fait valoir Fua, père de six enfants d’Afula.

« Si vous craignez que nous vous envahissions lorsque nous serons majoritaires, pourquoi voudriez-vous nous opprimer et nous humilier maintenant, en nous privant de quelques heures par semaine dans une réserve naturelle ? », a demandé Fua.

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