La décision de l’UE sur l’abattage casher indique aux rabbins comment procéder
La décision suggère aux Juifs et aux musulmans de trouver un moyen de rendre l'étourdissement électrique des animaux conforme à la loi religieuse, bien qu'il soit interdit
AMSTERDAM (JTA) – Selon des dirigeants juifs européens, l’Union européenne ne se contente pas seulement d’interdire certaines méthodes d’abattage casher et halal, mais elle indique aux Juifs et aux musulmans comment pratiquer leur religion.
C’est l’avis de nombreuses personnes qui ont lu un récent arrêt de la plus haute juridiction de l’UE. Cet arrêt confirme l’interdiction, en Belgique, de produire de la viande casher et halal, en proscrivant une pratique consistant à abattre le bétail sans l’avoir préalablement étourdi électriquement jusqu’à ce qu’il perde connaissance.
Les autorités juives et musulmanes renoncent à l’étourdissement en vertu de lois religieuses similaires qui exigent que les animaux soient conscients lorsqu’ils sont tués pour leur viande. Le tribunal et les défenseurs des droits des animaux estiment que cette méthode est cruelle.
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Mais la décision prise le 17 décembre par l’Union européenne va un peu plus loin : de façon remarquable, le document de 11 000 mots suggère que les Juifs et les musulmans devraient et pourraient trouver un moyen d’autoriser l’étourdissement des animaux par choc électrique.
Cet aspect de l’arrêt ravive déjà des débats communautaires internes dans les communautés musulmanes et juives, sur fond d’allégations selon lesquelles le tribunal éroderait la séparation de l’Église et de l’État.
« Cette partie de la décision est étonnante », a déclaré Shimon Cohen, directeur de campagne pour Shechita UK, une organisation basée à Londres qui fait pression contre les tentatives d’interdiction de la shehita, ou abattage casher. Un tribunal laïc n’a pas « l’autorité de dire aux gens s’ils peuvent pratiquer des éléments de leur foi. Un tribunal laïc n’a pas le droit de me dire comment pratiquer. Ca va trop loin ».
Pinchas Goldschmidt, président de la Conférence des rabbins européens, a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency que le fait que le tribunal « cherche à définir la shehita est absurde ».
M. Goldschmidt a rejeté l’interprétation apparente du tribunal selon laquelle l’étourdissement par choc électrique est compatible avec le judaïsme. La viande provenant d’animaux qui ont été étourdis par n’importe quel moyen, y compris l’électricité, avant leur abattage ne peut être considérée comme casher, a-t-il déclaré.
Le tribunal européen a refusé de répondre à la demande de commentaires de l’agence JTA.
Les interdictions en Belgique s’inscrivent dans le cadre d’une lutte à travers l’Europe entre les militants du bien-être animal et les représentants des communautés musulmanes et juives au sujet des méthodes d’abattage halal et casher.
Ces dernières années, des activistes et des politiciens anti-immigration ont rejoint le débat dans le but apparent de minimiser l’empreinte de la présence musulmane en Europe, et dans certains cas également celle de la présence juive. Un combat similaire se déroule autour de la circoncision non médicale des garçons, ou milah, que certains militants des droits de l’enfant qualifient de cruelle.
La décision relative à l’abattage, qui rejette une pétition déposée par des groupes musulmans et juifs de Belgique, suggère que, « l’électronarcose » étant en soi non létale, les autorités religieuses devraient pouvoir l’adapter dans le cadre de leurs rituels religieux.
En outre, le jugement indique que, puisque l’interdiction est limitée à certaines zones de la Belgique, les Juifs et les musulmans peuvent toujours s’approvisionner en viande casher et halal, ce qui atténue un quelconque empiètement sur leur liberté de culte.
Cohen s’oppose à ces arguments. La science sur ce qui fait moins souffrir un animal – un choc électrique ou un coup de couteau vif et rapide – est loin d’être établie, a fait valoir M. Cohen, et est sujette à des interprétations religieuses qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Quant à l’argument de l’approvisionnement, il a fait remarquer que les pénuries de viande casher étaient déjà courantes en Europe aujourd’hui.
Le tribunal a semblé s’appuyer sur l’autorité d’un vétérinaire musulman qui a témoigné devant une commission parlementaire belge sur l’Environnement. Jamal Zahri, un représentant de l’exécutif des musulmans de Belgique, a semblé approuver l’étourdissement par choc électrique.
« Nous ne sommes pas fermés, ce n’est pas que nous n’en voulons pas », a déclaré Zahri à propos de l’étourdissement électrique. « Nous cherchons seulement à préserver deux exigences musulmanes : Que l’animal soit vivant [lorsque son cou est coupé] et qu’il se vide de son sang. » « C’est ma position en tant que médecin représentant l’exécutif des musulmans de Belgique », a-t-il ajouté.
La position de Zahri était basée sur certains édits religieux musulmans qui autorisent l’électronarcose si aucun autre choix n’est disponible. Le judaïsme n’a pas de tels édits, a déclaré Goldschmidt.
Zahri était également favorable à une procédure dans laquelle un animal est étourdi très peu de temps après que son cou ait été coupé, ce qui limite les convulsions et, selon certains, la souffrance. Certaines communautés et rabbins juifs ont accepté cette méthode, tout comme certains musulmans. Mais elle n’est pas largement acceptée dans les deux religions.
Néanmoins, au cours du débat parlementaire, où aucun représentant de la communauté juive n’était présent, M. Zahri a déclaré que l’étourdissement après la coupe et l’électronarcose étaient des compromis acceptables pour les musulmans de Belgique.
Ses déclarations ont déclenché un tollé dans sa communauté. L’Exécutif des musulmans de Belgique a désavoué Zahri, publiant une déclaration dans laquelle il a qualifié sa position de « simple opinion personnelle » et représentant un point de vue minoritaire.
La décision de la Cour a autant de sens que de déplacer le shabbat au dimanche parce que les chrétiens sont d’accord avec cela
En plus de s’immiscer dans des domaines religieux dans lesquels elle n’a pas à intervenir, la Cour a « mis dans le même sac les coutumes musulmanes et juives », a déclaré M. Cohen. Les deux religions ont des méthodes distinctes pour l’abattage rituel.
« La décision de la Cour a autant de sens que de déplacer le shabbat au dimanche parce que les chrétiens sont d’accord avec cela », a déclaré M. Cohen.
Ironiquement ou non, la décision du tribunal est citée par les partisans juifs de l’étourdissement après la coupe. Selon eux, cette méthode répond à des considérations de bien-être animal et moderniserait la halacha, la loi juive, sans sacrifier ses valeurs fondamentales.
« L’étourdissement après la coupe intervient après que toutes les exigences de l’abattage casher ont été satisfaites », a déclaré l’un de ces partisans, Lilianne Vana, professeure associée spécialisée dans les études juives à l’Université libre de Bruxelles. « Elle satisfait aux exigences de toutes les parties. Et elle est déjà pratiquée. »
Dans l’ensemble de l’Union européenne, la viande casher représente une part négligeable du marché, soit moins de 1 % des 2,5 millions de bovins abattus chaque année au Royaume-Uni, a précisé M. Cohen. L’industrie de la viande halal, bien plus importante, représentait en 2012 6 % du marché total, selon un document du Parlement européen.
La technique d’étourdissement après la coupe était autrefois utilisée dans certains abattoirs en Autriche, a déclaré à JTA l’ancien grand rabbin de ce pays, Arie Folger, mais elle n’est plus utilisée. L’Autriche ne pratique plus aujourd’hui l’abattage casher de bovins.
L’Europe dispose actuellement de différentes lois sur l’abattage rituel. Aux Pays-Bas, un arrangement permet un délai de 40 secondes entre la coupe du cou d’un animal et l’application de la charge électrique. C’est le compromis qui a permis le rétablissement de l’abattage rituel après son interdiction temporaire en 2011.
En 2011, les Pays-Bas ont brièvement rejoint plusieurs pays de l’UE où l’abattage rituel est illégal, notamment le Danemark, la Suède, la Finlande, l’Estonie et la Slovénie. Le Sénat néerlandais est revenu sur cette interdiction en 2012, invoquant la liberté de culte. La Pologne a également interdit cette pratique en 2013, mais a depuis revu son interdiction à la baisse pour n’inclure que la viande destinée à l’exportation.
La décision du tribunal de l’UE, qui siège au Luxembourg, « n’aide pas la lutte pour que la shehita reste légale », a déclaré M. Cohen, ajoutant toutefois que jusqu’à présent, son groupe n’avait pas perdu le combat.
En Europe, l’abattage casher des bovins et des ovins est effectué par des shohetim, ou abatteurs casher, dans des abattoirs ordinaires. Les communautés et organisations juives d’Europe ne possèdent aucun abattoir pour les gros animaux et seulement une poignée d’usines de volaille, a précisé M. Cohen.
Pour Lilianne Vana, le jugement met en lumière des questions sur la manière dont le judaïsme orthodoxe peut s’adapter, a-t-elle dit.
« Malheureusement, les dirigeants communautaires juifs se sont retranchés dans leur opposition », même lorsque la halacha autorise des changements, a-t-elle déclaré au journal La Libre Belgique.
Le rabbin Mencahem Margolin, président de l’Association juive européenne basée à Bruxelles, conteste cette affirmation.
« Sur un continent où les sports de chasse sont des traditions chères et où le commerce de la fourrure est florissant, ce débat ne concerne pas le bien-être des animaux », a-t-il déclaré. Les arguments relatifs au bien-être animal sur la shehita et les débats sur les droits de l’enfant sur la milah « cachent un conflit idéologique plus large entre les juges et les gouvernements laïques qui considèrent la religion essentiellement comme quelque chose de stupide, et les personnes de toutes les confessions doivent rester unies et insister sur leurs libertés », a-t-il déclaré à JTA.
Malgré les déclarations répétées des responsables sur le fait que l’Europe n’était pas l’Europe sans les Juifs, M. Margolin a déclaré que « les implications pratiques de la décision et l’inaction des dirigeants de l’UE à ce sujet indiquent clairement aux Juifs qu’ils n’ont pas leur place sur le continent ».
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