La Haute Cour demande à l’Etat de répondre des accusations de privation alimentaire des prisonniers palestiniens
La requête avait été déposée par l'ACRI et Gisha contre le ministre Itamar Ben Gvir et le directeur intérimaire de l'administration pénitentiaire, Kobi Yaakobi
La Cour suprême a exigé jeudi que l’État fournisse des réponses à une requête l’accusant d’assurer une alimentation inadéquate aux Palestiniens condamnés pour terrorisme et détenus dans les prisons israéliennes.
Dans une ordonnance, la Cour a enjoint à l’État de justifier « pourquoi il ne prendrait pas les mesures nécessaires pour garantir que les prisonniers de sécurité reçoivent une nourriture suffisante afin d’assurer leurs conditions de base d’existence ». Cette décision a suscité la vive opposition du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, figure de l’extrême droite, nommément cité dans la plainte, s’attirant les foudres de la justice.
L’Association pour les droits civils en Israël (ACRI), l’un des deux groupes ayant déposé la requête, a déclaré que le fait même que la Cour exige une réponse de l’État constituait « un moment révélateur d’un grave manquement moral ».
Selon l’ACRI et le groupe de défense des droits de l’homme Gisha, qui ont déposé conjointement la requête en avril, les témoignages de prisonniers et de détenus sécuritaires révèlent que depuis le pogrom perpétré par le groupe terroriste palestinien du Hamas le 7 octobre 2023, qui a déclenché la guerre en cours à Gaza, l’administration pénitentiaire israélienne aurait mis en œuvre « une politique de famine envers les prisonniers et détenus palestiniens ».
« Des prisonniers récemment libérés ont rapporté avoir souffert de faim chronique et extrême, et d’une qualité de nourriture déplorable », ont affirmé l’ACRI et Gisha dans leur requête déposée contre Ben Gvir et le directeur intérimaire de l’administration pénitentiaire, Kobi Yaakobi. Le document inclut notamment le témoignage d’un prisonnier diabétique qui aurait été contraint de consommer du dentifrice pour faire monter son taux de sucre dans le sang, ainsi que ceux de détenus affirmant avoir « perdu des dizaines de kilos au cours des derniers mois ».
La requête demandait que les prisonniers sécuritaires reçoivent « une alimentation en quantité et en composition adaptées au maintien de leur santé, identique à celle fournie aux autres détenus ».
En réponse, Ben Gvir a accusé jeudi la Haute Cour de se comporter comme « un bouclier » pour la force d’élite Nukhba du Hamas, responsable de l’assaut du 7 octobre. Il a déclaré que la Cour protégeait « des êtres humains détraqués qui ont massacré, violé, brûlé et kidnappé nos fils et nos filles avec une cruauté comparable à celle des nazis ».
Dans un communiqué, le ministre d’extrême droite a insisté sur le fait que l’administration pénitentiaire respectait la loi, tout en admettant non sans fierté que les prisonniers recevaient « le strict minimum requis par la loi, et pas un gramme de plus ».
Depuis son entrée en fonction il y a deux ans, Ben Gvir s’est insurgé à plusieurs reprises contre les prétendus privilèges des détenus dans les prisons israéliennes. Il a notamment interdit la distribution de pitot fraîches dans les prisons et limité la durée des douches pour les détenus. À la suite du pogrom du 7 octobre, il a imposé de nouvelles restrictions aux prisonniers sécuritaires, notamment en augmentant la surpopulation et en supprimant certains lits.
« Sous ma direction, l’ère des chansons, de la marmelade et du mouton est révolue », a déclaré Ben Gvir jeudi. « Les prisons pour terroristes ne seront plus des hôtels. »
Ben Gvir a reçu le soutien du ministre de la Justice Yariv Levin, lui-même engagé dans un conflit aigu avec le pouvoir judiciaire. Levin a accusé les trois juges ayant émis l’ordonnance de « se préoccuper des conditions de détention des terroristes ».
« Est-ce que qui que ce soit d’autre pense qu’il est possible de continuer de la sorte ? », a-t-il demandé avec sarcasme.
Le ministre du Patrimoine, Amichai Eliyahu, membre du parti d’extrême droite Otzma Yehudit de Ben Gvir, a publié sur X : « Ceux qui nous ont massacrés avec une cruauté bestiale, ceux qui ont violé et brûlé des filles, ceux qui ont abattu des bébés – devraient nous remercier de recevoir de la nourriture. »
En réponse à ces critiques, l’organisme public chargé de l’administration des tribunaux a qualifié ces propos « d’inappropriés » et a affirmé qu’ils visaient à « inciter à la haine et à porter atteinte à la Haute Cour et à ses juges ».
Dans un communiqué de presse, l’Autorité judiciaire a précisé que l’ordonnance concernait des milliers de prisonniers sécuritaires détenus en Israël, et non uniquement ceux impliqués dans les pogroms du 7 octobre.
« La décision rendue vise à garantir que les dispositions légales relatives aux conditions de base d’existence des détenus soient effectivement appliquées », a déclaré l’Autorité judiciaire.
L’année dernière, l’ACRI a déposé plusieurs requêtes auprès de la Haute Cour dénonçant les mauvais traitements infligés aux prisonniers sécuritaires palestiniens dans les prisons israéliennes. Parmi ses demandes figuraient l’autorisation pour la Croix-Rouge d’effectuer des visites et la fermeture du centre de détention de Sde Teiman, à la suite d’allégations d’abus systématiques envers les détenus.
La Cour n’a pas encore statué sur la question des visites de la Croix-Rouge.
Concernant la requête relative à Sde Teiman, Tsahal a déclaré en début d’année que l’utilisation de ce centre de détention était en cours de suppression progressive. Dans une décision rendue en septembre, la Cour a refusé d’ordonner la fermeture immédiate du centre, estimant que les changements nécessaires avaient déjà été mis en œuvre.