La torture d’une mère qui ignore les derniers instants de son fils tué le 7 octobre
Après le massacre de son fils Itai à la rave Nova, Julie Bausi, une kibboutznikkit new-yorkaise 'plus israélienne que jamais', est furieuse contre Tsahal et le gouvernement
Depuis l’assassinat de son fils, Julie Bausi se sent Israélienne à part entière.
Avant d’immigrer du Queens à New York il y a près de 30 ans, en 1996, Julie Bausi n’avait jamais mis les pieds en Israël. Cette année-là, elle s’est installée au kibboutz Kvutzat Yavne, où elle a enseigné l’anglais. Elle y a rencontré et épousé Shachar Bausi, avec qui elle a eu quatre enfants, dont trois ont servi dans l’armée israélienne.
Quand Itai, 22 ans, son deuxième enfant, a été assassiné par des terroristes du Hamas à la rave Supernova, dans désert, le 7 octobre, elle a compris qu’elle avait rejoint le club dont personne ne veut faire partie, celui des familles endeuillées.
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« Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on commence à comprendre les Israéliens », a indiqué Bausi au Times of Israel. « Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que l’on comprend que le pays entier est complètement traumatisé. »
Le sergent de première classe Itai Bausi, 22 ans, du commando Duvdevan, était en permission lorsqu’il est allé à la rave Nova emportant avec lui un sandwich et quelques pommes dans son sac à dos, accompagné par son ami Ben Mizrachi, un ancien secouriste de Tsahal né à Vancouver et « adopté » par Kvutzat Yavne.
Itai avait participé au dîner de Shabbat avec sa famille, fait la vaisselle avec ses frères, fait une petite sieste et s’apprêtait à partir vers minuit lorsque sa mère est rentrée après avoir promené les deux teckels de la famille.
Il l’a serrée dans ses bras et l’a embrassée pour lui dire au revoir. C’est la dernière fois qu’elle a tenu son fils dans ses bras.
Itai et Mizrachi se sont rendus en voiture dans les champs en dehors de Reim où se tenait la rave. Ils ont rejoint d’autres amis – « à peu près 40 personnes de sa classe de terminale » – et ont dansé toute la nuit, l’une de ses activités favorites.
À 6 h 30, au moment où les terroristes du Hamas ont lancé leur assaut meurtrier sur la fête, un des fronts de leur attaque des communautés situées le long de la frontière avec la bande de Gaza, Bausi et Mizrachi sont remontés dans leur voiture pour essayer de rentrer chez eux. Comme tant d’autres, ils ont été bloqués par des terroristes à la sortie.
D’autres amis qui ont pris un chemin différent ont réussi à regagner Beer Sheva à 9 heures du matin.
Ce sont eux, ainsi qu’un autre qui a couru et s’est caché pendant huit heures, qui ont plus tard fourni quelques informations aux parents d’Itai.
Itai Bausi et Ben Mizrachi sont retournés sur les lieux où s’était tenue la fête, où ils ont trouvé une voiturette de golf qu’ils ont utilisée pour transporter les blessés jusqu’à la tente des premiers secours.
« Ils présumaient que l’armée était sur le point d’arriver », a expliqué Julie Bausi. « Ils ont voulu aider [les autres], ils ne voulaient pas s’enfuir. Et ils n’avaient aucune idée de l’ampleur de cette attaque ».
À 10h30, alors que ses parents tentaient désespérément de le joindre, Itai avait reçu une balle dans la jambe et dans le dos tirée par les terroristes du Hamas. Il a appelé ses amis, qui ont tenté de l’aider.
« Ils lui ont demandé de leur décrire ce qu’il voyait. ‘Nous enverrons une ambulance à cet endroit' », explique Bausi. « Mon fils savait probablement qu’il était en train de mourir. »
Itai a laissé un message vocal à sa petite amie, Carmel, lui disant qu’il l’aimait. Il a également essayé d’appeler Mizrachi à cinq reprises, mais celui-ci ne répondait pas. Il avait déjà été tué d’une balle dans la tête.
Itai a alors remis son téléphone dans sa poche, a raconté sa mère, et « pour le reste de ma vie, je vais devoir l’imaginer se vidant de son sang. Tout seul ».
Ces pensées hantent Bausi, cette New-Yorkaise au franc-parler, assise en se tenant les jambes pliées à la table de la cuisine dans sa confortable maison du kibboutz, entourée des chiens et des chats domestiques qui se promènent autour d’elle.
Elle est furieuse contre l’armée qui a autorisé une rave de 3 000 festivaliers si près de la frontière avec Gaza et qui n’a pas su réagir rapidement lorsque le désastre s’est produit. Elle est furieuse contre le gouvernement qui, selon elle, ne fonctionne pas normalement depuis des mois, voire des années.
« Ils savaient que quelque chose d’important allait se produire et ils ont laissé ces enfants danser à un kilomètre de la bande de Gaza », a-t-elle déclaré.
Lorsque cette tragédie a frappé, a expliqué Bausi, son mari, qui, dit-elle, protestait contre le Premier ministre « avant même que cela ne soit à la mode », a immédiatement déclaré : « C’est la faute de Bibi », en se référant au Premier ministre Benyamin Netanyahu par son surnom.
Au moins dix ans avant le début des vastes manifestations antigouvernementales de l’année dernière, il sortait pour se tenir sur un viaduc voisin avec un drapeau israélien. « Il avait déjà vu la vraie nature de Bibi », ajoute-t-elle.
Julie Bausi voudrait que les dirigeants du pays soient privés de leurs retraites ; elle frémit à l’idée même d’une vie politique future pour Netanyahu ou le ministre de la Défense Yoav Gallant.
« Mon fils était un si bon soldat. Il faisait tout ce qu’on lui disait de faire – et ces types, ces Gallant et ces Bibi et [le chef d’état-major de Tsahal] Herzi [Halevi], ils sont responsables de la plus grande catastrophe que ce pays ait jamais connue – et ils avaient reçu tous les avertissements », dit-elle. « Des gens se vidaient de leur sang dans des chambres sécurisées et mon enfant s’est vidé de son sang. Et il n’y avait ni ambulance, ni armée, ni policiers ».
« Je suis traumatisée, en colère et amère. J’ai enterré mon fils à cause de l’incompétence et de l’aveuglement. »
Aujourd’hui, alors que Bausi, son mari et leurs trois autres enfants, âgés de 25, 19 et 15 ans, tentent de retrouver un semblant de vie, elle se demande s’ils y parviendront.
« J’avais une vie parfaite jusqu’au 7 octobre », a-t-elle déclaré. « Nous sommes fichus et j’ai peur de me perdre ».
Elle se sent paralysée par des tâches aussi simples que faire la lessive ou promener les chiens. Elle souffre physiquement et décrit son corps comme si elle donnait naissance à Itai une nouvelle fois.
Les nouvelles informations sur le meurtre d’Itai, bien que douloureuses, l’ont aidée à tourner la page. Ce n’est que lors des funérailles que les Bausi ont appris qu’Itai avait également reçu une balle dans le visage, mais ils ne savent pas si les terroristes lui ont tiré dessus après sa mort, ou alors lorsqu’il était encore conscient, peut-être en faisant le mort.
« Il faut alors construire une toute nouvelle histoire », a expliqué Bausi, qui se dit chanceuse par rapport à d’autres parents de festivaliers qui n’ont aucune information sur les derniers instants de leurs enfants.
Elle sait qu’en tant que soldat de l’unité d’élite Duvdevan, Itai pensait à la mort. Depuis trois ans, il disait toujours « Je t’aime » à la fin de chaque conversation. Il ne parlait pas à ses parents de ce qu’il faisait au sein de l’armée ; il en parlait plutôt à Carmel, sa petite amie.
Elle sait aujourd’hui qu’Itai et ses amis de l’armée s’étaient promis que si l’un d’entre eux était tué, les autres prendraient son nom comme deuxième prénom. Trois d’entre eux se sont déjà fait tatouer le nom d’Itai sur les jambes.
Elle aurait préféré qu’Itai soit tué pendant son service à Gaza, entouré de ses frères d’armes.
« Il aurait quitté le monde en sachant qu’il n’était pas seul », a déclaré Bausi.
Elle veut que les gens sachent qu’Itai était un fils et un ami loyal et aimant, qu’il avait un avenir extrêmement brillant devant lui, « qu’il était humble, drôle et très agréable à côtoyer » et qu’il n’a pas fui lorsque le désastre a frappé le 7 octobre.
Il était le plus israélien de ses quatre enfants, celui qui parlait anglais avec un accent israélien perceptible.
« Il était très israélien », a souligné Bausi. « Quand il est mort, je me suis dit qu’il ne verrait jamais les feuilles changer de couleur dans le Vermont à l’automne, puis je me suis souvenue qu’il s’en fichait. »
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