L’aide pour les Juifs d’Ukraine défavorisés, comme les bonbons de Maïmonide ?
L'université gratuite, des crèches et même des bourses mensuelles ont attiré des Juifs auparavant non affiliés dans les villes, où des associations leur expliquent leurs racines
ODESSA, Ukraine (JTA) — Alina Feoktistova a toujours su qu’elle était juive, mais la première fois qu’elle a cherché à contacter la communauté, c’était pour savoir si on pouvait lui payer ses études.
La famille de Feoktistova n’avait pas les moyens de l’envoyer à l’université, et la communauté juive locale propose une solution alternative, sous la forme de l’Université juive d’Odessa, une institution reconnue qui propose des cours, des logements et des repas, sans aucun frais. Fondée en 2003, l’université propose des programmes d’études sur cinq ans dans différents domaines, comme l’étude des langues étrangères, l’éducation aux métiers de la petite enfance, le droit, les affaires et les études juives.
« Je pleurais. Je ne voulais vraiment pas le faire », s’est souvenue Alina Feoktistova, âgée de 28 ans, qui a étudié la littérature à l’école. « [Ma famille n’avait] pas l’argent pour m’envoyer à l’université. La communauté juive était là pour nous aider ».
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Après avoir obtenu son diplôme, Alina a trouvé du travail comme responsable de bureau avec Tikva, le groupe orthodoxe qui dirige l’Université juive d’Odessa, ainsi qu’une série d’autres programmes éducatifs et de développement communautaire. Même si elle est mariée à un homme juif et a éduqué ses enfants dans un foyer pratiquant, Feoktistova ne correspond pas au stéréotype de la femme juive orthodoxe.
Un samedi soir de novembre, elle portait une veste en cuir noir de motard au-dessus d’une longue robe avec un foulard clouté assorti dans les cheveux. Elle fumait sa première cigarette post-Shabbat.
« J’ai accepté mon destin », lâche-t-elle sur le ton de la plaisanterie.
On estime qu’environ 360 000 Juifs vivent en Ukraine, la majorité d’entre eux à Odessa et dans d’autres grandes villes. Les groupes juifs ont fait usage de leurs solides réseaux d’entraide sociale pour aider les plus démunis, mais aussi pour lutter contre l’indifférence et l’aversion à l’égard du judaïsme qui a été inculquée pendant la période communiste.
L’American Jewish Joint Distribution Committee, ou JDC, apporte de l’aide à n’importe quel demandeur juif que le groupe estime être dans le besoin, peu importe s’il participe, ou non, à des activités communautaires. D’autres organisations juives demandent souvent un engagement dans la communauté : cela va de l’inscription des enfants dans des programmes éducatifs juifs à la présence à la synagogue, en échange d’aide.
A Odessa, les Juifs ont droit à des services gratuits au sein des différentes institutions juives, dont deux centres communautaires, une dizaine d’écoles et deux orphelinats. Les familles et les personnes âgées peuvent percevoir des centaines d’euros par mois – une somme importante dans un pays où le salaire mensuel moyen est d’environ 300 euros.
La Fédération des communautés juives du CIS, un réseau affilié au mouvement hassidique Chabad, dirige également l’Université juive d’Odessa, qu’elle décrit sur son site internet comme « un moyen pour sortir de la pauvreté et entrer au service de la communauté ».
Le modèle « aide en échange d’engagement » a eu un impact important pour « insuffler de la vie sur le squelette desséché » d’une communauté en décrépitude, selon le rabbin Binyomin Jacobs, directeur des relations intergouvernementales au Centre rabbinique européen, affilié au Habad.
« Certains diront que c’est un pot-de-vin, mais c’est légitime – et ça marche », déclare Binyomin Jacobs, en citant le philosophe juif médiéval Maïmonide, qui autorisait les parents à utiliser des bonbons pour motiver les enfants à étudier.
« Bien sûr, les Juifs russophones ne sont pas des bébés, ce sont des gens raffinés. Pourtant, d’un point de vue juif, ils sont comme des bébés qui auraient été enlevés – des gens qui ne savent rien du judaïsme à cause de l’oppression, explique le rabbin. C’est normal de leur offrir quelque chose dont ils ont besoin pour les familiariser avec le judaïsme afin qu’ils puissent décider, de manière informée, s’ils en veulent dans leurs vies ».
Beaucoup de jeunes Ukrainiens de cette ville, et d’ailleurs, cherchent à se rapprocher de la religion juive sans motivations financières. Le mois dernier, la conférence Limmud FSU organisée à Odessa a attiré 600 participants qui ont payé près de 200 dollars pour participer à cet événement de fin de semaine dans une station balnéaire.
Un participant, Vlodymyr Zeev Vaksman, un homme de 38 ans actif au sein de la communauté juive d’Odessa, a confié qu’il avait souhaité se rapprocher de la communauté juive après avoir été victime de harcèlement à l’école. Pour lui, se rapprocher de son identité juive « l’a aidé à regagner ma fierté, car c’est dur d’être un Juif fier quand on vous frappe à l’école presque chaque jour du seul fait que vous êtes juif ».
D’autres, néanmoins, sont clairement motivés par la nécessité.
Rivka Bendetskaya a étudié à l’école Habad de Zaporizhzhiala, dans l’est du pays, où elle a grandi. Sa famille était pauvre et non pratiquante, mais l’école Habad lui offrait des repas gratuits et de nombreux enseignements. A 16 ans, elle est arrivée à Odessa pour obtenir un diplôme en gestion des affaires à l’université juive de Habad. Le programme sur cinq ans aurait coûté 15 000 euros dans une université normale, une somme inabordable pour sa famille.
Sergey et Elena Yarelchenko n’avaient pas beaucoup de liens avec la communauté juive du pays avant d’être contraints à quitter leur maison de Lugansk pendant la révolution de 2014. Dans le camp de réfugiés mis en place autour de Kiev par le rabbin Moshe Azman, qui l’a appelé Anatevka en référence à la ville fictive de Tevye du « Violon sur le toit », les Yarelchenko n’y ont pas seulement trouvé un abri, mais aussi un travail et un sentiment d’appartenance à une communauté.
« Je n’aurais jamais imaginé que j’irais à la synagogue, et encore moins que je vivrais dans un village juif », a confié Sergey à la JTA.
Pour d’autres Juifs ukrainiens, la communauté faisait office de ticket d’accès à une grande ville.
Haya Saphonchik, une enseignante de crèche de 27 ans, s’était inscrite dans une école juive d’Odessa principalement pour fuir sa ville natale pauvre de Kremenchuk.
« Ma mère n’avait pas d’argent pour m’envoyer à Odessa », explique Haya. Quand j’ai eu 17 ans, elle m’a demandé : ‘tu veux rester à Kremenchuk dans une école normale, ou tu veux aller dans une école juive à Odessa ?’ Évidemment, je suis allée à Odessa ».
Après avoir fini le lycée, elle est partie étudier à l’Université juive de la ville côtière, où elle a rencontré son mari, Uriel, venu étudier la programmation informatique depuis sa Russie natale. Même si au départ, elle s’y est rendue pour des raisons financières, elle est restée parce que l’école proposait bien plus qu’une simple éducation.
« J’y ai trouvé une grande beauté », se réjouit Haya, « une grande responsabilité les uns envers les autres dont j’ignorais l’existence. Cela m’a donné tout ce que j’ai de mieux dans la vie ».
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