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Opinion

L’alerte des pilotes montre qu’Israël risque d’entrer dans une spirale mortelle

Seul Netanyahu peut éviter la catastrophe - en stoppant sa neutralisation du système judiciaire et en négociant une vraie réforme. Ça lui coutera sa coalition mais ça sauvera l'État

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu rencontre des pilotes tout juste diplômés de l'armée de l'air sur la base aérienne Hatzerim, dans le désert du Neguev, le 27 décembre 2017. (Crédit : Haim Zach/GPO)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu rencontre des pilotes tout juste diplômés de l'armée de l'air sur la base aérienne Hatzerim, dans le désert du Neguev, le 27 décembre 2017. (Crédit : Haim Zach/GPO)

Vendredi, des dizaines de pilotes israéliens – des réservistes engagés dans le service actif – ont rencontré le chef de l’armée de l’air pour évoquer leurs profondes inquiétudes sur la direction empruntée par Israël sous la coupe de l’actuelle coalition et sur les conséquences d’une telle orientation choisie pour leur rôle vital dans la défense du pays.

Notant qu’ils représentaient des centaines de pilotes de l’armée de l’air de plus, ils lui ont dit qu’ils avaient le sentiment qu’il leur était dorénavant nécessaire de souligner quelque chose qui, par ailleurs, peut sembler évident – à savoir qu’ils refuseront d’obéir à leur hiérarchie si les ordres qui leur sont donnés sont illégaux. Et ils ont ainsi voulu rappeler cette obligation morale manifeste, ont-ils établi clairement, parce que Bezalel Smotrich, ministre des Finances et suprématiste juif, qui occupe également un poste à responsabilité au ministère de la Défense, avait appelé mercredi dernier l’État d’Israël à « anéantir » la ville palestinienne de Huwara, en Cisjordanie, dont la population est d’environ 7 000 personnes, en réponse à la mort de deux Israéliens, deux jeunes frères, au cours d’un attentat terroriste survenu dimanche dernier (Smotrich a ensuite évoqué « un dérapage verbal » entraîné par « un torrent d’émotion »).

Ils ont également fait part de leurs inquiétudes profondes face aux conséquences directes de l’offensive menée par la coalition contre la Haute cour de justice – avec la campagne-coup de poing menée actuellement à la Knesset, dont l’objectif est de politiser la composition du tribunal et de limiter son indépendance de manière radicale. La détermination affichée par le Premier ministre Benjamin Netanyahu à faire adopter le plus rapidement possible les législations qui composent la refonte judiciaire – qui laisseraient Israël sans frein efficace face aux abus de la majorité politique – menace de déchirer le pays.

Pour les pilotes – et d’ailleurs pour tous les militaires – les conséquences pourraient ne pas tarder et s’avérer être hautement personnelles : Si Israël n’a pas de système judiciaire crédible et indépendant pour enquêter sur les crimes présumés qui peuvent être commis par l’armée, alors ce sont les tribunaux internationaux qui s’efforceront de faire le travail, notamment en arrêtant des suspects potentiels à tous les niveaux de la hiérarchie de Tsahal et les politiques impliqués lorsqu’ils se rendront à l’étranger.

Tentant d’apaiser au moins une partie de leurs préoccupations, le chef de l’armée de l’air, Tomer Bar, a ultérieurement écrit une lettre à tous les réservistes placés sous son commandement – une missive dans laquelle il a assuré que l’armée de l’air continuera à travailler « conformément aux normes morales, aux valeurs et à l’esprit de Tsahal – sans changement ». Il a noté qu’il attendait de ses troupes qu’elles continuent à effectuer leur devoir comme elles le font habituellement (un grand nombre de pilotes de « réserve » font 60 à 70 jours de service annuel).

Il était toutefois évident, dimanche, que la réponse apportée par Bar n’avait pas calmé les inquiétudes au sein de l’armée de l’armée de l’air. 37 membres d’un escadron déterminant, l’escadron 69 – il est composé de 40 pilotes – ont ainsi fait savoir que s’ils continueraient leurs missions d’opération, ils boycotteraient une session d’entraînement prévue mercredi pour tirer la sonnette d’alarme face à la révolution judiciaire. C’était l’escadron 69 qui avait fait exploser le réacteur nucléaire syrien en 2007 ; ses membres effectuent un grand nombre des raids les plus complexes de l’armée de l’air, s’aventurant dans les zones les plus éloignées et ils joueraient probablement un rôle majeur dans une frappe contre l’Iran.

L’armée israélienne a été plongée plus profondément que jamais dans la politique israélienne depuis la formation de la coalition au pouvoir, avec Smotrich qui a hérité de responsabilités en Cisjordanie qui étaient jusqu’à présent assumées par le ministre de la Défense et avec Itamar Ben Gvir, un autre extrémiste de droite, qui a obtenu toute autorité sur les unités de la police des frontières dans le cadre de son rôle de ministre de la Sécurité nationale. Aviv Kohavi, dont le mandat au poste de chef d’état-major s’était achevé à la mi-janvier, avait dit publiquement que l’armée israélienne n’aurait de comptes à rendre qu’au ministre de la Défense et que les forces de la police des frontières ne seraient pas déployées sur seul ordre de Ben Gvir. Le successeur de Kohavi, Herzi Halevi, aurait fait part à Netanyahu, en privé, de préoccupations similaires sur une rupture potentielle de la chaîne de commandement au sein de Tsahal.

La rencontre des pilotes avec le chef de l’armée de l’air et le boycott programmé de la session d’entraînement prévue mercredi par les membres de l’escadron traduisent une expression d’anxiété plus forte encore face à la direction empruntée par l’État juif sous la coupe du gouvernement et pire encore, cette anxiété s’exprime maintenant dans les rangs de l’armée. Alors que les membres de nombreuses autres unités ont écrit des lettres faisant part de leurs craintes, que des membres du Mossad et du Shin Bet sont également intervenus dans le débat, Israël se trouve dorénavant dans une situation – jusqu’à présent impensable – où un nombre croissant des hommes et des femmes qui risquent chaque jour leur vie pour nous défendre, dont certains sont des protecteurs déterminants de l’État, indiquent qu’ils pourraient ne plus ressentir l’obligation morale et la volonté pratique d’obéir aux ordres de leurs supérieurs politiques.

Et pourtant, le rouleau compresseur législatif accélère encore. Et pourtant, Netanyahu et ses têtes pensantes – le ministre de la Justice Yariv Levin et le président de la Commission judiciaire à la Knesset, Simcha Rothman – écartent d’un revers de la main les opposants à leur programme, condamnent les manifestants qu’ils confondent volontairement avec des « anarchistes », établissent des comparaisons ignobles entre les manifestants pro-démocratie et les partisans extrémistes et violents du mouvement pro-implantations (comme l’a fait Netanyahu dans un discours à la nation, mercredi dernier, avant de revenir sur ses propos). Ils appellent de surcroît de manière malhonnête au dialogue tout en refusant d’entendre la supplication du président Isaac Herzog, qui réclame une pause législative pour permettre un débat patient et constructif pour aboutir à une réforme authentique.

Des informations qui ont suivi le discours de Netanyahu, mercredi dernier – elles n’ont pas été confirmées – avaient affirmé que le Premier ministre avait eu l’intention de faire une trêve temporaire dans son offensive législative mais que Levin, son ministre de la Justice qui se refuse à ralentir le processus ne serait-ce que d’une minute, l’en aurait dissuadé en menaçant de démissionner.

Dans la mesure où ses partenaires ultra-orthodoxes et d’extrême-droite ont tous leurs raisons propres de neutraliser la Haute-cour, une éventuelle volonté de Netanyahu de négocier une réforme judiciaire authentique – à opposer à la destruction de l’indépendance du système judiciaire – marquerait presque certainement la fin de sa coalition.

Mais cette sonnette d’alarme actionnée par un si grand nombre de pilotes israéliens – un fait sans précédent – souligne combien la fin d’une coalition est finalement peu de chose, et sûrement pas une considération centrale à prendre en compte. Cela fait des semaines que Herzog avertit qu’Israël court le péril de tomber dans l’abîme, que les divisions entraînées par la refonte judiciaire « pourraient bien nous consumer tous ». La démarche des pilotes nous suggère que notre pays pourrait bien entrer dans une spirale mortelle, pour reprendre une expression prisée dans l’armée de l’air.

Seul Netanyahu peut éviter la catastrophe qu’il a lui-même initiée, peut-être sous la pression d’une mini-révolte au sein du Likud. Ce qui pourrait lui coûter, en effet, sa coalition – mais pourrait sauver le pays.

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