L’article académique sur la « tablette maudite » vieille de 3 200 ans ne convainc pas
Un an après que l'équipe a salué la découverte de la plus ancienne écriture hébraïque en Israël, les détails de la découverte ont été publiés dans une revue à comité de lecture
- Gros plan sur l'extérieur de la tablette de la malédiction en plomb datant probablement de la fin de l'âge du bronze, découverte sur le mont Ebal en 2019. (Crédit : Michael C. Luddeni/Associés pour la recherche biblique)
- Le Dr. Scott Stripling, responsable des fouilles actuelles, exposant une découverte à Shiloh, le 22 mai 2017. (Crédit : Amanda Borschel-Dan/Times of Israel)
- Image du scan tomographique de la tablette de la malédiction du mont Ebal. (Crédit : Pieter Gert van der Veen)
- Vues extérieures de la tablette de la malédiction en plomb, de la fin de l’âge du bronze, découverte sur le mont Ebal en 2019. (Crédit : Michael C. Luddeni/Associés pour la recherche biblique)
- "L'autel de Joshua" sur le site archéologique du mont Ebal, le 15 février 2021. (Crédit : Shomrim Al Hanetzach)
En mars 2022, une équipe d’archéologues a fait une annonce étonnante : celle de la découverte d’une minuscule tablette de plomb à deux volets vieille de 3 200 ans. Sur cette tablette, une inscription exceptionnelle qui pourrait bien être le plus ancien écrit hébraïque jamais trouvé en Israël, alors que les archéologues passaient au crible des débris vieux de plusieurs dizaines d’années provenant d’une fouille près de Naplouse.
Les archéologues, dirigés par le Dr. Scott Stripling du Bible Seminary au Texas, estiment que cette tablette de 2 cm2 apporte la preuve que les Israélites savaient lire et écrire lorsqu’ils sont entrés en Terre sainte – et qu’ils sont donc susceptibles d’avoir pu rédiger la Bible au moment où certains événements se sont déroulés. Ils affirment également que la tablette contient la plus ancienne écriture connue de « Yahweh », le nom de Dieu.
Plus d’un an après l’annonce de la découverte par les médias, les archéologues ont publié un article universitaire sur la « tablette de la malédiction » controversée qui est parue dans la revue à comité de lecture Heritage Science.
Malgré la publication très attendue de l’article, vendredi, les quelques experts qui ont accepté de parler au Times of Israel ont exprimé leurs doutes face aux conclusions tirées par les archéologues concernant cette découverte.
La petite tablette avait été trouvée en 2019 sur le mont Ebal, à proximité de la ville biblique de Sichem, dans un amas de terre et de débris provenant de fouilles effectuées dans les années 1980. Le mont Ebal est connu, d’après Deutéronome 11:29, comme un lieu de malédiction, et le petit monticule de décombres provenait d’une zone que certains membres des équipes qui avaient travaillé sur le site considéraient comme un autel.
Après l’annonce par Stipling de la découverte au public, qui avait été faite lors d’une conférence de presse en mars 2022, celle-ci avait été immédiatement décriée par un grand nombre d’archéologues, à la fois pour les conclusions tirées par les chercheurs et pour une violation, de la part des équipes chargées des fouilles, des normes académiques – qui exigent habituellement la publication d’un article dans une revue à comité de lecture avant toute annonce faite aux médias.
Les pairs avant la publication
Stripling déclare pour sa part – comme il l’avait déclaré dans un podcast du Times of Israel en mars dernier – avoir pris la décision de s’adresser aux médias par crainte que d’autres chercheurs n’essaient de s’attribuer le mérite de la découverte faite par son équipe.
« J’avais publié des photos du volet extérieur de la tablette sans savoir qu’il y avait aussi des écrits dans le volet intérieur », explique Stripling, qui a montré les clichés à des amis et qui a publié des photos de sa découverte sur ses pages, sur les réseaux sociaux. « C’était ma faute. Une fois que ces photos ont été diffusées, les gens ont commencé à voir des lettres à l’extérieur. C’est pour cette raison que nous avons alors organisé une conférence de presse car nous devions nous assurer qu’il s’agissait bien de notre inscription d’un point de vue académique. »
Stripling affirme qu’il ne prendra « absolument pas » une décision similaire à l’avenir.
« Je ne manquerais pas d’attendre la publication d’un article académique dans le futur », s’exclame-t-il. « C’était exceptionnel – dans la mesure où je ne savais pas qu’il y avait une inscription à l’intérieur ».

Au mois de décembre, des archéologues israéliens avaient publié une lettre ouverte décriant les chercheurs qui s’adressent aux médias avant d’avoir recours à un processus d’évaluation par leurs pairs.
Ce courrier public avait été rédigé sous la forme d’un « credo des chercheurs » généraliste – sans mentionner de nom en particulier – et appelait à procéder à des recherches bien étayées, publiée dans des revues scientifiques à comité de lecture. Le professeur Gershom Galil avait reconnu à ce moment-là qu’il était probablement le destinataire de cette lettre ouverte pour ses travaux – y compris ceux réalisés sur la tablette du mont Ebal, mais il avait mis cette expression d’insatisfaction et de mécontentement sur le compte de collègues « amers » et « jaloux ».
Les recherches de Galil sur d’autres tablettes du même type, en lien avec les malédictions ancestrales – dont la pierre de Jérusalem, une inscription vieille de 3 500 ans qui serait l’une des plus anciennes jamais découvertes à Jérusalem – ont également été remises en question. De la même manière, cette découverte avait été annoncée aux médias avant d’être publiée dans une revue à comité de lecture.
L’un des principaux problèmes soulevés par d’autres archéologues a été qu’après l’annonce, Stripling et Galil ont refusé de partager des photos haute résolution des scans de la tablette, ce qui aurait permis à d’autres archéologues de se prononcer sur leur authenticité.
L’article publié vendredi comprenait plusieurs photos des scans, dont la majorité semble indéchiffrables pour les non-initiés.
« Nous avons eu plusieurs mois pour étudier ces scans et si quelqu’un les regarde pour la première fois, cela peut prendre du temps pour que ses yeux s’habituent. Nous avons fait de notre mieux pour le signaler dans l’article », indique Stripling.

Plusieurs archéologues et experts en épigraphie contactés par le Times of Israel ont refusé de s’exprimer au sujet de la publication de l’article, mais deux d’entre eux ont accepté de parler, estimant que l’article n’avait pas soumis d’arguments convaincants.
« Les images publiées révèlent quelques stries dans le plomb et quelques indentations (le plomb est, bien sûr, assez mou et ces deux phénomènes sont donc compréhensibles), mais il n’y a pas de lettres discernables », a écrit dans un courriel le professeur Christopher Rollston, expert en langues sémitiques du Nord-Ouest et président du Département des langues et civilisations classiques et du Proche-Orient à l’université George Washington. « Cet article est en fait un cas d’école du test de Rorschach, et ses auteurs ont projeté sur un morceau de plomb les choses qu’ils voulaient y voir. »

Rollston a ajouté qu’il aurait été ravi de découvrir une inscription comportant une malédiction ou le mot Yahweh – ajoutant qu’il ne pense pas que ce soit le cas. Il s’était montré très méfiant à l’égard de la découverte lorsqu’elle avait été annoncée pour la première fois et il n’a pas été convaincu par la publication parue dans le journal à comité de lecture.
« Les faits sont les faits, et cet article ne contient que très peu de faits et beaucoup trop de spéculations », a déclaré Rollston. « Les ‘lectures’ de cet article ne sont qu’une chimère. »
« Je ne souscris pas aux interprétations suggérées dans l’article et j’ai l’intention de publier une opinion différente dans une revue universitaire », dit pour sa part le professeur Aren Maeir de l’université Bar Ilan, refusant de donner plus de détails. Maeir avait publié sur son blog, en décembre dernier, la lettre ouverte critiquant l’annonce des découvertes dans les médias avant leur examen par les universitaires.
Stripling explique être conscient que les autres archéologues peuvent avoir des interprétations différentes.
« Ils peuvent soutenir qu’il s’agit d’un resh au lieu d’un vav, parce que certains sont clairs, d’autres ne le sont pas », note Stripling. « Nous nous attendons à un échange d’idées sain. »
Il fait remarquer que la revue a eu des difficultés à trouver des évaluateurs compétents dans le large éventail de sujets nécessaires à la compréhension de l’article – connaissance du grec ancien, de l’hébreu et des écritures latines, entre autres domaines d’expertise.
« Il y a le balayage tomographique, le processus archéologique et le processus épigraphique. La revue a donc eu du mal à trouver des évaluateurs compétents dans ce domaine car il n’y a pas beaucoup de monde », indique Stripling.
Maudit, maudit, maudit
Au centre de la controverse se trouve un petit morceau de plomb en deux volets repliés l’un sur l’autre qui, d’après une lecture faite par l’épigraphiste Galil, comporterait une inscription faite avec au moins 40 lettres proto-alphabétiques, l’ancêtre des premières formes de l’hébreu écrit. Le plomb lui-même étant trop fragile pour être déplié, les experts ont dû avoir recours à la tomographie pour photographier l’intérieur de la tablette en utilisant des ondes de rayons X qui ont permis de créer une série d’images montrant les différentes couches de l’objet. Une technique qui est également utilisée en médecine pour prendre des images du corps, dans le cadre d’un processus appelé tomographie assistée par ordinateur ou tomodensitométrie.
Stripling et Galil ont collaboré avec des chercheurs de l’Académie des sciences de la République tchèque pour scanner la tablette. Ils pensent que la tablette porte la phrase suivante : « Maudit, maudit, maudit – maudit par le Dieu YHW./ Tu mourras maudit./ Maudit tu mourras sûrement./ Maudit par YHW – maudit, maudit, maudit ».

Les experts en épigraphie qui ont travaillé sur la tablette – Galil et Pieter Gert van der Veen, professeur associé d’archéologie levantine à l’université Johannes Gutenberg de Mayence, en Allemagne – datent la tablette de la fin de l’âge du bronze (vers 1200 avant notre ère) en se basant sur le style du lettrage. Ils ont identifié 40 lettres différentes sur la tablette.
Si cette datation est correcte, la tablette serait la première à utiliser le nom de Dieu sur la Terre d’Israël et elle prouverait que les Israélites savaient lire et écrire des centaines d’années plus tôt que les chercheurs ne le pensaient auparavant.

« Il s’agit d’une avancée considérable pour nous à plusieurs niveaux : historique, archéologique, épigraphique et théologique », s’exclame Stripling. « Avons-nous la preuve d’une présence d’Israël beaucoup plus ancienne que par le passé ? Nous sommes nombreux à penser qu’Israël était déjà présent à la fin de l’âge du bronze tardif, mais nous n’en avons pas eu la preuve absolue. Si notre lecture est la bonne, les ramifications sont donc très importantes. »
Stripling explique que l’analyse du plomb dans la tablette, renvoie ce dernier à une mine utilisée à la fin de l’âge du bronze, en Grèce, et qu’un article distinct consacré à une analyse plus approfondie du plomb sera publié à une date ultérieure.
L’écriture sur les murs
La confiance du public dans l’analyse épigraphique, qui consiste à dater des objets en se basant sur le style de l’écriture, est actuellement au plus bas depuis que l’Autorité israélienne des Antiquités (IAA) a annoncé, au début de l’année, la découverte très médiatisée d’un tesson de poterie portant le nom de Darius Ier.
L’inscription sur le tesson de poterie disait « Année 24 de Darius » dans un araméen ancien si précis qu’il avait trompé tous les meilleurs épigraphistes, ou experts en inscriptions, de l’IAA, qui pensaient que le tesson était un reçu de marchandises vieux de 2 500 ans.

Il avait ensuite été révélé qu’il s’agissait d’un tesson authentique agrémenté d’une inscription écrite par une professeure lors d’un cours avec ses étudiants qu’elle avait amenés sur le site – avant d’oublier l’artéfact sur les lieux.
« Nous pensions qu’il s’agissait d’un objet réel, c’est pourquoi nous avons mené notre enquête », avait déclaré en mars Gideon Avni, l’archéologue en chef de l’IAA. « C’est une leçon, non seulement pour l’Autorité israélienne des Antiquités, mais aussi pour tous ceux qui travaillent dans ce domaine. Maintenant, nous allons être beaucoup plus prudents. »

La tablette du mont Ebal étant pliée et trop fragile pour être ouverte, il est impossible d’examiner d’autres aspects susceptibles d’authentifier davantage l’inscription. Stripling affirme que c’est précisément le fait de ne pas pouvoir ouvrir la tablette qui garantit l’authenticité de l’inscription. Toutefois, d’autres chercheurs expriment leur incrédulité face à l’existence même de l’inscription.
« Les images montrent clairement qu’il n’y a pas de lettres discernables sur ce morceau de plomb froissé », dit Rollston. « Et encore une fois, le dessin des lettres fait par les auteurs ne ressemble en rien à ce que l’on voit sur les images. »
La tablette de la malédiction provenant du mont des malédictions
La tablette avait été découverte enfouie dans la terre et dans un monticule de débris provenant d’un site cultuel situé sur le mont Ebal, à proximité de la ville biblique de Sichem et de l’actuelle Naplouse. Le mont Ebal apparaît dans Deutéronome 11:29 comme un lieu de « malédiction » et l’endroit est vénéré par certains chrétiens et Juifs comme celui où le Josué biblique avait construit un autel – comme l’ordonne Deutéronome 27. Il est décrit dans Josué 8:31 comme « un autel de pierres non taillées, sur lequel personne n’avait élevé de fer ».

Le site est connu des habitants sous le nom de « Al-Burnat », ou « chapeau haut de forme » en arabe, et il est considéré par les archéologues comme l’illustration extrêmement rare et significative de l’établissement des premiers Israélites. C’est le seul de ce type dans la région. Un consensus d’archéologues considère que le site clairement cultuel datait du début de l’âge de fer, vers le XIe siècle avant notre ère, ou quand les Israélites avaient manifestement commencé à s’installer sur la Terre de Canaan. D’autres archéologues repoussent cette date au XIIe siècle ou à la fin de l’âge du bronze.
Feu le professeur Adam Zertal, de l’université de Haïfa, avait fouillé le site dans les années 1980, et notamment ce qu’il avait identifié comme étant un grand autel rectangulaire qui avait été construit sur un autel rond antérieur. Stripling note que la tablette provenait de la terre fouillée qui était à l’origine de cet autel rond.
Si l’inscription de la tablette est vérifiée, le texte serait de plusieurs siècles plus ancien que le plus ancien texte en hébreu à avoir été découvert en Israël jusqu’à présent. Ce tétragramme YHWH serait aussi 500 ans plus ancien que le dernier à avoir été trouvé, selon Galil. Une écriture dans un alphabet similaire avait été découverte dans la péninsule du Sinaï au début du XVIe siècle avant notre ère.
« Il s’agit d’un texte que l’on ne trouve que tous les mille ans », avait déclaré Galil lors de l’annonce de la découverte de la tablette l’année dernière.

Outre la difficulté de lire l’inscription, la tablette n’avait pas été découverte in situ par des archéologues qualifiés qui avaient soigneusement creusé les couches et consigné leurs trouvailles. Elle avait été révélée au grand jour lors du réexamen en 2019 d’une pile de débris qui s’était formée pendant les fouilles de Zertal.
La terre extraite des fouilles des années 1980 avait été passée au tamis à l’époque. En 2019, l’équipe de Stripling avait réexaminé l’amas en utilisant une technique de tamisage humide mise au point dans le cadre du projet de tamisage du mont du Temple, auquel Stripling avait participé. Stripling dirige également les fouilles en cours au site biblique de Shiloh, entre Naplouse et Ramallah.
« Cette publication est un grand soulagement. J’ai publié de nombreux articles et de nombreux livres, mais ce processus a été le plus complexe de tous », a déclaré Stripling. « Nous avons reçu de bonnes réactions en cours de route et nous pensons que ce que nous avons présenté est, au vu de nos connaissances et de nos capacités, ce que dit réellement l’inscription. Maintenant, le reste de la communauté universitaire peut voir ce que nous affirmons et il peut être d’accord ou pas. »
Amanda Borschel-Dan a contribué à cet article.
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