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Le calvaire d’Esty : cinq ans pour obtenir son guet, et donc sa liberté

Le Times of Israel s'est entretenu avec une femme qui a obtenu son guet au bout de 5 années et ceux qui œuvrent au quotidien pour libérer les agounot

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Esty Sompo saute de joie après que son ex-mari ait accepté de lui accorder le guet, le 24 juin 2021. (Crédit: Autorisation)
Esty Sompo saute de joie après que son ex-mari ait accepté de lui accorder le guet, le 24 juin 2021. (Crédit: Autorisation)

L’été dernier, le cauchemar kafkaïen d’Esty Sompo a pris fin lorsqu’au terme de cinq ans de procédures, son ex-mari a accepté de lui accorder un divorce religieux, ou un guet, comme on l’appelle en hébreu.

« Il y a une photo sur Facebook qui montre ce moment et ce que j’ai ressenti. C’est moi hurlant. C’est le cri d’un animal blessé ; ce n’est pas un cri de bonheur. C’est un cri qui vient après tant de temps à se battre, tant de désir et tant de rêves d’une paix intérieure et de liberté. C’est juste une libération », a-t-elle déclaré cette semaine.

Pendant un peu moins de cinq ans, de septembre 2016 à août 2021, Sompo était une agounah, une femme dite « enchaînée », toujours techniquement mariée à son époux – qui résidait alors en Grèce pour éviter de faire face à de lourdes dettes qu’il avait accumulées en Israël – mais qui vivait entièrement seule en Israël, s’occupant seule de ses deux enfants.

Bien qu’elle ait été reconnue par les tribunaux religieux israéliens comme une agounah, cette désignation n’avait aucun poids auprès des autorités civiles du pays. Pour le gouvernement, elle était techniquement mariée à son mari. Fiscalement, elle n’était pas considérée comme une mère célibataire et elle était également responsable des dettes de son mari d’un point de vue légal.

« Lorsque je me suis cassé la jambe au travail, l’argent que j’aurais dû recevoir en compensation de l’assurance a directement été transféré pour payer les dettes de mon mari », a déclaré Sompo.

Sompo s’est entretenu avec le Times of Israel avant Yom HaAgouna, un événement annuel créé par la Coalition internationale pour les droits d’Agounah qui est marqué à la veille de la fête de Pourim, un jour de jeûne connu sous le nom de Jeûne d’Esther.

Esty Sompo hurle après que son ex-mari ait accepté de lui accorder un divorce juif rituel le 24 juin 2021. (Crédit: Autorisation)

Il existe deux types de « femmes enchaînées ». L’une est une agounah (au pluriel, agounot), une femme dont le mari a disparu ou n’a pas pu être trouvé pour lui accorder un divorce religieux ; l’autre est une mesurevet guet, une femme qui s’est vue refuser le divorce par son mari mais dont on sait où il se trouve. Bien que agounah soit devenu un terme fourre-tout pour désigner les deux types de cas, la majorité des cas sont des femmes qui se voient refuser le guet.

Sompo était considérée comme une agounah parce que son mari se cachait en Grèce à l’époque.

La question des « femmes enchaînées » est complexe, en particulier en Israël où tous les mariages et divorces sont supervisés par un rabbinat national et doivent se conformer à ses positions sur la loi juive. Il n’existe pas de mariage civil ni de divorce civil en Israël. Selon l’interprétation du rabbinat, il n’y a aucun moyen de dissoudre un mariage légalement valide sans le consentement du mari. Les tribunaux rabbiniques peuvent imposer des sanctions, voire même des peines de prison, aux maris qui sont reconnus coupables de ne pas vouloir donner un guet, mais ils ne peuvent pas les forcer à y consentir.

Pnina Omer, PDG de Yad L’Isha, une organisation dirigée par des femmes qui aide les femmes à qui on a refusé le guet – comme Sompo – a expliqué qu’il existe deux types d’hommes qui refusent de divorcer de leur femme : les idéologues et les extorqueurs.

Les premiers sont peu susceptibles d’être influencés par des sanctions de quelque nature que ce soit et sont prêts à être emprisonné ou à vivre à l’étranger pour éviter d’avoir à donner un guet à leurs femmes. « Les sanctions ne seront d’aucune utilité. Nous avons deux clientes dont les maris sont en prison depuis plus de deux ans et qui refusent toujours de leur donner le guet. Ils sont prêts à résister jusqu’à la mort », a déclaré Omer.

Plus fréquents sont les maris qui essaient d’utiliser ce pouvoir pour négocier des conditions plus favorables lors du divorce, lors du partage des biens notamment, mais également pour abuser davantage de leurs épouses. Ces hommes sont en général, plus sensibles aux sanctions.

« Ce ne sont pas des idéologues. Ils refusent de donner le guet parce qu’ils le peuvent. Une fois que cela leur coûte quelque chose, que cela a un prix, ils cèdent en général et le problème peut être réglé rapidement », a déclaré Omer.

« Dans de nombreux cas, vous n’avez même pas besoin d’appliquer les sanctions, les menacer peut suffire », a-t-elle ajouté.

Sompo a dit que son ex-mari était de ce genre la. « Pourquoi m’a-t-il refusé un guet ? Parce qu’il en avait la possibilité. Il n’y avait pas d’autre raison. Ce n’est qu’après une pression massive sur sa famille ultra-orthodoxe ici en Israël qu’il a accepté de me le donner », a-t-elle déclaré.

Le problème, selon Omer, est qu’il est extrêmement difficile d’en arriver au point où les tribunaux rabbiniques imposent des sanctions, car cela peut prendre un temps considérable, voire des années, pour que les tribunaux n’admette que l’époux refuse de donner le guet.

Rachel Stomel du Centre pour la Justice pour les Femmes lors d’une manifestation aux abords du tribunal rabbinique de Jérusalem lors de la Journée internationale des droits des femmes, au mois de mars 2021. (Crédit : Laura Ben-David)

Des chiffres précis sur la prévalence des refus et de femmes agounot sont très controversés, car les chiffres avancés par les tribunaux rabbiniques ne concernent que les femmes reconnues comme telles par les tribunaux. Parce que le processus peut prendre des années dans certains cas, les défenseurs affirment que les chiffres officiels sont très inférieurs au nombre réel de femmes qui se trouvent dans cet état d’incertitude.

Selon le Center for Women’s Justice, il y a entre 2 500 et 3 000 femmes qui attendent depuis au moins deux ans pour recevoir leur guet, mais seules quelques centaines d’entre elles sont reconnues par les tribunaux comme s’étant vues refuser un guet par leur époux. Seules quelques dizaines de ces maris sont soumis à des sanctions de la part des tribunaux rabbiniques.

Dans le cas de Sompo, elle a été reconnue comme agounah relativement rapidement après sa comparution devant un tribunal religieux ; mais en arriver là a été extraordinairement long et difficile.

D’Israël à la Grèce à Israël à la Grèce à Israël

Depuis des années, elle vivait avec son mari et leurs deux enfants en Grèce à cause des dettes importantes qu’il avait accumulées en Israël.

« Les violences n’ont pas commencé du jour au lendemain. On n’est pas soudainement touché. Il faut du temps pour réaliser que que l’on se trouve dans une relation où l’on est totalement contrôlé – financièrement, et sexuellement. Et puis commence la violence envers les enfants – et c’est la que j’ai fui », a déclaré Sompo.

En 2015, Sompo a pris ses deux enfants et s’est enfuie depuis la Grèce vers Israël, un déménagement très compliqué à organiser. Son mari avait caché leurs passeports et inspectait régulièrement son téléphone portable. Elle a donc dû cacher chaque étape de son plan d’évasion et ne laisser aucune trace. « Il a fallu beaucoup de temps pour planifier ce voyage », se souvient-elle.

Cependant, peu de temps après son arrivée en Israël, Sompo a été forcée de retourner en Grèce car son mari avait porté plainte pour enlèvement. « J’ai été reconnue coupable et renvoyée », a-t-elle déclaré.

Quelques mois plus tard, Sompo a été autorisée à retourner en Israël avec ses enfants et, le 11 septembre 2016, elle a enfin été reconnue par les tribunaux rabbiniques israéliens comme agounah.

Cette désignation signifiait initialement très peu de sanctions pour son ex-mari, car il vivait à l’étranger, hors de la juridiction des tribunaux israéliens.

Vue du tribunal rabbinique de Jérusalem, le 5 octobre 2008. (Crédit: Yossi Zamir/Flash90)

Malgré la capacité limitée des tribunaux rabbiniques à prendre des mesures concrètes contre son ex-mari, Sompo était régulièrement tenue de comparaître, notamment dans le département des agounot du tribunal rabbinique.

Sompo n’a rien de bon à dire sur le département, un bureau du Tribunal Rabbinique qui a par le passé, fait l’objet de critiques cinglantes de la part du contrôleur de l’État dû à une gestion médiocre et inefficace.

« Ce département est inutile. Il fait tout son possible pour gêner, pour empêcher l’action. Les gens qui y travaillent ne travaillent pas pour le bien de Dieu. Il s’agit là de mon expérience personnelle », a-t-elle déclaré.

Sompo se souvient d’avoir dû comparaître devant un représentant du département agounot. Ce dernier a refusé de lire son dossier, et l’a obligée à raconter son histoire et à répondre aux mêmes questions encore et encore.

« Lire le dossier ! C’est un minimum », a-t-elle déclaré.

Sompo a déclaré que les choses avaient changé lorsqu’elle a commencé à comparaître devant d’autres juges, qui ont abordé son cas avec plus de compassion et d’attention.

« Ils m’ont laissé m’exprimer et expliquer les choses plus en détails. J’ai eu une bien meilleure expérience et c’est alors que les choses se sont enclenchées », a-t-elle déclaré.

Lors de la première de ces audiences, les juges rabbiniques ont convenu que si son mari était toujours récalcitrant à la suite d’une tentative de négociations, des sanctions seraient alors imposées à la famille de celui-ci en Israël.

« C’est comme ça que ça s’est terminé », a-t-elle dit.

Une femme libre

À l’été 2021, elle et son mari avaient conclu un règlement de divorce, qui lui garantissait quatre visites avec leurs enfants chaque année.

« J’étais dans une position où j’avais déjà été plusieurs fois par le passé. Jusqu’au moment où il a signé, je n’y croyais pas », a-t-elle déclaré.

Cependant, bien qu’il ait accepté en principe de lui donner le guet, il a refusé de le faire jusqu’à ce que les enfants lui aient rendu leur première visite en Grèce.

Sompo a officiellement reçu son guet en août dernier.

Malgré l’immense soulagement d’avoir été libérée de son mari après des années emprisonnée dans un mariage abusif et cinq années en tant qu’agounah, Sompo a déclaré qu’elle cherchait toujours à comprendre ce que cela signifiait.

« Obtenir ce changement de statut m’a mise sur la voie de la découverte de moi-même, bien que je sache déjà qui je suis », a déclaré Sompo, qui est également toujours aux prises avec les ramifications financières de son mariage, ayant été forcée de déclarer faillite afin de se libérer des dettes de son ex-mari en Israël.

« C’est quelque chose de très puissant. Que signifie être une femme libre, sans dettes ? Je suis toujours mère de deux adolescents, mais je suis une femme libre », a-t-elle déclaré.

Que faire en cas de refus ?

Alors que Sompo a été libérée de son statut d’agounah, des centaines voire des milliers de femmes ne l’ont pas encore été.

Omer, la PDG de Yad L’Isha, a déclaré que son organisation, qui fournit non seulement une assistance juridique aux « femmes enchaînées », mais également des services sociaux et un soutien émotionnel, aide environ 50 femmes par an à obtenir un guet.

Pnina Omer, PDG de Yad L’Isha, qui assiste les femmes dont le divorce est refusé par leur mari, sur une photographie non datée. (Crédit: Yad L’Isha)

Mais Yad L’Isha est sollicitée par le même nombre de femmes chaque année, ce qui signifie que le total net reste à peu près le même. Omer a déclaré que la nature sisyphéenne de son travail ne la déprimait pas.

« Je me lève chaque matin pour sauver la vie de femmes. Quand nous réussissons, cela me motive. Je suis remplie de passion et de force. Mais la réalité me rend folle. C’est inadmissible, tout simplement inadmissible, que de telles situations puisse exister », a-t-elle déclaré.

« Je me considère comme une féministe religieuse. Il en va de notre responsabilité en tant que société religieuse », a-t-elle déclaré.

Pour résoudre le problème, Yad L’Isha encourage toute personne qui se marie à signer d’abord un accord prénuptial qui interdit au mari de refuser un guet, et plaide pour que les juges rabbiniques actuels rendent des décisions plus compatissantes envers les « femmes enchaînées », et qu’à l’avenir, les futurs juges rabbiniques soient enclins à faire de même.

Yad L’Isha fait partie du réseau d’organisations Modern Orthodox Ohr Torah Stone. Il ne cherche pas à supprimer complètement le système du tribunal rabbinique, bien qu’Omer ait déclaré qu’elle soutenait le droit au mariage civil.

Le Center for Women’s Justice, qui défend également les intérêts des femmes à qui le divorce est refusé, soutient un changement plus radical : supprimer complètement le système actuel de mariage et de divorce contrôlé par le tribunal rabbinique, au profit d’un modèle civil.

La suppression du contrôle du tribunal rabbinique ouvre la question à d’autres interprétations potentiellement plus clémentes de la loi juive pour donner aux « femmes enchaînées » des options supplémentaires pour obtenir un guet ou pour dissoudre leur mariage par d’autres biais.

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