Le co-président du groupe de travail sur l’antisémitisme de Columbia parle de la complexité des manifestations anti-Israël
Nicholas Lemann, doyen émérite de la faculté de journalisme, évoque les difficultés à déterminer quand antisémitisme et antisionisme se confondent ; il explique pourquoi les critiques des grandes écoles simplifient excessivement cette problématique
En octobre 2023, quelques semaines après le pogrom commis par le Hamas en Israël, la toute nouvelle présidente de l’université de Columbia, Minouche Shafik, avait demandé à Nicholas Lemann, doyen émérite de l’école de journalisme, de co-présider un groupe de travail sur l’antisémitisme. À l’instar des campus d’élite du pays, Columbia était en proie à des manifestations ; les étudiants et les professeurs échangeaient des lettres sur Israël et de nombreux étudiants pro-israéliens commençaient à s’inquiéter de l’antisémitisme.
Lemann déclare qu’il s’est senti, à ce moment-là, obligé de répondre par l’affirmative à la fois en tant que membre du corps enseignant et en tant que Juif qui avait déjà participé à des débats sur Israël sur le campus, s’opposant à des collègues qui soutenaient le mouvement de boycott, de désinvestissement et de sanctions (BDS) à l’encontre d’Israël.
« Je crois que vous avez l’obligation de défendre ce en quoi vous croyez, même si c’est désagréable », dit Lemann lors d’une récente interview.
Au cours de l’année qui avait suivi, l’ambiance sur le campus n’avait fait qu’empirer, marquée par la propagation d’un mouvement d’édification de campements pro-palestiniens, par des manifestations anti-israéliennes sur le campus ou à proximité et, à la fin du mois d’avril, par l’occupation par les étudiants du Hamilton Hall de l’école – une occupation qui avait été dispersée par la police de New York. Shafik a finalement démissionné en août, invoquant « une période de troubles au cours de laquelle il a été difficile de surmonter les divergences de points de vue au sein de notre communauté ».
Le groupe de travail (dont les autres coprésidents sont Ester Fuchs, directrice du programme de politique urbaine et sociale à la School of International and Public Affairs, et David Schizer, doyen émérite de la faculté de droit) a publié son premier rapport en mars. Il a décrit « l’isolement et la souffrance » des étudiants juifs et le « traitement particulièrement terrible » réservé aux étudiants israéliens. Le rapport a estimé, en conclusion, que l’université ne prenait pas suffisamment de mesures disciplinaires à l’encontre des manifestations non autorisées.
Un deuxième rapport, publié en septembre, après des entretiens avec 500 étudiants, a indiqué que l’antisémitisme omniprésent sur le campus « affectait l’ensemble de la communauté universitaire ».
« Nous avons entendu parler de rencontres écrasantes qui ont paralysé les résultats scolaires des étudiants », peut-on lire dans le rapport. « Nous avons entendu parler d’étudiants volontairement évités et qui évitent les autres, d’exclusions de différents clubs et activités, d’isolement et même de pratiques d’intimidation ».
Les membres lésés de la communauté juive ont accueilli favorablement les conclusions du groupe de travail ; les critiques ont déclaré que la définition de l’antisémitisme contenue dans le rapport étouffait les critiques légitimes à l’égard d’Israël.
Deux autres rapports sont attendus, dont un ce mois-ci.
Alors que d’autres campus de l’Ivy League ont été secoués par les manifestations, Columbia, située au cœur de la plus grande communauté juive du pays, est devenue l’épicentre d’une série de débats autour du massacre qui avait été commis par le Hamas, le 7 octobre 2023, et de la guerre qui a suivi : comment définir et combattre l’antisémitisme ? Comment limiter la liberté d’expression, les protestations sur le campus et la liberté académique – si cela devait hélas s’avérer nécessaire ? Des discussions sont aussi en cours sur la diversité politique et sur les accusations qui laisseraient entendre que les universités d’élite sont devenues des foyers du « wokisme ».
Lemann et moi-même avons discuté de ces questions et d’autres encore après sa récente participation au Limmud New York, un festival juif d’une journée entière qui a été organisé au centre communautaire juif de Manhattan, dans l’Upper West Side, où il vit. Il y fréquente le Minyan M’at, un office égalitaire qui se tient à Ansche Chesed, une synagogue conservatrice.
Avant d’être doyen de l’école supérieure de journalisme de Columbia de 2003 à 2013, Lemann avait travaillé comme rédacteur et comme éditeur au Texas Monthly, au Washington Post, à l’Atlantic Monthly et au New Yorker – où il est toujours rédacteur. Diplômé du Harvard College en 1976, il a écrit sur l’enseignement supérieur et sur les tests standardisés dans « The Big Test : The Secret History of the American Meritocracy (1999), entre autres.
La retranscription de notre conversation a été modifiée à des fins de concision et de clarté.
Comment se passent les choses sur le campus ces jours-ci ? Quelle est l’ambiance et quelle est l’ampleur des manifestations ?
Les choses sont assez calmes, comme sur d’autres campus. La plupart des manifestations dans le centre du campus sont beaucoup plus petites, beaucoup moins visibles que l’année dernière. Cependant, le campus est fermé, il faut une pièce d’identité valide pour y entrer. Et lorsque vous entrez sur le campus, il y a de nombreux agents de sécurité privés partout. Par conséquent, il faut se demander ce qui se passerait si le campus n’était pas fermé à clé et s’il n’y avait pas d’agents de sécurité privés.
En coulisses, ou de manière moins visible, il y a un désaccord assez intense sur le règlement relatif aux manifestations et sur l’instance de l’université qui est chargée de le faire respecter.
Que répondez-vous aux lecteurs qui sont enclins à condamner les manifestations pro-palestiniennes sur les campus et à condamner les institutions pour ne pas avoir pris davantage de mesures pour réprimer la rhétorique menaçante, ou qui sont enclins à mettre le sentiment anti-israélien sur le compte d’une sorte de mainmise de l’extrême-gauche sur les arts libéraux ? Qu’est-ce qui pourrait leur échapper ?
J’ai beaucoup de conversations à ce sujet et j’obtiens souvent une théorie sur les raisons expliquant pourquoi ce problème se pose de cette manière à Columbia et dans d’autres universités d’élite. L’une des théories que j’entends souvent, c’est que tout est lié au financement par le Qatar. Une autre théorie consiste à dire qu’il s’agit des bureaux DEI ou de la théorie post-coloniale. Je ne veux écarter aucune de ces théories, mais j’aimerais donner une vision d’ensemble quelque peu différente.
C’est ce que j’appelle la théorie « de l’aveugle et de l’éléphant » dans les grandes universités privées [dans laquelle les acteurs clés ne perçoivent que leur propre petite partie d’une vérité plus grande]. Les universités comme Columbia ont la chance d’avoir un grand nombre d’acteurs différents, qui font tous des choses qui contribuent au bon fonctionnement de l’université et qui sont vraiment essentielles. Ainsi, le groupe dont on entend parler à gauche est celui des légendaires « donateurs sionistes ». Mais ce n’est qu’un groupe, et il n’est pas si important que cela.
Des groupes beaucoup plus importants comprennent les anciens étudiants, les parents, le personnel, les étudiants et les représentants du gouvernement à tous les niveaux. Toutes ces personnes sont des acteurs essentiels de l’université, mais elles se rencontrent rarement directement, et chacune d’entre elles a une vision très différente de ce qu’est l’université, de sa mission et de ses valeurs fondamentales. Ce conflit en particulier met tout cela en lumière, et c’est l’une des raisons pour lesquelles il a été si tendu.
Comment cela se fait-il ? Pourquoi cette sorte de confluence – et de divergence – de toutes ces parties prenantes a-t-elle exacerbé ce qui s’est passé après le 7 octobre ?
La protestation est constante à Columbia, mais le niveau auquel nous avons assisté l’année dernière était de loin le plus élevé que j’aie jamais vu au cours de mes 21 années passées à Columbia. La plupart des causes qui traversent l’université sont à gauche, et celle-ci l’est aussi. Mais dans la plupart des cas, les groupes de parties prenantes que j’ai mentionnés sont à peu près du même côté de la question – tout le monde est contre le changement climatique ou a soutenu la vague post-George Floyd et d’autres choses de ce genre. Dans le cas du [conflit israélo-palestinien], des parties prenantes importantes ou des sous-groupes au sein des groupes de parties prenantes sont passionnément en désaccord sur la question. Cela n’est pas caractéristique de la plupart des vagues de protestation dans les universités.
On dirait qu’un consensus libéral de la part des étudiants, de la faculté, de l’administration et des donateurs s’est brisé à cause d’Israël. Cela confirme-t-il ou cela contredit-il la critique avancée par les conservateurs qui affirment que les universités sont des nids à « wokisme » ? Au festival du Limmud, je vous ai entendu dire que les universités étaient devenues des écoles de commerce de premier cycle.
Dans les établissements d’enseignement supérieur de l’Ivy League, le pourcentage d’étudiants qui se spécialisent dans les sciences humaines et dans les sciences sociales est, dans presque tous les cas, le plus faible jamais connu dans toute l’histoire de ces universités. On constate un changement massif dans l’intérêt qui est porté par les étudiants de premier cycle et qui se tournent vers deux domaines prédominants : l’économie et l’informatique. Je ne sais pas quels sont les chiffres. Ce que je dis toujours en riant, c’est que si vous arrêtez un étudiant sur le campus et que vous lui demandez : « Pouvez-vous me dire quel est le salaire de départ chez Google, Goldman Sachs et McKinsey ? », il sera toujours capable de vous le dire.
Et paradoxalement – ou peut-être naturellement – plus ces universités deviendront diversifiées, plus cette tendance se vérifiera. Si papa et maman sont multimillionnaires, pas de problème s’agissant de se spécialiser en anglais, en histoire ou en lettres classiques. Mais si vous êtes le premier, dans votre famille, à aller à l’université ou si vos parents sont endettés, ils voudront que vous fassiez quelque chose qui vous permettra d’obtenir un emploi bien rémunéré immédiatement après l’obtention de votre diplôme.
En conséquence, les sciences humaines et les sciences sociales, moins prisées, se sentent assiégées, abandonnées et poussées à la marge au sein de l’université. Elles ne disposent pas d’autant de postes de professeurs qu’elles le souhaiteraient. Elles ne peuvent pas accepter autant de doctorants qu’elles le voudraient. Elles ont du mal à placer leurs doctorants une fois leur diplôme obtenu. En conséquence, les enseignants de ces départements, qui se sentent isolés, ont tendance à s’orienter davantage vers la gauche.
C’est une explication du glissement du curseur à gauche pour les professeurs de sciences humaines : parce qu’ils ne sont plus le cœur et l’âme de l’université, parce qu’ils se sentent abandonnés et idéologiquement en opposition avec le reste du campus.
Mais qu’en est-il des étudiants activistes ? Leur activisme est-il encouragé par ce sentiment de marginalisation ?
Il se peut que de nombreux manifestants [pro-palestiniens] soient eux-mêmes des étudiants en commerce. Je dirais que la culture des universités d’élite – une culture qui remonte à leurs racines religieuses – consiste depuis longtemps à se considérer comme une sorte de boussole morale pour le monde. On vous y apprend à vous considérer comme un esprit exceptionnellement talentueux qui a le droit, voire l’obligation, de s’élever contre l’injustice et de faire entendre sa voix haut et fort – même si, pour un grand nombre des sujets évoqués par ces étudiants, ces derniers n’ont pas vraiment étudié le problème.
Ce qui s’est passé l’année dernière, c’est que de nombreux étudiants ont considéré qu’il y avait une urgence morale, qu’Israël était clairement en tort – mais ils seraient bien incapables de réussir un examen en profondeur sur l’histoire d’Israël ou sur le conflit.
J’entends des plaintes émanant de parents d’étudiants juifs qui disent que les salles de cours, dans les universités, sont devenues des lieux d’endoctrinement. Des donateurs comme Bill Ackman à Harvard ou des groupes de lutte contre l’antisémitisme demandent à ce que les professeurs soient sanctionnés ou renvoyés pour avoir pris part aux manifestations pro-palestiniennes, ou parce qu’ils ont exprimé des opinions qui ont été interprétées comme antisémites ou susceptibles de mettre encore de l’huile sur le feu.
D’un autre côté, les professeurs ont pour principe qu’ils doivent pouvoir examiner les choses, qu’ils doivent pouvoir discuter et enseigner les sujets qui relèvent de leur domaine de compétence sans que les administrateurs, les conseils d’administration, les donateurs ou qui que ce soit d’autre vienne s’en mêler. Constatez-vous un changement dans la manière dont les universités considèrent la liberté académique, et est-ce même possible ?
Si vous demandez au parent de Columbia lambda : « Avez-vous déjà entendu le terme de liberté académique ? » – je pense que beaucoup d’entre eux répondront non. Et un grand nombre de ceux qui en ont entendu parler seront incapables de la définir. Parallèlement – et paradoxalement – le corps enseignant estime que la liberté académique est le principe fondamental inviolable de l’université.
Liberté académique et liberté d’expression, ce n’est pas exactement la même chose. En règle générale, la liberté d’expression n’est pas encadrée tandis que la liberté académique le reste. La liberté d’expression, ça veut dire que n’importe qui peut se présenter sur la place publique et dire ce qu’il veut. La liberté académique a une signification différente : si vous faites un travail considérable, si vous parvenez à franchir de nombreux obstacles dans le domaine qui est le vôtre, vous aurez le droit d’enseigner ce que vous voudrez dans la salle de cours. Mais cela ne veut pas pour autant dire que n’importe quel professeur aurait le droit de faire n’importe quoi et que ce droit serait protégé, d’une manière ou d’une autre, par la liberté académique. La liberté académique, ça concerne l’enseignement et la recherche en cours. Vous ne pouvez pas faire de propagande en cours – ou vous ne devriez pas en faire. Il y a là un réel déséquilibre des pouvoirs.
Le travail du professeur est d’amener l’étudiant à réfléchir, ce n’est pas de lui dire quoi penser. Il est tout à fait possible d’articuler cet ensemble de valeurs autour de l’enseignement dans les salles de classe mais au sein de l’université, c’est très difficile, parce qu’il existe une tradition très, très forte concernant l’autonomie du corps professoral dans l’enseignement et dans la recherche.
Votre groupe de travail sur l’antisémitisme s’est-il penché sur la distinction entre protection de la liberté d’expression et protection de la liberté académique ?
Nous avons écrit, dans notre dernier rapport qui a été publié juste avant la Fête du travail, que nous allions évoquer ce qui se passe dans les salles de cours dans une étude ultérieure.
Craignez-vous que les donateurs juifs, les parents juifs et tous les acteurs puissent représenter un ensemble de valeurs illibérales – des valeurs auxquelles la communauté juive n’est habituellement pas associée ? Depuis Louis Brandeis, le juge à la Cour suprême, les Juifs ont épousé l’idée que leur propre sécurité était liée au concept démocratique de la liberté d’expression et que le remède à un mauvais discours, c’était plus de discours – ou, comme l’avait dit Brandeis, que « le remède à apporter aux mauvais conseils, c’est de bons conseils ». Est-ce que les Juifs souhaiteraient réellement se retrouver dans une situation où la liberté d’expression ou la liberté académique seraient limitées ?
Je reçois tous les jours des lettres de parents et d’anciens élèves qui me disent que le professeur Untel, enseignant à Columbia, a dit ça et ça alors qu’il se trouvait à 2000 kilomètres du campus. Et voici ce qu’il a dit, et pourquoi n’a-t-il pas été renvoyé ?… J’ai envie de dire que cela n’entre pas dans le cadre de sa vie académique en tant que professeur de Columbia, et qu’il doit, à ce titre, bénéficier d’une certaine protection.
Ce qu’on peut espérer, c’est qu’il y ait des règles très claires sur le fonctionnement de l’université et que nous puissions tenter de créer plus de compréhension commune que ce n’est le cas aujourd’hui sur ce que sont les valeurs de l’université. Même si on se dit que : « Ces parents juifs, tous ces gens concernés ne devraient pas penser ces choses », on ne peut pas pour autant l’ignorer. Il faut un processus éducatif qui prendra du temps et qui devra être mené par de très hauts responsables de l’enseignement supérieur.
Et est-ce que ça va dans les deux sens – faut-il persuader les gens de l’extérieur de la valeur de la liberté académique et faut-il dire aux gens, à l’intérieur, qu’elle a des limites ?
Oui, il faut la définir précisément en racontant aux gens son histoire et en expliquant que l’institution dont ils veulent faire partie est fondée sur cette idée de liberté académique, et qu’il faut donc faire attention si vous y êtes défavorable. Mais il ne faut pas non plus, d’un autre côté, que le terme soit utilisé à la légère, ce qui signifierait que les membres du corps enseignant jouissent d’une autonomie absolue dans tous les sens du terme.
Une critique qui figure dans le second rapport concerne la définition de l’antisémitisme – avec cette fameuse objection faite qui laisse entendre que les critiques anti-israéliennes peuvent s’assimiler trop facilement à une expression de haine antijuive. Le rapport indique que l’antisémitisme peut se manifester par le fait de « prendre pour cible les Juifs ou les Israéliens dans le cadre de violences, ou faire l’éloge des violences commises à leur encontre » ou qu’il peut se traduire par « l’exclusion ou les discriminations fondées sur l’identité ou l’origine juive, ou sur des liens réels ou perçus avec Israël ». Comment avez-vous essayé de séparer l’antisémitisme de l’antisionisme ? Êtes-vous satisfaits de la définition que vous avez mise en place ?
Notre coprésident, David Schizer, est avocat et c’est lui qui s’est occupé de la question de la définition. Ce que dit l’autre camp, c’est que toute définition présumant qu’il puisse y avoir un lien entre antisémitisme et antisionisme sera utilisée comme prétexte pour faire taire toute critique d’Israël sur le campus. Nous ne nous sommes jamais prêtés à ce jeu. Et dans ma propre vie juive, toutes les personnes que je connais ne font que critiquer l’État d’Israël, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept. Je pense donc que c’est un leurre d’affirmer que notre véritable objectif est d’empêcher qui que ce soit de critiquer l’État d’Israël et ses politiques.
Mais à quel moment la ligne est-elle franchie ?
Avant tout le reste, la mission que mène notre groupe de travail ne consiste pas à résoudre le problème du Moyen-Orient ou à élaborer des politiques en la matière. Notre tâche consiste à réfléchir au climat général qui règne sur le campus et au niveau de confort des étudiants juifs en particulier. L’université dispose d’outils pour prendre en charge ce genre de choses, des outils construits autour du vocabulaire de l’impact et de l’intention. La norme, dans ce cas, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de ce que vous avez voulu dire en tenant tels ou tels propos, mais qu’il s’agit aussi de la façon dont la personne a reçu vos paroles. Ce qui ne revient pas à dire que tout propos susceptible d’avoir un impact négatif est absolument interdit quoi qu’il arrive. Il s’agit plutôt de tenir compte de l’impact que les choses peuvent avoir sur les groupes de différentes identités. Si de nombreuses, très nombreuses personnes subissent quelque chose qui les met excessivement mal à l’aise, alors il faut en parler.
Dans votre deuxième rapport, il y a des témoignages de nombreux étudiants juifs qui ont évoqué leur expérience. Ils se sont sentis menacés, exclus ou discriminés en raison de leur soutien – ou de leur soutien perçu – à Israël et aux Israéliens. Je suppose que vous avez intégré ces témoignages de manière à décrire et à expliquer le malaise, et cette façon dont l’identification avec Israël est un aspect normatif du fait d’être un Juif américain.
C’est quelque chose de très difficile à expliquer aux gens. Je n’ai pas besoin d’expliquer aux membres de ma congrégation que le fait d’être Juif et l’État d’Israël ne sont pas deux sujets complètement étrangers l’un à l’autre. Mais beaucoup de gens, à Columbia, sont perplexes – ou ils disent l’être – devant la raison pour laquelle un si grand nombre de Juifs pensent qu’il y a effectivement une relation entre les deux. Ils ne savent pas grand-chose de la vie juive, de l’Histoire juive ou de ce que signifie être Juif.
Etes-vous toujours convaincu de l’importance des universités de l’Ivy League ? Je vous pose la question parce que nous avons entendu dire qu’il y avait un certain effritement à leur sujet au sein de la communauté juive – avec certains membres qui pensent dorénavant que ces établissements d’élite ne sont peut-être plus un foyer naturel pour les Juifs.
J’ai envie de dire que tout dépend de qui vous êtes, du type d’expérience que vous avez vécu et de ce que vous attendez. Les jeunes de la communauté juive sont très différents les uns des autres. Pour certains d’entre eux, il s’agit d’une identité très, très peu marquée. Je ne pense pas que ces personnes se sentiraient mal à l’aise à Columbia.
Mais si vous appartenez à une autre partie du monde juif, que vous venez d’une famille plus pratiquante, que vous avez fréquenté une école juive, que vous avez passé une année sabbatique en Israël, vous pouvez vous dire : « Je n’ai vraiment pas envie d’être entouré de gens qui expriment constamment des sentiments antisionistes ». Peut-être que vous ne vous y sentirez pas à l’aise.
D’un autre côté, ce même type de personne pourrait bien se dire : « J’aime être dans un environnement où il y a beaucoup d’antisionistes fiers de l’être parce que je veux me battre – pas avec mes poings, non, mais parce que je veux ouvrir le dialogue avec ces gens et entrer dans un grand débat politique sur le campus, en en faisant partie intégrante ».
Laissez-moi vous demander de mettre votre casquette de journaliste : Y a-t-il quelque chose qui n’a pas été révélé dans le rapport et que vous aimeriez que les gens sachent. Y-a-t-il quelque chose qui, dans tout ce bruit, dans toute cette fureur, est passé sous le radar ? Cela peut être quelque chose de bien, ou quelque chose de moins bien.
Vous connaissez la maxime préférée du journaliste : quand un avion atterrit sans difficulté, ce n’est pas de l’actualité. Il y a donc toutes sortes de choses merveilleuses qui se passent à Columbia – mais ce sont ces choses auxquelles on s’attend de la part de l’université de toute façon. Je ne dirai pas donc que ce soit de l’actualité. Ce qui manque le plus sur le campus, selon moi, c’est tout ce qui est relatif à la conversation que nous venons d’avoir sur la nature des universités.
Les médias ont quotidiennement tendance à se focaliser sur les incidents – et il est difficile de réellement les comprendre si on les déconnecte les uns des autres. Un jour, les manifestants jettent de la peinture rouge sur la statue de l’Alma Mater – ce qui donne d’eux une mauvaise image – et un autre jour, la police arrive et disperse les campements, ce qui donne peut-être l’impression que les manifestants sont d’innocentes victimes. C’est difficile de déterminer comment tous ces va-et-vient s’inscrivent dans le contexte de ce qu’est une université. Et c’est ce qui manque le plus à mon avis.
Les points de vue et les opinions exprimés dans cet article sont ceux de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement ceux de JTA ou de sa société mère, 70 Faces Media.
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