Le conflit Israël/Hamas au cœur de la 36e édition du festival Visa pour l’Image
Le festival de photojournalisme, organisé à Perpignan, affirme mettre tout en œuvre pour être "le plus neutre, le plus factuel possible" ; deux photographes palestiniens et un photographe israélien font partie des lauréats
Un immeuble gazaoui partant en fumée après une frappe israélienne : la photo géante trône sur le Palais des congrès de Perpignan dans le sud de la France, symbole de l’omniprésence du conflit dans l’édition 2024 de Visa pour l’Image, principal festival international de photojournalisme.
Le cliché, pris au soir du 7 octobre et de l’attaque sans précédent du Hamas en Israël, est signé du Palestinien Loay Ayyoub pour le Washington Post, récompensé d’un « Visa d’or de la ville de Perpignan » pour son travail à Gaza.
Le choix de ce photographe par un jury de directeurs photo a déplu au maire RN (Rassemblement national, parti d’extrême droite) Louis Aliot, qui a indiqué en ouverture de la manifestation refuser de remettre ce prix à un professionnel qu’il juge trop proche du Hamas et qui, selon lui, « parle d’actes de résistance » sur ses réseaux à propos des tirs de roquettes de l’organisation terroriste islamiste sur Israël.
Il a également refusé « de mettre sur le même pied d’égalité le Hamas, organisation terroriste et totalitaire, avec une démocratie comme la démocratie israélienne ». « On ne peut pas invisibiliser à ce point les victimes du 7 octobre et les otages toujours embastillés dans les geôles du Hamas », a ajouté le maire. « On peut critiquer Israël mais il faut qu’il y ait de la contrepartie et un équilibre dans le propos », a-t-il ajouté.
Israël-Hamas et liberté éditoriale : la réponse de Jean-François Leroy aux critiques de @louis_aliot. pic.twitter.com/yhTTaFLzHS
— Jean-Francois Leroy (@jf_leroy) August 31, 2024
Le directeur historique de Visa, Jean-François Leroy, lui a répondu : « J’ai une liberté totale sur la ligne éditoriale de ce festival et je rappelle que le prix de la ville est décerné par un jury de directeurs de photos internationaux. Ils ont voté pour Loay Ayyoub, voilà. Moi je n’ai pas à interpréter les décisions de Monsieur Aliot. »
Relativisant et revendiquant des « choix éditoriaux », il ajoute : « Forcément si vous êtes photographe à Gaza, si vous voulez travailler, vous connaissez des gens du Hamas, ça ne veut pas dire que vous les soutenez. De la même manière que les photographes israéliens qui ont travaillé dans Gaza, ont des entrées dans l’armée israélienne, fin de l’histoire. »
« Non-évènement » pour M. Leroy, le propos de l’élu de Perpignan confirme cependant la sensibilité qui entoure le traitement du sujet.
« En 36 éditions, on a quand même couvert beaucoup de conflits, les printemps arabes, l’ex-Yougoslavie, le Rwanda, la Tchétchénie, l’Irak, l’Afghanistan, la Syrie, l’Ukraine, on n’a jamais eu des réactions épidermiques comme ça, jamais », souligne d’ailleurs le directeur-fondateur de Visa.
« Spirale infernale »
La manifestation a donc tout mis en œuvre pour être, dixit Leroy, « la plus neutre, la plus factuelle possible » dans son approche, notamment au cours d’une projection, prévue jeudi soir, du travail des photo-reporters dans toute la zone depuis le 7 octobre 2023, accompagnée d’un commentaire dont chaque mot sera « pesé au trébuchet ».
Après l’attaque, des photographes gazaouis avaient été accusés d’avoir été embarqués aux côtés du Hamas au moment des massacres commis en Israël. Les médias et agences de presse ayant acheté leurs clichés, dont l’Associated Press (AP), Reuters et CNN, avaient démenti avoir été informés des événements du 7 octobre.
Le reportage du groupe de veille pro-israélien Honest Reporting avait soulevé des questionnements au sujet de la relation entretenue par certains photographes avec le groupe terroriste qui est à la tête de la bande de Gaza.
En février, le ministère israélien des Affaires étrangères avait critiqué le comité d’un prestigieux prix américain pour avoir décerné un premier prix à un de ces photojournalistes palestiniens – Yousef Massoud – qui, selon lui, ne se cache pas d’entretenir des relations avec le Hamas et aurait été informé des projets d’attaque du Hamas, le 7 octobre.
Du point de vue de la profession, la séquence ouverte le jour de l’attaque du Hamas a en tout cas été jugée hors normes.
« Le plus grand défi auquel nous avons été confrontés dans ce conflit est le manque d’accès à Gaza. Aucun photographe international n’a été autorisé à entrer dans l’enclave », rappelle à l’AFP le directeur photo international du Washington Post, Olivier Laurent, qui s’est donc appuyé sur le travail « absolument exceptionnel » de Loay Ayyoub.
En janvier, la Haute Cour a décidé qu’Israël pouvait continuer à interdire aux journalistes étrangers l’accès à la bande de Gaza, invoquant des problèmes de sécurité persistants après des mois au cours desquels seuls des habitants de Gaza ou des correspondants accompagnés par l’armée ont pu faire des reportages dans l’enclave.
Dans leur décision, les juges de la Haute Cour Ruth Ronen, Khaled Kabub et Daphne Barak-Erez ont accepté la position du ministère de la Défense selon laquelle les visites sous escorte constituaient une mesure appropriée de la liberté de la presse, compte tenu des « préoccupations extrêmes en matière de sécurité à l’heure actuelle et des menaces concrètes pour la sécurité qui vont de pair avec l’approbation des permis d’entrée pour les journalistes indépendants ».
Plus que pour d’autres conflits, la sécurité et les contraintes auxquelles les photographes locaux ont été soumis ont été un enjeu majeur.
Ils ont été plongés « dans une espèce de spirale infernale », dit Eric Baradat, directeur adjoint de l’information de l’AFP, car par rapport à « un envoyé spécial qui n’a à s’occuper que de lui et de son travail », les photographes de l’agence à Gaza « devaient gérer leurs familles, leur protection, l’approvisionnement en eau, en nourriture ».
L’un d’entre eux, Mahmoud Hams, est l’un des quatre nommés pour le « Visa d’or news », la récompense considérée comme la plus prestigieuse à Perpignan.
« On retrouve dans son travail aussi bien la quête de nourriture, de protection, que les combats, les arrestations et les images extrêmement violentes que cette guerre a produites », souligne Eric Baradat qui le décrit comme « un des photographes historiques de la bande de Gaza » à la signature « très respectée et reconnue ».
Dans les nommés du Visa d’or News qui seront remis samedi, se trouve également le photographe israélien Ziv Koren qui, le 7 octobre, a capturé l’horreur des massacres commis par le Hamas puis documenté ces derniers mois la guerre à Gaza, y suivant les troupes de l’armée de son pays.
A LIRE : Le photojournaliste Ziv Koren montre au monde ce qui est arrivé le 7 octobre
Et enfin, pour compléter un panorama de regards sur une région embrasée, voulu comme le plus large et le « plus chiadé » possible selon Jean-François Leroy, Visa expose également le travail du photojournaliste russe Sergey Ponomarev pour le New York Times, qui a braqué son objectif sur la Cisjordanie, elle-aussi revenue au cœur des tensions ces dernières semaines.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a envoyé des milliers de terroristes armés en Israël, le 7 octobre, pour mener une attaque brutale au cours de laquelle ils ont tué près de 1 200 personnes. Les terroristes ont également pris en otage 251 personnes, pour la plupart des civils, et les ont emmenées à Gaza.
Israël a réagi en lançant une campagne militaire dont l’objectif vise à détruire le Hamas, à l’écarter du pouvoir à Gaza et à libérer les otages.
Le ministère de la santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, affirme que plus de 40 000 personnes ont été tuées ou sont présumées mortes dans les combats jusqu’à présent, dont 159 journalistes selon des données datant de juillet. Ce bilan, qui ne peut être vérifié et qui ne fait pas la distinction entre terroristes et civils, inclut les quelque 17 000 terroristes qu’Israël affirme avoir tués au combat et les civils tués par les centaines de roquettes tirées par les groupes terroristes qui retombent à l’intérieur de la bande de Gaza.
Israël affirme s’efforcer de minimiser les pertes civiles et souligne que le Hamas utilise les Gazaouis comme boucliers humains, en menant ses combats depuis des zones civiles, notamment des maisons, des hôpitaux, des écoles et des mosquées.