Le couple juif qui a créé 60 années de magie au cinéma
Un nouveau film met en lumière des héros méconnus de Hollywood : le dessinateur de storyboard Harold Michelson et son épouse, chercheuse pour les films
Si vous travaillez à Hollywood, soit vous êtes au-dessus de « la ligne », soit vous êtes en dessous. « La ligne » concerne le budget d’un film et elle sépare les individus qui reçoivent des crédits publics pour leur travail et ceux pour qui ce n’est pas le cas.
Des réalisateurs, des acteurs, des producteurs et des directeurs de la photographie sont au-dessus de la ligne. En dessous, se trouvent des gens qui ont un immense talent, des esprits créatifs qui font survenir la magie du cinéma mais dont les noms n’ont jamais été connus de tous.
Un couple Juif marié, Harold et Lillian Michelson, s’est trouvé en dessous de cette ligne. Lui, un dessinateur de storyboard, et elle, chercheuse de film, ont laissé une marque indélébile sur plus de 100 classiques du 7ème art, dont « les dix commandements », « l’Appartement, « les Oiseaux », « Qui a peur de Virginia Woolf? », « Le Lauréat », « Rosemary’s Baby », « Un violon sur le toit » et « Scarface ».
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Et pourtant, eux – et les 60 années de carrière qu’ils ont passé côte à côte à Hollywood – sont restés pratiquement inconnus.
Un nouveau documentaire sorti le 28 avril à New York, « Harold and Lillian: A Hollywood Love Story », met en lumière le partenariat professionnel et personnel unique établi au sein du couple Michelson. (Le seul fait que leur mariage a duré six décennies – s’achevant avec le décès de Harold en 2007 alors qu’il avait 87 ans – les fait sortir du lot à La La Land.)
Une fascination pour les héros méconnus de Hollywood
Le réalisateur israélo-américain Daniel Raim est l’un des rares à avoir été un familier de Harold et Lillian Michelson hors du coeur de Hollywood. Après son service au sein de l’armée israélienne, il est arrivé à Los Angeles en 1997 où il a rencontré Harold à travers Robert Boyle, réalisateur de film légendaire et directeur artistique ayant collaboré avec Alfred Hitchcock. Raim a étudié sous la direction de Boyle à l’Institut du Film américain, où Boyle avait invité Harold à donner une conférence.
« Je me rappelle que c’était un cours pas très excitant, totalement ennuyeux sur les techniques pré-numériques de projection de ce que voyait la caméra sur la base de l’angle de la prise de vue, de l’objectif et de la mise au point. Harold était un génie dans ce domaine – probablement à cause des sensibilités qu’il avait développées lorsqu’il était pilote d’avion sur les sites de bombardement durant son service pendant la Deuxième guerre mondiale », raconte Raim au Times of Israël.
Les technicités mathématiques n’étaient certes pas captivantes mais les témoignages de Boyle, Harold et d’autres qui travaillaient dans le système des studios à l’âge d’or de Hollywood étaient passionnants.
« Je suis tombé dans ce monde en me documentant sur les héros méconnus de Hollywood », dit Raim.
Son premier film, un documentaire court appelé « The Man on Lincoln’s Nose » au sujet de Boyle, a été nominé aux Oscars. Raim a suivi avec « Something’s Gonna Live », un hommage à Boyle et à ses collègues et amis : les directeurs artistiques vétérans de Hollywood Henry Bumstead et Al Nozaki, les directeurs de la photographie Haskell Wexler et Conrad Hall, et Harold Michelson, le dessinateur de storyboard.
Raim pensait qu’une oeuvre consacrée à Harold et Lillian, qu’il avait fini par bien connaître alors qu’il tournait les deux autres films, était une prochaine étape naturelle. Toutefois, il avait besoin de la coopération de Lillian. Agée maintenant de 88 ans, elle vit au « Motion Picture and Television Fund » – une communauté de retraités de Los Angeles qui accueille les anciens employés de l’industrie.
‘Raconter une histoire dans un seul cadre’
Malgré sa personnalité pleine d’entrain, son esprit vivace et son sens de l’à-propos comique, Lillian a d’abord affirmé être mal à l’aise devant la caméra. Néanmoins, elle est rapidement venue à bout de sa réticence, racontant ses souvenirs avec humour – comme la fois où elle avait menacé de s’envoler vers l’Amérique du sud dans l’avion d’un baron de la drogue au nom d’une recherche pour un film, ou cette journée où elle avait été prise pour une prostituée sur un tournage.
Elle parle aussi de façon candide des problèmes conjugaux rencontrés avec Harold et des défis représentés par l’éducation de leur fils autiste à une époque où cette maladie n’était pas encore diagnostiquée et où la psychologie freudienne attribuait ce syndrome aux défaillances maternelles.
Tandis que les images d’archives d’entretiens avec Harold — tournées par Raim et d’autres – montrent que lui, comme son épouse, possédaient un sens de l’humour plein d’auto-dérision et une étonnante faculté d’auto-critique, c’est Lillian, avec sa voix haut perchée et ses manières désarmantes qui est indiscutablement le point d’ancrage du film.
Raim raconte l’histoire du mariage et de la carrière de Harold et Lillian à travers des entretiens avec le couple ainsi que par le biais de commentaires de personnalités éminentes de Hollywood – dont Mel Brooks, Danny DeVito et Francis Ford Coppola, qui se sont appuyés sur leur expertise. Raim utilise également des séquences d’archives, des lettres d’amour et des films vidéos amateurs.
Néanmoins, les outils narratifs du film les plus captivants sont les storyboards dessinés par Patrick Mate illustrant les souvenirs de Harold et Lillian.
« Nous avions besoin de visualiser les événements qui se sont déroulés dans le passé quand nous avions peu de photos et de matériels d’archives. Utiliser les storyboards était une manière organique – et drôle – de visualiser le récit de l’histoire de leur vie », estime Raim.
“Nous avons essentiellement fait ce que Harold faisait le mieux : Raconter une histoire dans un seul cadre », dit-il.
Des vies ordinaires ‘extraordinaires’
Dans un entretien téléphonique accordé au Times of Israel, Lillian explique avoir été « immensément heureuse » de la manière dont le film a su prendre vie, expliquant que Raim « a fait un chef d’oeuvre de nos vies ordinaires ».
Objectivement – même quand ils étaient jeunes – les existences de Harold et Lillian sont toujours sorties de l’ordinaire. Lillian a dû quitter – comme elle le qualifie dans le film – une vie familiale violente, passant son enfance dans plusieurs orphelinats de Miami.
« C’est la raison pour laquelle je n’ai pas eu une éducation juive. Je bougeais toujours d’un orphelinat à l’autre. J’étais toujours la petite nouvelle, je tentais de m’adapter. Je me souviens que dans un orphelinat qui était catholique, je faisais le signe de la croix pour les grâces – même si la nonne m’avait dit que je n’avais pas à le faire parce que j’étais une petite juive », explique-t-elle.
Harold a grandi dans le Bronx et a reçu une éducation juive. Il est allé dans une école hébraïque, a fait sa bar mitzvah et a appris à jouer du violon – un « truc de Juif », selon Lillian.
« Mais il a quitté cela [le judaïsme], en particulier quand il est allé à l’armée [pendant la Deuxième guerre mondiale]. Nous ne pratiquions pas dans notre famille. A un moment, nous avons essayé de mettre nos enfants dans une école hébraïque mais c’était trop dur avec notre fils autiste », dit-elle.
Le couple s’était rencontré à Miami après la guerre et s’était enfui à Los Angeles, parce que la famille de Harold avait le sentiment que Lillian, l’orpheline, n’était pas un bon choix pour Harold. Dans la cité des anges, Harold a fait son chemin dans les rangs du système des studios hollywoodiens – devenant finalement directeur artistique sur certains films.
“Pour Harold, ce n’était pas une question d’argent ou de titre. Il voulait avancer, mais il s’agissait plutôt pour lui de se rapprocher du réalisateur, de développer ses idées auprès du réalisateur. Cela a été l’un des moments les plus importants pour lui lorsque Hitchcock l’a convoqué à Bodega Bay [pour le tournage des « Oiseaux »]. Il était dans un état de joie indescriptible », dit Lillian.
‘C’était comme aller dans une école rien que pour moi’
En 1961, une fois que leurs trois fils ont eu l’âge d’aller à l’école, Lillian a commencé à travailler dans la recherche pour les films en tant que bénévole dans la bibliothèque d’un studio. Et finalement, elle est devenue propriétaire de l’une des bibliothèques les plus complètes et les plus abouties de l’industrie du cinéma, devenant la personne indispensable à aller voir pour toute question et pour toute information.
Lillian, qui avait abandonné l’école en première année de faculté, a fait son éducation à travers sa bibliothèque.
« C’était comme aller dans une école rien que pour moi. Mon éducation était inégale et inhabituelle. J’apprenais tous ces faits obscurs, mais c’était tellement intéressant et j’ai rencontré des gens si passionnants à travers les interviews que j’ai réalisées », s’exclame-t-elle.
La joie de la recherche : Culottes bouffantes et films porno
Sur tous les films sur lesquels elle a travaillé, Lillian dit avoir une tendresse particulière pour le « Violon sur le toit », car c’est à travers cette oeuvre qu’elle a appris ce qu’était son héritage juif.
Elle n’a rien négligé pour offrir les informations réclamées par le réalisateur Norman Jewison et son équipe de production. Par exemple, le costumier avait besoin de savoir à quoi ressembleraient les sous-vêtements gonflants des filles de Tevye lorsqu’on les verrait à l’écran se penchant en arrière sur leur lit au cours d’une scène de danse.
« Eh bien, ils n’avaient pas pris de photos de jeunes filles juives en sous-vêtements dans le shtetl,” déclare Lillian d’un ton malicieux dans “Harold in Lillian.”
Et c’est ainsi que Lillian s’est plantée sur Fairfax Avenue, au beau milieu du quartier juif de Los Angeles, demandant aux femmes qui passaient par là si elles savaient quel type de sous-vêtements les jeunes filles juives portaient dans le vieux pays. Une femme âgée a dit à Lillian de l’attendre, a couru chez elle et a découpé un patron sur le modèle des culottes qu’elle portait lorsqu’elle était jeune. Et de là viennent les culottes bouffantes du « Violon sur le toit ».
Toutes les excursions de recherche de Lillian n’ont pas réussi. Pour un film, on lui a demandé de rechercher des données sur les films pornographiques des années 1920 et 1930.
« Comme quel genre de tentures ils avaient, quel type de linoléum était posé au sol, quel genre d’ampoules électriques ils utilisaient », se souvient Lillian.
Alors, tandis qu’elle se trouvait à San Francisco, elle s’est arrêtée dans une boutique du quartier malfamé de Tenderloin et pris quelques vidéos.
« J’ai demandé au gars du magasin si on voyait les décors sur les films et il m’a dit que c’était le cas. Je ne les ai pas regardés pour vérifier et là, j’ai fait une erreur », raconte-t-elle.
Lorsque Lillian a ramené les films au studio, elle et « un groupe de types au-dessus de la ligne » ont pris place dans la salle de projection pour les regarder. Comme on pouvait s’y attendre, les films étaient remplis de plans serrés, et aucun décor alentours n’était visible.
« Qu’est-ce qu’on a parlé de ça dans le studio ! J’étais si naïve. Cela m’a appris à ne plus jamais faire confiance à personne en termes de recherches », s’esclaffe Lillian.
« Et je n’ai jamais récupéré ces vidéos. Il a fallu que j’en avale le prix », ajoute-t-elle.
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