Le ministère du Patrimoine va financer des visites du mont du Temple, défiant le statu quo
La décision du ministère provoque des réactions mitigées en Israël et une condamnation de la Jordanie et de l’Arabie Saoudite, alimentant les tensions autour du site sacré
Le ministère du Patrimoine a annoncé mardi qu’il prévoyait de commencer à subventionner et à organiser des visites guidées du mont du Temple pour « des dizaines de milliers de Juifs et des centaines de milliers de touristes », alors que les membres d’extrême droite de la coalition font pression pour modifier le statut de ce lieu saint sensible.
L’annonce du ministère, dirigé par Amichai Eliyahu du parti extrémiste Otzma Yehudit, est intervenue après que l’approbation du plan par la police a été rapportée lundi par la chaîne de télévision publique Kan.
Ces visites seront les premières à être financées par l’État et les dernières d’une série de mesures prises récemment pour défier le statu quo sur le site sacré disputé – une source de tension croissante entre les éléments d’extrême droite de la coalition et le reste du gouvernement, qui ne sait que trop bien que tout changement du statu quo dans l’enceinte qui abrite la mosquée Al-Aqsa et le Dôme du Rocher est susceptible de susciter l’indignation dans le monde musulman.
Selon le ministère, les visiteurs auront l’occasion « d’entendre un récit de l’héritage juif du Mont qui soit historiquement exact, exempt de réalités alternatives et de récits mensongers élaborés dans le but de faire avancer un programme antisémite ».
Le projet devrait coûter quelque 2 millions de shekels et commencer après les célébrations du Nouvel An juif cet automne, a rapporté Kan, s’appuyant sur un document approuvant les visites par le commandant de la police du district de Jérusalem, Amir Arzani.
Selon la police, « les visites se dérouleront dans le cadre des visites existantes dans la zone du Mont Temple, et conformément aux règles de visite du site ».
Des visites sont déjà organisées sur le mont du Temple par des groupes d’activistes et des organisations à but non lucratif qui militent pour une présence juive renforcée sur le site. Cependant, jusqu’à présent, aucune de ces initiatives n’avait été directement financée ou organisée par l’État.
L’annonce du projet fait suite à la controverse suscitée par les récentes déclarations du ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, chef du parti Otzma Yehudit, selon lesquelles il avait pour « politique » d’autoriser la prière juive sur le mont du Temple, alors que des vidéos circulent montrant des hommes juifs se prosternant sur le site.
Le ministre d’extrême droite a tenu ces propos lors d’une visite sur le mont du Temple à la fin du mois de juillet, le jour du jeûne juif de Tisha BeAv, qui commémore la destruction des temples juifs qui se trouvaient autrefois sur le site.
Bien que la loi israélienne autorise techniquement les Juifs à prier partout dans le pays, les tribunaux ont longtemps maintenu le pouvoir discrétionnaire de la police d’appliquer l’interdiction de la prière juive dans le cadre d’un accord de statu quo sensible régissant le site, qui est considéré comme le site le plus sacré du judaïsme et le troisième site le plus sacré de l’islam.
הבוקר בהר הבית:
מטורללי הכת המשיחית לא נותנים לתקיפה קטנה בלבנון להפריע להם להשתחוות להשם יתברך, גם במחיר של הבערת הר הבית, בזבוז הזמן היקר של כוחות הביטחון באמצע מלחמה והסטת כוחות ממשימות קריטיות אחרות, הצתת הגזרה הפנימית וחבלה בתמיכה הבינלאומיות בשעות רגישות מבחינה בטחונית.מי… pic.twitter.com/kbeGoRZbR3
— Nava Rozolyo נאווה רוזוליו (@rozolyo) August 25, 2024
Lundi, Ben Gvir a réitéré sa position, déclarant à la radio de l’armée que la loi israélienne ne faisait aucune distinction entre les droits religieux des juifs et des musulmans sur le mont du Temple.
« Les politiques sur le mont du Temple permettent la prière, point », a affirmé Ben Gvir.
« Ce n’est pas comme si je faisais tout ce que je veux sur le mont du Temple », a-t-il ajouté. « Si je faisais tout ce que je veux sur le mont du Temple, le drapeau israélien y flotterait depuis longtemps. »
À la question de savoir s’il installerait une synagogue sur le site s’il le pouvait, il a répondu : « Oui, oui, oui, oui ».
En réponse aux propos de Ben Gvir, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a publié un communiqué réitérant qu’il n’y avait « aucun changement au statu quo officiel sur le mont du Temple ». Il a toutefois soigneusement évité de mentionner nommément son partenaire de coalition ultranationaliste.
Le ministre de la Défense, Yoav Gallant, a accusé le ministre de mettre Israël en danger avec ses commentaires, tandis que le ministre de l’Éducation, Yoav Kisch, a indiqué que « les remarques irresponsables de Ben Gvir relèvent d’un populisme stupide et inutile ».
Dans une publication sur X mardi, le président de Yisrael Beytenu, Avigdor Lieberman s’est moqué du « pire gouvernement de l’histoire d’Israël », qui « se concentre exclusivement sur des questions controversées qui menacent de désintégrer la société israélienne, comme le mont du Temple et la refonte judiciaire. »
Les propos tenus lundi par le ministre Ben Gvir ont également suscité de nombreuses critiques de la part de la communauté ultra-orthodoxe d’Israël, qui tend à suivre une interprétation traditionnelle de la loi juive selon laquelle il est interdit, à ce stade de l’histoire, de poser le pied sur le site, en raison de préoccupations liées à la pureté rituelle.
Yated Neeman, un journal haredi affilié au parti Yahadout HaTorah, membre de la coalition, a qualifié Ben Gvir de « politicien pyromane ».
Le journal a rappelé l’avis de certains rabbins qui estiment que la loi juive interdit aux Juifs de se rendre dans le lieu saint, dénonçant « les graves paroles » prononcées par Ben Gvir et disant que ce dernier « met en péril les résidents de la Terre Sainte ».
À la suite de la visite de Ben Gvir sur le mont du Temple à la fin du mois de juillet, les chefs religieux haredim se sont alignés pour condamner le ministre, et cinq rabbins importants basés à Jérusalem ont publiquement dénoncé la visite dans une vidéo diffusée en ligne avec des sous-titres en arabe.
Cette vidéo aurait été diffusée à la demande du maire de Jérusalem, Moshe Lion, et des responsables de la sécurité, désireux de calmer les craintes des Arabes concernant une éventuelle modification du statu quo sur le site, source d’explosions de violence et souvent citée comme élément déclencheur.
L’onde de choc provoquée par ces paroles s’est aussi faite ressentir jusque dans les rangs de la coalition. Eli Dallal, député élu sous l’étiquette du Likud, a écrit une lettre ouverte au Premier ministre Benjamin Netanyahu, l’implorant de mieux maîtriser son ministre suite à ses propos controversés.
« Je me tourne vers vous en ressentant une inquiétude profonde et sincère qui concerne la conduite irresponsable du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, », explique Dallal dans sa missive.
« Je pense que vous avez la capacité de mener la barque discrètement, raisonnablement et de manière responsable – mais le moment est venu de rappeler à l’ordre le ministre Ben Gvir », ajoute-t-il.
« Son comportement va-t-en-guerre et ses déclarations provocatrices, en plus des campagnes de délégitimation et des attaques qu’il lance contre le Shin Bet, affaiblissent nos aptitudes à faire face aux réelles menaces et ont franchi toutes les lignes rouges », continue Dallal.
« Vous devez le lui dire clairement et sans équivoque : ces actions et ces déclarations ne peuvent pas continuer », poursuit le député du Likud dans sa lettre.
« Nous devons nous assurer que notre politique sécuritaire est responsable et coordonnée sous votre gouvernance, et nous devons établir clairement aux yeux de Ben Gvir qu’un esprit de leadership pondéré est indispensable en ce moment, que de vaines querelles peuvent nous entraîner dans des crises qui ne sont pas nécessaires », note Dallal.
Le groupe terroriste palestinien du Hamas a appelé son pogrom du 7 octobre – au cours duquel des milliers de terroristes ont envahi le sud d’Israël depuis Gaza, assassinant près de 1 200 personnes et prenant 251 otages, déclenchant ainsi la guerre en cours – « Opération déluge d’Al Aqsa », en invoquant le nom musulman du complexe du Temple.
Les propos de Ben Gvir ont également été condamnés par l‘Arabie saoudite lundi, qui a publié un communiqué dans lequel elle s’est contentée d’évoquer « un ministre du gouvernement d’occupation israélien » – sans mentionner clairement son identité.
« Le royaume affirme son rejet catégorique de ces déclarations extrémistes et incendiaires et son rejet des provocations répétées à l’encontre des sentiments des musulmans dans le monde entier », peut-on lire dans le communiqué, qui appelle également à mettre fin à la “catastrophe humanitaire” endurée par les Palestiniens et à “tenir les responsables israéliens pour responsables” des violations du droit international.
La Jordanie a, pour sa part, émis un communiqué furieux condamnant Itamar Ben Gvir après que le ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite a fait part de son soutien au droit à la prière des Juifs sur le mont du Temple, apportant également son appui à la perspective de l’installation d’une synagogue dans ce lieu saint sensible.
Le communiqué diffusé par le ministère des Affaires étrangères du royaume hachémite a souligné « le rejet absolu et la condamnation dans les termes les plus forts, de la part de la Jordanie, des déclarations faites par le ministre extrémiste israélien qui attise une politique d’extrémisme dont l’objectif est de changer le statut historique et légal de Jérusalem et de ses lieux saints, en imposant de nouveaux faits et de nouvelles pratiques qui se fondent sur un narratif fanatique basé sur l’exclusion ».
La Jordanie a établi que le mont du Temple « est un lieu de culte pour les musulmans exclusivement » et elle a affirmé que Ben Gvir cherchait à diviser le site en deux.
« La Jordanie prendra toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme aux attaques lancées contre les lieux saints et elle est actuellement en train de préparer les documents juridiques nécessaires pour porter plainte devant les tribunaux internationaux contre de telles attaques, des attaques qui constituent une violation claire du droit international et une escalade dangereuse que la Jordanie combattra par tous les moyens possibles », a continué le ministère.