Le New Jersey remet les drapeaux LGBTQ+ retirés à la demande de deux synagogues
Les personnes LGBTQ se battent depuis des années pour être acceptées par la communauté orthodoxe ; l'incident a contribué à rallier des amis de la communauté à cette cause
JTA – Au début du mois de juin, la ville de Highland Park, dans le New Jersey, avait déployé des drapeaux arc-en-ciel sur l’une de ses artères principales pour célébrer un festival de musique sur le thème des LGBTQ.
Mais, quatre jours seulement après l’installation de ces drapeaux, le maire de Highland Park en a retiré quatre. D’après des informations communiquées par les autorités municipales, la Congrégation Ohav Emeth, une synagogue orthodoxe locale, avait protesté contre l’installation de quatre des drapeaux qui se trouvaient juste devant son bâtiment. Le rabbin d’une autre congrégation orthodoxe, située à environ 800 mètres de là, avait lui aussi protesté contre les drapeaux.
La maire de la ville, la démocrate Elsie Foster, est revenue sur sa décision suite aux protestations exprimées par le public. Les drapeaux ont été remis en place et Mme Foster a présenté des excuses publiques pour l’incident.
« Les considérations de nombreux résidents mais tout particulièrement le discours réfléchi des adolescents qui sont intervenus lors de la réunion de la mairie et du conseil m’ont beaucoup appris », a écrit Foster dans une déclaration publiée sur Facebook, faisant référence à une réunion du conseil d’arrondissement de Highland Park qui a eu lieu la semaine dernière. « Je suis désolée pour cette mauvaise communication et les faux pas qui ont eu lieu plus tôt et je suis heureuse de pouvoir honorer ceux qui nous ont respectueusement exhortés à reconsidérer la question. »
Cet accrochage illustre le caractère local d’une relation parfois très conflictuelle entre les personnes LGBTQ et les institutions orthodoxes. Bien que certaines parties de la communauté orthodoxe se soient ouvertes à l’inclusion des LGBTQ ces dernières années, d’autres restent plus sceptiques quant à leur place dans les espaces juifs pratiquants. Le principal campus modern-orthodoxe, la Yeshiva University, a invoqué son statut d’institution religieuse dans une bataille juridique en cours sur son refus de reconnaître un groupe d’étudiants LGBTQ. Le récent décès par suicide d’un ancien étudiant orthodoxe homosexuel, témoigne, comme le soulignent ses amis, de la difficulté d’être à la fois orthodoxe et homosexuel.
« Il existe un fossé culturel entre les rabbins et la communauté LGBTQ+ », a déclaré à la Jewish Telegraphic Agency Miryam Kabakov, directrice exécutive de l’organisation à but non lucratif Eshel, qui soutient les juifs orthodoxes LGBTQ et leurs familles, au sujet de la controverse sur les drapeaux.
« Les rabbins pensent que les symboles LGBTQ+ sont liés au sexe », a déclaré Kabakov. « Ce n’est pas le cas. Ce sont des symboles qui ont pour but de nous ôter toute honte d’être qui nous sommes. Grâce à eux, on peut ignorer la honte et entrer dans la synagogue la tête haute, fier de son identité et sans la cacher. »
Pour Foster, le but était de combler le fossé entre ce qu’elle considère comme de réelles préoccupations religieuses de la part d’une partie de sa communauté et un désir sincère de respect et d’inclusion de la part d’une autre partie de la communauté.
« Mon objectif est double : promouvoir la sécurité, le respect et le soutien de la communauté LGBTQ+ de l’arrondissement, tout en respectant les sensibilités religieuses de notre communauté juive orthodoxe », a déclaré la maire dans un communiqué transmis à JTA. « Je crois fermement que ces deux objectifs peuvent être poursuivis simultanément et je suis encouragée par les témoignages positifs que nous avons reçus de nombreux résidents qui apprécient nos efforts soutenus pour répondre à ces questions. »
Le rabbin d’Ohav Emeth, Eliyahu Kaufman, n’a pas souhaité répondre à une demande de commentaire de la JTA, pas plus que le rabbin Steven Miodownik, qui dirige la Congrégation Ahavas Achim, une autre synagogue orthodoxe située à proximité et qui partage un vaad, ou conseil rabbinique, avec la synagogue de Kaufman. Selon un porte-parole de la ville, Miodownik aurait envoyé un message privé au maire pour lui demander de retirer les drapeaux.
Foster n’a pas cité le nom du rabbin avec lequel elle s’est entretenue, ni celui de la synagogue qui avait formulé la demande. Mais elle a déclaré lors de la réunion du conseil d’arrondissement que les drapeaux concernés flottaient directement devant une congrégation située à proximité du festival de musique organisé le week-end du 9 juin. Ohav Emeth correspond à cet emplacement.
« J’ai eu une conversation, une conversation très privée, avec un rabbin, et une demande a été faite », a déclaré Foster aux constituants lors de la réunion du conseil le 20 juin. Plusieurs intervenants publics – dont une poignée qui s’identifient comme des juifs orthodoxes LGBTQ – étaient venus à la réunion pour exprimer leur indignation et s’élever contre le retrait des drapeaux.
« J’aurais peut-être dû prendre du recul, écouter et attendre », a reconnu Foster lors de la réunion, tout en ajoutant que les 30 autres drapeaux de la Fierté installés dans cette rue par la ville à l’occasion du festival n’avaient pas été retirés. « Mais je ne l’ai pas fait. L’erreur est humaine, et il se trouve que je suis humaine. »
L’aveu de Foster indiquant qu’elle avait retiré les drapeaux de la Fierté à la demande d’un rabbin contredit les excuses qu’elle avait présentées auparavant à ses administrés et dans lesquelles elle déclarait : « Je tiens à vous assurer que notre décision de retirer les drapeaux n’était pas en réponse à une demande spécifique ou à un motif discriminatoire. »
Depuis des dizaines d’années, le monde orthodoxe débat de l’opportunité et de la manière d’accepter les personnes LGBTQ. Presque toutes les interprétations modernes de la loi orthodoxe interdisent les relations entre personnes du même sexe, même si, récemment, un certain nombre de personnalités orthodoxes de premier plan se sont révélées homosexuelles. Toutefois, certaines des voix anti-LGBTQ les plus en vue sur l’internet, dont Chaya Raichik, créatrice du compte de réseau social Libs of TikTok, appartiennent aussi à la communauté juive orthodoxe. Raichik est une des principales responsables de la diffusion de propos insultants selon lesquels les personnes LGBTQ essaieraient de « groomer » les enfants ou de leur faire du mal d’une manière ou d’une autre.
D’après les sondages, les juifs américains dans leur ensemble soutiennent les droits des LGBTQ. Mais alors que les discussions sur l’égalité et la visibilité des LGBTQ occupent le devant de la scène dans les guerres culturelles aux États-Unis, même les groupes juifs qui défendent les droits des LGBTQ sont confrontés à des dilemmes quant à la manière de traduire ce soutien en actions.
Un orthodoxe local, parent d’un enfant LGBTQ, a contacté Kabakov en détresse, et a confié à la JTA qu’à la suite de la controverse, les résidents de Highland Park avaient collecté plus de 1 200 dollars pour Jewish Queer Youth, une autre organisation qui défend les juifs LGBTQ dans l’espace orthodoxe.
« Un rabbin qui affirme qu’un drapeau de la Fierté va à l’encontre des valeurs d’une synagogue envoie un message, intentionnel ou non, à ses fidèles et à ceux pour qui ce drapeau est une bouée de sauvetage », a expliqué Randi Ostrove, un parent d’élève. « C’est irresponsable et inacceptable et nous devons exiger mieux. »
Certains participants à la réunion du conseil d’arrondissement de Highland Park du 20 juin ont accusé les autorités locales de céder aux pressions religieuses, de ne pas respecter la séparation de l’Église et de l’État et de créer un environnement dangereux pour la communauté LGBTQ. L’un des intervenants a établi un lien entre la demande de la synagogue et le comportement anti-LGBTQ de la droite chrétienne.
D’autres se sont exprimés en faveur de la demande de la synagogue. L’un d’entre eux, l’avocat John Kovac, a qualifié le drapeau de la Fierté de symbole d’immodestie sexuelle contraire aux valeurs du judaïsme orthodoxe.
« Le premier amendement et les principes fondamentaux du respect d’autrui soutiennent leur droit de s’opposer aux tentatives de leur imposer ce qui a parfois été présenté comme un symbole d’immodestie », a déclaré Kovac, ajoutant que « la maire Foster a fait exactement ce qu’elle aurait dû faire confrontée à un conflit entre des électeurs de la ville. Elle a écouté et compris les deux parties et a fait de son mieux pour répondre aux besoins de chacun ».
Matthew Hersh, le président du conseil d’arrondissement, a défendu les drapeaux lors de la réunion.
« Lorsque nous parlons de fierté, nous ne parlons pas d’une religion, d’un code de croyances, d’une ethnie ou d’un milieu culturel en particulier », a-t-il déclaré. « Il s’agit avant tout de défendre une notion universelle d’acceptation et ensuite, de manière plus ciblée, de soutenir et de protéger nos amis de la communauté LGBTQ+ ».
Alors que certains habitants de Highland Park ont décrit le fossé comme une fracture entre la communauté juive orthodoxe et la communauté LGBTQ, d’autres ont mis en garde contre le fait de considérer les deux groupes comme complètement séparés. Elissa Kaplan, juive orthodoxe LGBTQ, a déclaré à la foule présente à la réunion du conseil que sa double identité faisait d’elle « un modèle et un pont potentiels » pour la communauté.
« À plusieurs reprises, mes deux communautés ont fait pression sur moi pour que j’abandonne l’autre communauté », a déclaré Kaplan, tout en insistant sur le fait que chacune d’entre elles pouvait apprendre quelque chose de l’autre. Elle espère que la controverse sur les drapeaux de la fierté mènera à « un plus grand respect mutuel » et permettra aux communautés LGBTQ et orthodoxe de devenir « des voisins bienveillants qui vivent côte à côte dans la même ville ».
Eshel a participé lundi à un rassemblement en faveur du retour des drapeaux de la fierté, organisé par le festival de musique LGBTQ qui s’est déroulé au début du mois à l’angle de la rue où se trouve la synagogue. L’événement « s’est étonnamment bien passé », a déclaré Kabakov. Elle a toutefois ajouté : « Nous nous inquiétons pour le futur des personnes LGBTQ+ orthodoxes ».
Les dirigeants orthodoxes, dit-elle, « sont à la traîne en ce qui concerne l’intégration complète de ce qui a toujours été vrai, à savoir que les personnes LGBTQ+ font partie de leurs synagogues, qu’ils en soient conscients ou non ».
De son côté, le président du groupe des étudiants Jewish Allies & Queers de l’université Rutgers, dans la ville voisine de New Brunswick, était l’un des principaux orateurs lors d’une manifestation de hissage du drapeau de la Fierté programmée lundi par la ville, dans un autre lieu. Dans un clin d’œil à cette controverse, la manifestation, à laquelle assistaient le maire, au moins un employé municipal orthodoxe et d’autres responsables locaux, avait commencé par un défilé sur l’avenue Raritan, où les drapeaux avaient été remontés en face de la synagogue.