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Le parcours du combattant pour la citoyenneté des enfants israéliens nés à l’étranger

Les enfants des Israéliens expatriés qui n'ont pas de passeport de l'État juif ne peuvent pas entrer dans le pays avec la COVID. Une plainte devant la Haute cour veut changer cela

Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

Un couple se retrouve dans le hall d'arrivée de l'aéroport Ben Gurion. (Crédit :  Miriam Alster/FLASH90)
Un couple se retrouve dans le hall d'arrivée de l'aéroport Ben Gurion. (Crédit : Miriam Alster/FLASH90)

Des milliers d’enfants israéliens vivant à l’étranger sont interdits d’entrée en Israël depuis mars 2020 parce qu’ils n’ont pas de passeport – une problématique qui devient d’autant plus pressante au vu de la fermeture des frontières décidée dans le cadre de l’apparition du nouveau variant Omicron du coronavirus.

Ces enfants sont légalement citoyens israéliens par la filiation, même s’ils sont nés à l’étranger et même si leurs parents ne les ont jamais enregistrés au sein de l’État juif. En effet, la Loi sur la nationalité, adoptée en Israël en 1952, accorde de manière automatique la nationalité israélienne aux enfants nés hors des frontières du pays s’ils ont au moins un parent Israélien. Mais, situation kafkaïenne, cette citoyenneté s’applique même si l’État n’a pas connaissance de ces citoyens nés à l’étranger et elle ne peut être définitivement obtenue que si la naissance de l’enfant a été enregistrée par les autorités israéliennes – ce qui débouche sur une impasse.

Avant le premier confinement entraîné par l’épidémie de la COVID-19, ces enfants pouvaient pénétrer sur le sol israélien grâce à un passeport étranger. Une pratique qui a pris fin de manière abrupte lorsqu’Israël a fermé ses frontières aux non-citoyens et lorsque les ambassades, à l’international, ont refusé de délivrer des autorisations pour ces enfants israéliens, demandant aux parents de faire établir des passeports israéliens à leur nom – un changement de positionnement qui a pris un grand nombre par surprise.

Selon une porte-parole de l’Autorité de la population et de l’Immigration, l’exigence d’un passeport israélien avait été, dans le passé, « mise en vigueur, mais pas de manière stricte. La COVID-19 nous a obligés à faire preuve de prudence, comme elle a obligé de la même façon de nombreux États à prendre des mesures qui n’avaient jamais été prises auparavant. »

Depuis, l’État juif a accordé de nombreuses dérogations à des étudiants non-citoyens, à des hommes d’affaires et même, par intermittence, à des touristes qui ont pu ainsi entrer sur le territoire. Le pays continue néanmoins à officiellement exclure ses propres citoyens qui ne sont pas en possession d’un passeport israélien.

Une plainte en cours, qui a été déposée par des parents impuissants, réclame l’allègement des conditions « draconiennes » et en constante évolution qui empêchent aujourd’hui leurs enfants de venir en Israël. Ces 36 familles poursuivent l’État devant la Haute cour de justice en demandant qu’il autorise l’entrée sur le territoire de leurs enfants, conformément à la politique qui était mise en place avant la crise sanitaire.

Les juges Uzi Fogelman, au centre, Yosef Elron, à gauche, et Ofer Grosskopf se préparent pour une audience à la Cour suprême de Jérusalem. (Crédit : Yonatan Sindel/FLASH90)

Les familles sont représentées par les avocats Batya Sachs et Gilad Itzhak Bar-Tal, qui ont proposé une solution simple aux magistrats.

« Nous avons suggéré, pour que les enfants puissent entrer dans le pays, de simplement introduire une déclaration signée par le parent affirmant que l’enfant est bien le sien, ce qui permettrait aux enfants concernés d’entrer sur le sol israélien en utilisant à la fois leur double nationalité et leur passeport étranger, » explique Sachs.

Sachs explique que la cour reconnaît ces enfants en tant que citoyens israéliens et ajoute : « le tribunal a décidé que le gouvernement devait réexaminer sa politique » concernant l’entrée de ces enfants nés à l’étranger dans le pays. Le réponse du gouvernement est encore en suspens.

Cet automne, le gouvernement a offert une unique dérogation, permettant aux familles concernées d’amener leurs enfants en Israël en échange de la promesse d’effectuer la procédure d’enregistrement dans les soixante jours suivant la date de leur retour d’Israël. Mais les familles estiment que ce délai est insuffisant face à l’abondance de documents à enregistrer et qu’il ne résoudra donc pas la problématique même de l’enregistrement.

Selon eux, les exigences israéliennes pour effectuer cette démarche sont outrageusement pesantes, voire parfois absurdes. Pour apporter la preuve de la filiation, les familles doivent présenter à l’État non seulement les certificats de naissance et la preuve de la relation entretenue par les parents, mais aussi toutes sortes de dossiers médicaux personnels prouvant que leurs enfants sont leurs enfants biologiques – échographies, tests sanguins prouvant la grossesse, courrier signé par l’obstétricien ayant procédé à l’accouchement et document de décharge de l’hôpital. Ils doivent ensuite se présenter en personne dans l’une des missions israéliennes de l’étranger.

Michal, Daphne, Lilly et Yair Zaslavsky à Los Angeles, suite à une visite récente à l’ambassade australienne. (Autorisation : Yair Zaslavsky)

« Quand nous avons déménagé [d’Australie vers les États-Unis], nous n’avons pas pris avec nous tous ces documents médicaux sur les tests de grossesse et autres. Ça y est, elle était née, pourquoi en aurions-nous eu besoin ? », s’exclame Yair Zaslavsky, l’un des parents à l’origine de la plainte.

Zaslavsky est le père de Daphne, sept ans, née à Melbourne après le départ de ses parents d’Israël.

Il tente actuellement d’obtenir à Melbourne – depuis de longs mois – le certificat de naissance de Daphne et les dossiers médicaux nécessaires pour l’enregistrement de sa fille. La démarche a été rendue d’autant plus compliquée par les confinements mis en œuvre en Australie dans le cadre de la pandémie de COVID-19. Une fois qu’il sera en possession des documents nécessaires, il pourra prendre rendez-vous au consulat israélien le plus proche qui se situe à 1 300 kilomètres de son domicile de Maple Valley, dans l’État de Washington.

« Daphne viendra avec nous au rendez-vous, ce qui va être intéressant parce qu’en plus de tout ça, elle est autiste et nous ignorons comment elle va se comporter pendant l’entretien. Et seulement après, on pourra avoir un passeport », dit-il.

Une porte-parole de l’Autorité de la Population et de l’Immigration indique que « nous recommandons à ces Israéliens concernés de se conformer à la loi immédiatement après la naissance d’un enfant, et de le faire enregistrer sans délai. Cela facilitera les choses pour eux, dans la mesure où à la naissance de l’enfant, les parents ont encore en leur possession les documents réclamés ».

Cette obligation de produire des dossiers médicaux paraît invasive à certains parents, qui s’interrogent sur les motivations de l’État.

« J’ai ressenti une pression. J’ai ressenti une intrusion. Je me suis dit que ce n’était pas normal. Et ces échographies et tout le reste, je ne comprends pas – est-ce qu’on doit prouver que nos enfants sont Juifs ou qu’ils ne le sont pas ? », s’exclame Aviva M., qui vit à Boca Raton en Floride, dont la fille n’est pas encore enregistrée au sein de l’État juif et qui refuse de donner son nom par crainte d’éventuelles conséquences pour les propos qu’elle tient. Son mari est Américain.

Nimrod Erez, à gauche, Katrin Osmialowski, à droite, et leur fille Elah, en séjour en Israël avant la pandémie. (Autorisation : Nimrod Erez)

Nimrod Erez, qui vit avec son épouse d’origine allemande et leur fille de douze ans à Los Angeles, coordonne l’initiative judiciaire qui a été prise au nom des familles qui défient aujourd’hui le gouvernement israélien. Erez et son épouse ont pris la décision de ne pas enregistrer Elah, leur fille, pour des raisons idéologiques.

« Même si je ne souhaite pas qu’Elah devienne citoyenne israélienne, je veux qu’elle entretienne un lien profond avec Israël – et ce genre de lien ne peut se construire que si elle peut s’y rendre », explique Erez.

Jusqu’à la pandémie, la famille se rendait tous les ans au sein de l’État juif où vivent un grand nombre de leurs proches.

Ils ont en partie porté plainte parce qu’ils ont eu le sentiment que les autorités israéliennes restaient insensibles face à cette problématique. Si Elah n’est pas Israélienne, elle a pu entrer sans difficulté dans le pays en tant que touriste pendant les périodes sans confinement. Mais parce que l’État la considère comme Israélienne, elle est soumise à l’exigence du passeport.

« Lorsque nous avons approché la première fois l’Autorité de la population, la réponse a été : ‘Eh bien, nous sommes désolés mais c’est votre problème. Il n’y a rien que nous puissions faire et nous ne ferons rien’. Et ils ont littéralement dit à une femme que son époux, né à l’étranger, aurait dû connaître la loi israélienne avant de se marier et d’avoir des enfants ».

En plus de porter le poids de la politique israélienne mise en place sur la famille et de la bureaucratie nécessaire pour répondre aux exigences des autorités, Erez dit que les demandes de l’État sont parfois changeantes, ce qui complique la mise en conformité des familles.

« Depuis le mois d’avril, il n’y a rien eu de clair sur ce qui rend finalement possible un voyage en Israël aux côtés des enfants. Les règlementations et les directives changent constamment et elles sont contradictoires », note-t-il.

Israël a récemment encouragé officieusement les parents à maintenir le statut de touriste de leurs enfants.

Batya Sachs, l’avocate, dit que le gouvernement lui-même a laissé entendre que les familles devaient utiliser la pratique initiale consistant à faire entrer les enfants grâce à un passeport étranger.

Selon Sachs, « nous avons eu, le 31 octobre, une notification du gouvernement – et même s’il ne dit pas les choses spécifiquement, il déclare, en gros, qu’Israël a rouvert ses portes aux touristes et que, pour les enfants qui ont été vaccinés, il est donc possible d’entrer dans le pays en tant que touriste. Le gouvernement ne dit pas cela de cette manière – il emploie un grand nombre de formules – mais c’est ce que nous avons compris ».

Adina F., Israélienne vivant à Washington, mère d’une petite américaine qui n’a pas été enregistrée au sein de l’État juif – elle a préféré ne pas donner son nom de famille pour cette raison – a reçu les mêmes instructions de la part de l’ambassade de Washington et elle a déjà testé avec succès cette solution.

« A un moment, le représentant de l’ambassade m’a dit : ‘Si votre fille est vaccinée, suivez ces instructions et tout ira bien. Et elle n’a pas besoin de permis », raconte-t-elle.

La fille d’Adina est entrée en Israël, la semaine dernière, en présentant son seul passeport étranger.

Mais l’apparition du variant Omicron – la souche la plus récente du coronavirus qui présente le plus grand nombre de mutations à ce jour – remet assurément en cause cette solution, l’État juif ayant interdit, depuis dimanche soir, l’entrée sur le territoire des ressortissants étrangers pour une période d’au moins deux semaines.

Une plainte antérieure contre les conditions d’enregistrement de ces enfants dans le pays, qui avait été déposée devant la Cour suprême par un père dont la fille, résidente aux États-Unis, n’avait pas pu entrer au sein de l’État juif pour lui rendre visite pendant l’été 2020, n’aura pas fait jurisprudence – ce qui aurait permis à d’autres enfants de pénétrer sur le territoire israélien.

L’Autorité de la Population et de l’Immigration indique avoir reçu des centaines d’appels depuis le début de la pandémie sur cette problématique mais le nombre de familles concernées s’élève probablement à des milliers. Un groupe populaire, sur Facebook, qui accueille les parents qui tentent de faire venir dans le pays leurs enfants privés de passeport israélien compte environ 6 000 membres et avec près d’un million d’Israéliens expatriés, le nombre des familles touchées pourrait bien être largement supérieur.

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