Le père d’un otage trouve un bref répit en cuisinant des repas pour les autres familles
Dani Miran, père de l'otage Omri Miran, ne vit plus chez lui depuis le 7 octobre : "La plupart du temps, tout semble noir, et si je peux hacher et faire rissoler un peu, je me sens mieux"
Dani Miran est derrière une longue table. Il verse de la sauce tomate sur de la pâte à pizza, puis il saupoudre le fromage d’oignons épicés au curcuma.
« Je mets aussi de la menthe dans ma sauce et j’ajoute également du basilic et de l’origan », explique-t-il. « Mais ce que les gens adorent, ce sont les oignons au curcuma ».
Ce n’est pas la première fois que Miran prépare le dîner dans les bureaux du Forum des Familles d’otages et de portés-disparus à Tel Aviv. Il l’a fait environ une fois par semaine depuis 14 mois – depuis que son fils, Omri Miran, qui est âgé de 46 ans, a été pris en otage alors qu’il se trouvait dans son habitation du kibboutz Nahal Oz, le 7 octobre 2023.
Miran a été emmené dans sa propre voiture à Gaza par les terroristes qui l’ont sorti de son domicile – laissant derrière lui son épouse Lishai, 38 ans, et leurs deux petites filles. Il a été au cœur d’une vidéo de propagande qui avait été diffusée par le Hamas en date du 24 avril, avec une barbe épaisse qui lui couvrait le visage.
De même, Dani Miran ne s’est pas rasé depuis que son fils a été enlevé. Ce père, qui aura 80 ans dans quelques mois, a choisi de quitter son domicile situé au moshav Yesud HaMaala, une communauté du nord d’Israël, au mois de décembre dernier et il s’est installé dans un hôtel de Tel Aviv, au bas de la rue qui accueille les locaux du Forum des Familles d’otages où il se rend longuement presque chaque jour.
« C’est chez moi », dit-il.
« Chez moi, c’est là-bas et sur la place aussi », précise-t-il, faisant référence à la dite Place des Otages qui se trouve devant le musée d’art de Tel Aviv. « Je vais là-bas pour parler aux groupes, pour leur parler d’Omri ».
Et une fois par semaine, il s’occupe du dîner – et c’est le cas en cette soirée de mardi. Il en profite pour discuter avec les autres parents de captifs, comme Gilad et Nitza Korngold, les parents de Tal Shoham; Shelly Shem Tov, dont le fils Omer Shem Tov a été enlevé alors qu’il se trouvait au festival de musique électronique Nova ou comme Michel Illouz, dont le fils Guy a été blessé lors du pogrom – il a ensuite été emmené au sein de l’enclave côtière où il est mort aux côtés d’une ex-otage Maya Regev.
« Cuisiner m’aide à apporter de l’amour aux autres », déclare Miran tout en conversant avec ses amis. « La majorité du temps, tout semble noir et si je peux hacher ou faire rissoler un peu, je me sens mieux ».
Depuis qu’Omri a été capturé, Miran, comme de nombreuses autres familles d’otages, appelle à la finalisation d’un accord qui ouvrirait la voie à la remise en liberté de leurs êtres chers. Il prend régulièrement la parole lors des rassemblements hebdomadaires en faveur des captifs qui ont lieu sur tout le territoire israélien, le samedi dans la soirée.
A l’inverse, ses deux autres fils mènent des activités au sein du Forum Tikva – une organisation de taille plus modeste qui réunit les proches d’otages qui, de leur côté, ne croient pas aux vertus de la conclusion d’un accord négocié pour le moment, affirmant qu’Israël doit renforcer encore la pression militaire sur le Hamas et ne pas finaliser d’arrangement qui ne comprendrait pas la libération immédiate de tous les captifs (en opposition à des remises en liberté par phases).
« Nous sommes un père et deux fils qui nous adorons les uns les autres mais qui sommes fondamentalement en désaccord », s’exclame Miran.
« On dit que le Premier ministre Benjamin Netanyahu supporte mal les opinions différentes mais la réalité, c’est qu’on peut tout à fait rester amis et s’écouter même si on est en désaccord », explique-t-il. « Bibi ne s’entendait pas avec [le ministre de la Défense récemment limogé Yoav] Gallant. Ce qui se passe dans ce pays depuis des années, c’est que si un responsable a le malheur d’être en désaccord avec Bibi, il perd son travail et son poste et c’est terminé. C’est ce qui est arrivé avec Gallant ».
« Au final, il ne reste que des bénis-oui-oui », ajoute-t-il.
Les soirées que passe Miran à faire la cuisine aux familles et aux employés du Forum, pendant la semaine, ont donné un moyen au père éploré de montrer son affection à ces derniers – et aussi d’apaiser la colère qu’il dit ressentir en permanence.
Il considère les autres familles comme un prolongement de la sienne – ce sont des personnes qui comprennent pleinement la situation très difficile qu’il est en train de vivre, dans la mesure où elles sont habitées par la même détresse.
« Je peux faire des plats un petit peu meilleur que ce qui est habituellement servi ici », dit Miran, faisant référence au mélange de plats préparés ou faits maison qui sont proposés dans la cafétéria de l’immeuble aux proches des captifs et aux employés du Forum. « Je fais donc quelque chose de susceptible de les gâter un peu ».
Miran a commencé à proposer ses repas faits maison il y a environ un an – mais les débuts ont été compliqués. Il se souvient avoir voulu préparer de la shakshuka pour le dîner mais qu’il a fallu trop de temps pour faire dorer les oignons sur l’unique brûleur de la cuisine de la cafétéria.
« J’ai mis les oignons à dorer à huit heures du matin et ils ont été peut-être prêts à 19 heures », plaisante Miran.
Le propriétaire du restaurant qui se trouve juste en face du siège du Forum des familles d’otages et de portés-disparus, le Dubnov 8, a finalement généreusement offert l’usage de sa cuisine, disant à ses employés « de donner à cet homme tout ce dont il a besoin », raconte Miran.
Depuis, Miran et l’un des employés du Forum passent une journée par semaine à acheter les ingrédients nécessaires à leur repas, puis à faire la cuisine dans le restaurant.
Miran explique qu’il a appris la cuisine lorsqu’il a perdu son épouse, il y a 33 ans. Il voulait offrir à ses fils les repas que sa mère leur préparait avec amour.
« Les garçons avaient besoin de continuer à manger la cuisine de leur mère et c’est là que j’ai commencé à cuisiner – et je leur préparais en permanence les mêmes plats, ces plats qui leur rappelaient leur mère », indique Miran.
Depuis qu’Omri a été emmené en captivité, les repas de famille sont difficiles. Lishai et ses deux petites filles vivent à Kramim, une communauté du sud du pays. Miran leur rend visite, le week-end.
Et quand Miran voit ses autres fils, ils mangent au restaurant ou chez l’un de ses neveux.
« C’est ce qu’on a pour l’instant », dit-il.
Ses fils ont grandi à Yesud HaMaala, l’une des plus anciennes communautés agricoles d’Israël qui avait été établie en 1883 aux abords de la vallée de Hula. Omri était parti vivre à Nahal Oz il y a douze ans après avoir rencontré et épousé Lishai. Il y était thérapeute – spécialisé dans le shiatsu – et il était jardinier au sein du kibboutz.
Jusqu’au 7 octobre, la famille se retrouvait régulièrement chez Dani, dans la maison où ses fils avaient passé leur enfance. Omri, son épouse et ses enfants faisaient ce long voyage vers le nord du pays toutes les deux semaines environ.
« C’est là qu’ils ont grandi en mangeant des schnitzel et des ptitim, des kubbeh farcis et mes oignons au curcuma », explique Miran, qui a quatre petits-enfants. Ma compagne me dit : ‘Mais pourquoi cuisines-tu toujours la même chose ?’ et je lui réponds : ‘C’est ça qu’ils veulent manger, c’est ce qui leur fait penser à la maison ».
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