Le président allemand met en garde contre la marginalisation des ONG
Sans mentionner Breaking the Silence, Frank-Walter Steinmeier affirme que la démocratie est capable d'autocritique, à l'inverse des autocrates
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le président allemand Frank-Walter Steinmeier a prononcé dimanche un discours subtil mais dur pour réprimander le Premier ministre Benjamin Netanyahu sur son refus de rencontrer des dignitaires étrangers qui s’entretiendraient avec le groupe Breaking the Silence.
Steinmeier s’est adressé aux étudiants et aux personnes présentes à l’Université hébraïque de Jérusalem, et a défendu son ministre des Affaires étrangères qui a décidé de rencontrer le groupe, fervent détracteur des activités d’Israël en Cisjordanie, bien que cela lui ait coûté une rencontre avec Netanyahu.
« Parlons honnêtement des défis de la démocratie, et sans tabous. Des années d’expérience en politique, et pas seulement en politique étrangère, m’ont appris que les tabous ne vous aident pas à comprendre, et ne permettent pas de comprendre, a-t-il déclaré. Parce que l’Allemagne connait et admire la diversité de la démocratie israélienne, nous voulons aborder la question avec autant d’associations que possible, afin d’obtenir autant d’approches que possibles, comme nous le faisons depuis des décennies, en toute bonne foi. »
Steinmeier s’était entretenu plus tôt dans la journée avec Netanyahu durant une conférence de presse conjointe et a parlé de « survivre » à un ouragan diplomatique causé par un désaccord entre le Premier ministre israélien et le ministre allemand des Affaires étrangères.
Le mois dernier, Netanyahu avait annulé en dernière minute un entretien avec Sigmar Gabriel, le ministre allemand des Affaires étrangères, suite à son refus d’annuler sa rencontre avec Breaking the Silence. Sans évoquer l’organisation de gauche, qui répertorie des accusations de violations présumées des droits de l’Homme par des soldats israéliens, Steinmeier a déclaré que les dirigeants des sociétés démocratiques doivent prouver aux autocrates et aux totalitaristes du monde qu’ils ont tort.

« Pourquoi est-ce que je pense cela ? Parce que la démocratie est capable d’auto-critique, et surtout d’auto-correction. Ce n’est pas le cas des autocrates », a déclaré Steinmeier aux étudiants, en allemand. « La démocratie est la seule forme de gouvernement qui intègre un maximum de personnes de la société, qui inspecte ceux qui sont au pouvoir, qui reconnait ses erreurs comme telles, et qui permet d’embarquer vers de nouvelles voies. »
En parlant de Breaking the Silence sans les mentionner, Steinmeier a affirmé que ceux qui critiquent la nation ne sont pas des traitres, mais plutôt des « conservateurs » de la nation.
« Pour cette raison, je pense que les organisations de la société civile qui font partie du débat social méritent notre respect, en tant que démocrates, même quand ils ont une approche critique du gouvernement, en Allemagne, mais également ici en Israël », a-t-il dit.
Le président allemand a ajouté qu’il avait beaucoup réfléchi au scandale qui a entouré l’annulation de la rencontre en Gabriel et Netanyahu, ajoutant qu’il avait été encouragé à reporter, voire annuler son déplacement en Israël suite à cela.

Certains ont craint que Steinmeier ne rencontre tout de même Breaking the Silence durant son séjour à Jérusalem, ce qui aurait accentué la querelle diplomatique, mais le président a assuré qu’il était plus important de préserver les liens bilatéraux, en dépit des divergences.
« Peut-être qu’annuler aurait été la solution de facilité. Mais j’en ai décidé autrement, a-t-il dit aux étudiants. Non pas parce que j’approuve la décision de votre Premier ministre, qui a annulé sa rencontre avec le ministre allemand des Affaires étrangères, mais parce que je pense que cela aurait été indigne de mes responsabilités de laisser les relations entre nos deux pays s’enfoncer dans une impasse. À terme, les deux parties auraient beaucoup perdu. »
Israël et l’Allemagne sont « liés par un passé terrible », a ajouté Steinmeier, qui s’est rendu au musée de Yad Vashem plus tôt dans la journée. « Les liens qui unissent l’Allemagne et Israël seront toujours spéciaux. C’est quelque chose que nous ne devons pas oublier, particulièrement quand les choses sont difficiles et qu’un vent violent souffle. »
Il ajouté, dans ce qui ressemblait à une allusion à Breaking the Silence : « Quoi qu’il se passe, il ne doit jamais y avoir de silence entre l’Allemagne et Israël. »

Steinmeier, qui est devenu président en mars, avait déclaré qu’il aurait été lâche de sa part de ne pas venir en Israël en raison de la querelle autour de Breaking the Silence. « Se parler directement est parfois plus difficile que ne pas parler du tout, a-t-il dit. Effacer les colères, éclaircir les quiproquos, reconstruire la confiance, tout cela ne peut être fait sans dialogue. C’est pourquoi, chercher l’échange vaut mieux que l’éviter. »
Il a jouté qu’en tant que président allemand, il n’était pas de son ressort de donner des conseils à Israël sur la façon de « gérer » sa démocratie. « Je peux seulement dire que j’admire la démocratie israélienne pour la façon dont elle a défié la menace extérieure depuis des dizaines d’années grâce à la fierté qu’elle tire de sa diversité. Et c’est pourquoi j’ai confiance qu’il préservera aussi sa diversité interne. »
Dans un long discours sur les relations germano-israéliennes et sur la démocratie dans les deux pays, Steinmeier a également réaffirmé l’opposition de Berlin à « l’activité d’implantation illégale » et a soutenu la solution à deux États, qu’il considère comme la seule façon de garantir qu’Israël reste un État juif et démocratique.
« C’est précisément parce que nous avons un œil sur la démocratie, que l’Allemagne préconise la solution à deux États, a-t-il affirmé. Si l’on se projette quelques années en avant, seule une solution à deux États garantira à Israël un futur en tant qu’État juif et démocratique. Et c’est ce que l’Allemagne soutient. »
Il a également annoncé la création d’un prix au nom du défunt neuvième président d’Israël, Shimon Peres. « Avec le prix Shimon Peres, nous honorerons les jeunes Allemands et Israéliens, qui travaillent sur des questions pertinentes pour nos deux pays, qu’il s’agisse de paix, de changements démographiques, de climat ou de numérisation. »