Israël en guerre - Jour 427

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Pourquoi Netanyahu a-t-il snobé le ministre allemand des Affaires étrangères ?

Le Premier ministre a ignoré un politicien en déclin d’un pays dont la plupart des Israéliens pensent qu’il a peu de droit à apprendre la démocratie aux Juifs lors d'une rencontre avec un groupe marginal majoritairement méprisé

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères, peu avant sa rencontre avec le président Reuven Rivlin à Jérusalem, le 25 avril 2017. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Sigmar Gabriel, ministre allemand des Affaires étrangères, peu avant sa rencontre avec le président Reuven Rivlin à Jérusalem, le 25 avril 2017. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Quand l’on essaie de comprendre ce qui a poussé le Premier ministre Benjamin Netanyahu à annuler son rendez-vous avec Sigmar Gabriel parce que le ministre allemand des Affaires étrangères devait rencontrer une association de gauche, il est facile de se rappeler le vieil adage d’Henry Kissinger : « Israël n’a pas de politique étrangère, il n’a qu’une politique intérieure. »

Mais l’histoire de comment un important ministre d’un pays ami a été déclaré persona non grata dans les bureaux du Premier ministre a aussi des dimensions internationales. Netanyahu a évidemment voulu marquer des points auprès de sa base de droite, mais lui et ses conseillers savaient aussi que cette décision pourrait avoir de profondes répercussions, bien au-delà des frontières d’Israël. Après avoir pesé le pour et le contre, il a néanmoins décidé de boycotter le ministre des Affaires étrangères d’un pays avec lequel l’Etat juif a la relation la plus sensible de toute. A-t-il bien fait ses calculs ?

La saga a commencé quand le bureau de Netanyahu a présenté un ultimatum à Gabriel avant sa première visite en Israël en tant que ministre des Affaires étrangères : soit il annulait sa rencontre avec Breaking the Silence, soit son rendez-vous avec le Premier ministre serait annulé.

Peu d’organisations sont plus méprisées par la droite israélienne, et par beaucoup qui ne sont pas à droite, que Breaking the Silence, celle-ci publie des témoignages anonymes racontant des violations présumées des droits de l’Homme commises par des soldats israéliens.

Par conséquent, la décision de punir Gabriel pour sa rencontre avec la direction de l’association a bien marché auprès de sa base politique, et lui a même attiré de rares félicitations de certains de ses rivaux politiques. Même l’opposition ne s’est pas précipitée avec son enthousiasme habituel pour l’accuser de détruire les relations diplomatiques d’Israël en snobant le ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier d’Angela Merkel.

Quelques jours après que Netanyahu et son parti, le Likud, ont été vivement critiqués pour leur comportement grossier envers des familles endeuillées, et moins d’une semaine avant Yom HaZikaron, la journée de commémoration des soldats morts au combats, en effet, l’insistance du ministre allemand à rencontrer l’impopulaire association a pu être vue comme un cadeau du ciel par Netanyahu. C’était l’opportunité parfaite de se présenter comme le protecteur sans crainte des combattants d’Israël et de leur réputation, un Premier ministre prêt à les défendre même si cela entraînait de snober un ministre allemand.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu pendant la réunion du cabinet dans ses bureaux, à Jérusalem, le 19 février 2017. (Crédit : Dan Balilty/Pool/AFP)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu pendant la réunion du cabinet dans ses bureaux, à Jérusalem, le 19 février 2017. (Crédit : Dan Balilty/Pool/AFP)

L’homologue britannique de Gabriel, Boris Johnson, a rencontré La Paix Maintenant pendant une visite en Israël, et l’envoyé spécial du président américain Donald Trump, Jason Greenblatt, a passé plusieurs heures avec des associations palestiniennes qui ont la même opinion négative des politiques israéliennes en Cisjordanie. Aucun d’entre eux n’a été boycotté par Netanyahu. Le Premier ministre a déterminé que Breaking the Silence appartenait à une autre catégorie, parce qu’elle cible les soldats israéliens.

Tzipi Hotovely, la vice-ministre des Affaires étrangères, n’a pas hésité à qualifier l’association d’ « ennemi » d’Israël, pire que les autres groupes pro-palestiniens puisqu’elle veut que les soldats israéliens soient jugés pour crimes de guerre par la Cour pénale internationale de La Haye.

« La politique du Premier ministre Netanyahu est ne pas rencontrer les visiteurs étrangers qui, pendant un voyage diplomatique en Israël, rencontrent des associations qui diffament les soldats israéliens et les font passer pour des criminels de guerre, a déclaré son bureau mardi soir. Les diplomates peuvent rencontrer des représentants de la société civile mais le Premier ministre Netanyahu ne rencontrera pas ceux qui donnent une légitimité aux organisations qui appellent à la criminalisation des soldats israéliens. »

Les politiciens israéliens y pensent néanmoins à deux fois avant de dicter aux dirigeants en visite d’états amis quelles associations ils peuvent et ne peuvent pas rencontrer. Breaking the Silence est après tout une organisation légale, pas un groupe terroriste interdit.

Critiquer Berlin

L’intérêt de politique intérieure était évident. Mais pourquoi Netanyahu pense-t-il qu’il est sage de contrarier le ministre allemand des Affaires étrangères pour des discussions avec une association marginale, dont peu de personnes en Europe ont entendu parler ?

D’une part, il semble avoir calculé que les conséquences seraient négligeables. Après tout, quelle mesure punitive Berlin pourrait-il prendre ? Les regrets de Merkel sont un prix que Netanyahu est prêt à payer.

En hommage aux victimes de l'attentat au camion bélier de Jérusalem, le drapeau israélien a été projeté sur la porte de Brandebourg de Berlin le 9 janvier 2017. (Crédit : Michael Kappeler/dpa/AFP)
En hommage aux victimes de l’attentat au camion bélier de Jérusalem, le drapeau israélien a été projeté sur la porte de Brandebourg de Berlin le 9 janvier 2017. (Crédit : Michael Kappeler/dpa/AFP)

A cause de sa sombre histoire, l’Allemagne a juré fidélité au peuple juif, et a déclaré que son soutien à Israël était sacrosaint. Netanyahu savait que l’Allemagne réagirait probablement à l’affront en tendant publiquement l’autre joue. Et c’est ce qu’elle a fait. Tout en affirmant qu’Israël penserait que « nous sommes fous » si l’Allemagne traitait un dirigeant israélien en visite de la même manière, Gabriel a aussi déclaré, quelques minutes après l’annulation de son invitation, que tout cet épisode n’était « pas une catastrophe », et promis que cela ne changerait rien aux relations entre Berlin et Jérusalem.

En privé, les relations entre Berlin et Jérusalem sont tendues depuis des années. Merkel est de plus en plus lassée de Netanyahu, particulièrement quand il s’agit de l’entreprise d’implantation toujours croissante en Cisjordanie. C’est à peine un secret qu’elle a annulé des consultations gouvernementales israélo-allemandes prévues le 10 mai non pas, comme elle l’a publiquement déclaré, parce qu’elle était trop occupée à préparer les élections de septembre – elle a trouvé le temps d’accueillir le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas le mois dernier – mais parce qu’elle était irritée de l’adoption par la Knesset de la loi de légalisation rétroactive des avant-postes illégaux de Cisjordanie.

Avec des relations bilatérales déjà mauvaises, Netanyahu a pu se demander quel mal y aurait-il à donner une gifle de plus à l’Allemagne ?

Gabriel, fils d’un nazi impénitent et négationniste, qu’il a désavoué, Gabriel a irrité les Israéliens en 2012 quand il les a accusés d’imposer un « régime d’apartheid » à Hébron. Il a aussi rendu les Iraniens furieux quand il a insisté pour qu’ils reconnaissent le droit d’Israël à exister avant toute normalisation des relations entre Berlin et Téhéran. Ironiquement, il a été snobé par le président du parlement iranien pour avoir émis cette demande.

En Allemagne, son aura politique semble faiblir. Alors que l’on attendait autrefois qu’il devienne le nominé du parti social démocrate pour défier le CDU de Merkel dans les élections de cette année, il a été dépassé par Martin Schulz. Depuis que Schulz a été nommé à la tête du parti et comme candidat à la chancellerie, le parti est monté dans les sondages, alimentant les rumeurs de départ de Gabriel de la vie politique après les élections.

Yuli Novak, directrice exécutive de Breaking the Silence, pendant une conférence de presse à Tel Aviv, le 5 février 2016. (Crédit : Jack Guez/AFP)
Yuli Novak, directrice exécutive de Breaking the Silence, pendant une conférence de presse à Tel Aviv, le 5 février 2016. (Crédit : Jack Guez/AFP)

Alors, même si Gabriel devait être touché personnellement, Netanyahu a pu conclure qu’il avait peu à perdre et beaucoup à gagner un vexant un politicien en déclin d’un pays dont la plupart des Israéliens pensent qu’il a peu de droit à apprendre la démocratie aux Juifs.

« Nos relations avec l’Allemagne sont fortes et importantes, et continueront de même », a déclaré Netanyahu, confiant, mardi soir, quasiment au moment même où Gabriel rencontrait à Herzliya les directeurs de Breaking the Silence et d’une autre association de gauche, B’Tselem.

Le côté obscur

Le Premier ministre a aussi clairement voulu transmettre un message aux autres dirigeants internationaux venant à Jérusalem : si vous légitimez Breaking the Silence, vous ne serez pas les bienvenus dans mon bureau. Le boycott de Gabriel pourrait faire penser à deux fois le prochain dirigeant en visite en Israël avant qu’il ne prévoit les mêmes rendez-vous que le ministre allemand.

Néanmoins, en déclarant qu’une rencontre avec Breaking the Silence était si scandaleuse qu’elle méritait une vexation, le Premier ministre a aussi accordé au groupe marginal une importance politique sans précédent.

Il a aussi renforcé l’impression que son gouvernement accroît sa répression des associations pro-palestiniennes : ce qui a commencé par différents projets de loi visant à rendre plus difficile pour certaines ONG d’effectuer leur travail s’étend à présent à des pressions sur des dignitaires étrangers pour qu’ils évitent de contacter les associations que Netanyahu désapprouve.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) et la chancelière allemande Angela Merkel pendant une conférence de presse commune à Berlin; le 21 octobre 2015. (Crédit : Tobias Schwarz/AFP)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à gauche) et la chancelière allemande Angela Merkel pendant une conférence de presse commune à Berlin; le 21 octobre 2015. (Crédit : Tobias Schwarz/AFP)

« Il pourrait être appelé Vladimir Tayyip Netanyahu », a écrit mercredi un célèbre éditorialiste allemand, dans une comparaison peu flatteuse avec les dirigeants de deux régimes de plus en plus autocratiques.

Il n’y a pas que les antisémites et ceux qui détestent Israël en Allemagne qui ont critiqué la décision de Netanyahu. Des politiciens de gauche comme de droite, dont certains fervents soutiens d’Israël, ont fustigé l’ultimatum, et rendu hommage à Gabriel pour n’y avoir pas cédé.

« Interdire les conversations n’est vraiment pas possible », a déclaré le député Volker Beck, qui dirige le groupe d’amitié parlementaire Allemagne – Israël. Même s’il a appelé Berlin à enquêter pour savoir si cet épisode aurait pu être évité en rencontrant d’autres associations, Beck a dit qu’il espérait que Jérusalem réalise que l’existence d’associations comme Breaking the Silence prouve l’affirmation israélienne d’être la seule démocratie du Moyen Orient.

« Un échange avec toute la largeur de la société civile israélienne devrait évidemment rester un sujet pour les futures visite en Israël. On ne parle pas seulement aux personnes dont on partage les opinions », a déclaré Beck, membre des Verts, parti d’opposition.

Le député allemand Volker Beck. (Crédit : Mathias Schindler/CC BY-SA/Wikipedia)
Le député allemand Volker Beck. (Crédit : Mathias Schindler/CC BY-SA/Wikipedia)

Interdire les discussions avec des organisations de la société civile est très inhabituel et profondément regrettable, a dit le député Norbert Röttgen, ancien ministre du parti de centre droit de Merkel. « J’espère que c’était une erreur qui ne se répétera pas. »

Mais Netanyahu ne considère pas que son action soit une gaffe faite à chaud ou un mauvais calcul diplomatique qu’il ne répétera pas. Affirmant une croyance ferme dans la puissance diplomatique croissante d’Israël, particulièrement à l’ère Trump, il a déclaré mardi soir que « je mène les relations étrangères d’Israël avec une croissance sans précédent. Mais je le fais sur la base d’une politique nationale fière et assurée, pas par faiblesse et avec la tête baissée. »

Quelques heures plus tard, pendant un évènement organisé au ministère des Affaires étrangères à Jérusalem, il a ajouté qu’Israël était « considéré comme une puissance mondiale montante ».

Il pense qu’Israël est de plus en plus indispensable pour ses alliés et ses alliés potentiels dans le monde entier, notamment grâce à l’importance critique des savoir-faire d’Israël dans la high-tech et le contreterrorisme. Ceci aide à expliquer les sévères mesures punitives que Netanyahu a prises contre les Nations unies et les pays qui ont présenté une résolution anti-implantation en décembre au Conseil de sécurité, et ceci a entraîné le boycott de Gabriel.

A-t-il aussi mis sur la touche une association qui, selon Netanyahu, « cherche à faire juger nos soldats comme des criminels de guerre » ? Ou a-t-il isolé Israël encore plus qu’un groupe marginal comme Breaking the Silence n’aurait jamais pu le faire ? Le temps, et les programmes des dignitaires étrangers, le diront.

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