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Le regain de la communauté juive polonaise entachée par les querelles internes

Les infrastructures communautaires en expansion sont une anomalie dans une Europe frappée par l'antisémitisme mais les politiques créent une brouille entre les Juifs du pays

Le 27ème festival de culture juive à Cracovie, en Pologne, qui a eu lieu en juillet 2017, est le signe d'un regain d'intérêt pour la vie juive, 70 ans après l'Holocauste (Autorisation du festival de culture juive de Varsovie/via JTA)
Le 27ème festival de culture juive à Cracovie, en Pologne, qui a eu lieu en juillet 2017, est le signe d'un regain d'intérêt pour la vie juive, 70 ans après l'Holocauste (Autorisation du festival de culture juive de Varsovie/via JTA)

JTA — Depuis près de 30 ans, les leaders de la communauté juive polonaise se réjouissent de ce qu’ils qualifient de renaissance d’une communauté qui, importante dans le passé, avait été presque entièrement décimée durant l’Holocauste.

A de multiples occasions – inaugurations de jardin d’enfants juifs ou d’autres institutions communautaires, souvent les premières depuis le génocide – les militants fêtent des événements essentiels pour eux et qui contrastent avec les destructions qui ont précédé, avec l’oppression durant l’ère communiste ou les développements inquiétants qui surviennent partout ailleurs en Europe.

« Alors qu’il devient plus difficile d’être Juif en Europe, la Pologne va dans l’autre direction », a récemment dit dans une interview Jonathan Ornstein, du centre communautaire juif de Cracovie, l’un des acteurs les plus importants de la vie juive en Pologne. Il a invité les lecteurs à « observer cette renaissance étonnante de la vie juive ».

La Pologne, a noté Ornstein, est dotée d’une communauté juive modeste mais croissante répartie dans 15 villes et organise des douzaines de festivals juifs par an.

De plus, les marques de philosémitisme sont également réelles dans le pays, comme avec cette reconstitution étrange mais significative d’un mariage juif qui a eu lieu le mois dernier à Radzanow – et dont aucun invité n’était juif.

Des villageois polonais assistant à un faux mariage juif dans le village polonais de Radzanow, en Pologne, le 5 août 2017 (Crédit : Jonny Daniels / From the Depths)
Des villageois polonais assistant à un faux mariage juif dans le village polonais de Radzanow, en Pologne, le 5 août 2017 (Crédit : Jonny Daniels / From the Depths)

« Il est étonnant que cet héritage laissé par 3,5 millions de Juifs assassinés soit encore pertinent aujourd’hui », s’est exclamé en évoquant ce mariage Jonny Daniels, fondateur du groupe From the Depths [Depuis les profondeurs] pour la commémoration de l’Holocauste en Pologne.

Mais ces dernières semaines, ce narratif a laissé la place à des avertissements lancés par les chefs communautaires qui ont mis en garde contre un antisémitisme résurgent et potentiellement violent qui, selon eux, est toléré, sinon encouragé, par le gouvernement nationaliste depuis son arrivée au pouvoir en 2015.

En retour, d’autres Juifs polonais ont rejeté ces mises en garde, affirmant qu’elle étaient exagérées et qu’elles représentaient une attaque partisane dont le seul objectif était de nuire au gouvernement.

Ces conflits au sein de la communauté, ont estimé les observateurs, ont ouvert la porte à la tactique gouvernementale du « diviser pour mieux régner ».

Jonny Daniels danse le Foxtrot avec Alicia Schnepf, secrétaire de la Société polonaise des Justes parmi la Nation, à Varsovie, le 10 avril 2016. (Courtesy: From the Depths)
Jonny Daniels danse le Foxtrot avec Alicia Schnepf, secrétaire de la Société polonaise des Justes parmi la Nation, à Varsovie, le 10 avril 2016. (Courtesy: From the Depths)

Parmi ceux qui répètent que le parti du Droit et de la justice au pouvoir ne fait pas suffisamment pour s’attaquer à la recrudescence de l’antisémitisme, Anna Chipczynska, à la tête de la communauté juive de Varsovie, Leslaw Piszewski, président de l’Union des communautés juives polonaises, et le Congrès juif européen.

« Depuis des années, nous parlons du miracle que représente la renaissance de la vie juive en Pologne dont nous sommes tous tellement fiers », a déclaré Chipczynska à JTA. « La vie juive en Pologne est dorénavant un fait. Mais un autre fait est qu’il y a un problème de sécurité ».

Le problème, a-t-elle ajouté, ce sont les menaces croissantes de la part des cercles d’extrême-droite qui agissent en jouissant d’une impunité totale de la part du gouvernement, ce qui alimente l’inquiétude et oblige les communautés à dépenser davantage pour assurer la sécurité. Elle a noté, entre autres, l’utilisation d’une rhétorique raciste sur internet, les discours antisémites des députés et même des ministres du cabinet, ainsi que des expressions de révisionnisme de la part des historiens d’état.

Anna Chipczynska (Crédit: Andrzej Chomczyk/JTA)
Anna Chipczynska (Crédit: Andrzej Chomczyk/JTA)

Parmi de récents incidents, une déclaration du législateur Bogdan Rzonca du parti du Droit et de la justice qui a écrit sur Twitter : « Je me demande pourquoi il y a tant de Juifs parmi ceux qui pratiquent des avortements malgré l’Holocauste ».

Deux agressions menées par des hooligans sur des fans de football israéliens ont également été reconnues comme étant antisémites.

Au mois de juillet, Chipczynska a écrit avec Piszewski une lettre ouverte à l’attention de l’un des fondateurs du parti du Droit et de la Justice, Jarosław Kaczyński, protestant contre cette réalité perçue et demandant son intervention, la première initiative de ce type prise par des leaders communautaires. Le courrier a mentionné 1968 – une année où l’antisémitisme encouragé par l’état dans la Pologne communiste avait connu son apogée.

La semaine dernière, les mots utilisés par le Congrès juif européen ont encore monté d’un cran, exprimant une « préoccupation grave concernant la hausse dramatique de l’antisémitisme en Pologne ».

Dans un communiqué qui contenait certains des propos les plus virulents utilisés contre un état-membre de l’UE depuis des années, le président du Congrès juif européen, Moshe Kantor, a ajouté que le gouvernement a « fermé ses canaux de communications avec les représentants de la communauté juive officielle » et qu’il « incarne l’exemple d’un leadership qui semble porter peu d’intérêt » au dialogue.

Mais certains Polonais, notamment des représentants communautaires élus, ont fait part de leur désaccord face à l’expression de ces « graves » inquiétudes portant sur l’antisémitisme.

Artur Hofman, le président de l’organisation culturelle juive TSKZ, dont les 1 200 membres répartis dans 15 villes en font la plus importante organisation juive polonaise en termes d’adhésions, a rejeté les idées de recrudescence de l’antisémitisme en Pologne et d’une complaisance affichée par le gouvernement envers ce phénomène.

Pour Hofman, le courrier écrit par Chipczynska entre dans le cadre d’une « guerre politique » menée par certains Juifs polonais de gauche contre le parti au pouvoir.

Des querelles amères entre les organisations juives ne sont pas inhabituelles dans les anciens pays communistes, où les rivalités idéologiques sont souvent exacerbées par la concurrence en termes de subventions gouvernementales et de fonds de restitution. La hausse de l’antisémitisme en Hongrie, en Russie, en Lituanie et en Ukraine a alimenté des conflits similaires où les politiques compliquent la lutte contre la haine anti-juive.

De gauche à droite, le rabbin Shalom Stembler, chef du mouvement habad en Pologne ; l'acteur et réalisateur polonais Artur Hofman ; Jaroslaw Kaczynski, chef du parti Droit et justice ; Jonny Daniels, chef de l'organisation From the Depths; et le rabbin Eliezer Gurary, chef du mouvement habad à Cracovie, à la suite de leur rencontre à Varsovie, le 16 août 2017 (Autorisation : From the Depths/via JTA)
De gauche à droite, le rabbin Shalom Stembler, chef du mouvement habad en Pologne ; l’acteur et réalisateur polonais Artur Hofman ; Jaroslaw Kaczynski, chef du parti Droit et justice ; Jonny Daniels, chef de l’organisation From the Depths; et le rabbin Eliezer Gurary, chef du mouvement habad à Cracovie, à la suite de leur rencontre à Varsovie, le 16 août 2017 (Autorisation : From the Depths/via JTA)

Mais la communauté juive de Pologne avait réussi à éviter de telles divisions – au moins en public – jusqu’au début de l’année, selon Piotr Kadlcik, ancien président de la fédération des communautés juives polonaises.

« C’est triste à observer », a-t-il déploré.

Les divisions sont apparues en plein jour le 17 août lorsque Hofman, Daniels et deux rabbins du mouvement Habad ont rencontré Kaczyński, un responsable du parti au pouvoir. Kaczyński, qui a, jusqu’à présent, ignoré les demandes d’entretiens émanant d’autres leaders de la communauté, a posé pour une photo avec le groupe de Hofman deux semaines après avoir reçu la lettre d’accusation co-écrite par Chipczynska. Après cette rencontre, que Hofman a qualifiée de plaisante et de fructueuse, Hofman a défendu le gouvernement et rejeté les allégations de Chipczynska.

« Quel antisémitisme, de quoi diable sont-ils en train de parler ? », a-t-il demandé. « Dans ce pays, je peux me promener partout où je le souhaite avec ma kippa, contrairement à Berlin, Paris, Bruxelles. Je vais dans des festivals juifs en pleine rue, sans sécurité nécessaire. En France, vous avez besoin d’un bataillon de l’armée pour assurer la sécurité ».

Chipczynska, pour sa part, a rejeté toute motivation partisane lors de l’écriture de la lettre et elle a cité des chiffres qui suggèrent que les discours et les crimes de haine connaissent une nouvelle vigueur en Pologne.

Michael Schudrich, grand rabbin de Pologne. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Michael Schudrich, grand rabbin de Pologne. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Tandis que cette affirmation est soutenue par certains rapports, d’autres la mettent en doute comme le fait également le gouvernement. Les agressions physiques contre les Juifs en Pologne sont extrêmement rares. Le nombre total d’incidents antisémites enregistrés dans le pays ne dépasse pas quelques douzaines — ce qui représente une fraction des bilans qu’affichent plusieurs pays d’Europe occidentale.

La rencontre avec Kaczyński, au cours de laquelle il a affirmé que l’antisémitisme resterait un phénomène marginal, n’a guère contribué à régler le débat sur la recrudescence présumée de l’antisémitisme en Pologne. Elle a lancé en revanche une nouvelle querelle intracommunautaire portant sur le choix des personnalités juives accueillies par de hauts-responsables.

Après la rencontre avec Kaczynski, 14 associations juives polonaises ainsi que Michael Schudrich, le grand rabbin de Pologne, ont signé un communiqué disant que Hofman et les autres Juifs présents ne représentaient qu’eux-mêmes. Sergiusz Kowalski, président de la branche polonaise de l’association juive Bnai Brith, a qualifié les participants à cette rencontre de « Juifs de cour ».

Le Congrès juif européen a fait la même constatation la semaine dernière, quoique en termes plus civils.

« La tactique transparente du ‘diviser pour mieux régner’ des hauts-responsables du parti du Droit et de la justice, en cherchant à choisir des interlocuteurs juifs sélectionnés plutôt que les chefs des organisations commentaires officielles et représentatives de Pologne, nous sidère et nous rappelle des heures sombres de l’histoire européenne lorsque les gouvernements choisissaient leurs Juifs », a fait savoir le groupe.

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