« Le sens des choses » évoque une femme rabbin inspirée par Delphine Horvilleur
Sur la base des mémoires de l'une des rares femmes rabbins de France, la série dépeint les défis d'une intellectuelle qui a été une pionnière en religion comme en politique

JTA — Une jeune femme rabbin tente de guider les autres tout en se débattant avec ses propres questionnements et en faisant face à la perplexité entraînée, au sein de sa communauté, par son statut de cheffe religieuse.
Une situation propice à la comédie et au drame et qui est présentée dans la nouvelle série de HBO Max, « Le sens des choses ».
Une situation qui a été aussi un vrai chapitre de la vie de Delphine Horvilleur, la troisième femme seulement à avoir endossé le costume de rabbin en France, une intellectuelle connue pour avoir pris la tête du mouvement juif libéral du pays et pour avoir plaidé en faveur du dialogue entre musulmans et Juifs.
« Le sens des choses », une série qui a été diffusée pour la première fois vendredi, s’inspire des mémoires de Delphine Horvilleur, « Vivre avec nos morts », un livre devenu un best-seller à l’international. Cette série dramatique française a été créée par Noé Debré et Benjamin Charbit et produite par Fédération Studios.
Les scénaristes ont interviewé Delphine Horvilleur sur son travail et sa pratique en tant que rabbin, mais ils ont décidé de réaliser une série qui s’éloigne largement de son livre.
« Vivre avec nos morts », un ouvrage qui avait été initialement publié en français en 2021 avant d’être traduit en anglais en 2024, est constitué de onze essais qui sont consacrés à ces défunts qui, malgré leur disparition terrestre, vivent toujours avec Horvilleur. Il s’agit d’amis proches ou de personnalités plus connues, comme Elsa Cayat, une chroniqueuse juive qui avait été assassinée lors de l’attentat terroriste commis contre le journal satirique Charlie Hebdo en 2015, ou comme le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, qui avait été assassiné par un extrémiste de droite en 1995 à la fin d’un rassemblement auquel Horvilleur avait pris part. Ce soir-là, il avait promis la paix israélo-palestinienne.
L’héroïne de la série, Léa – interprétée par Elsa Guedj – vit dans un monde plus isolé des violences politiques et de la guerre qui empiètent sur la vie juive moderne. « Le sens des choses » débute à Strasbourg, où la jeune femme rabbin est amenée à naviguer entre les conflits à la fois émotionnels et comiques du quotidien : un couple marié qui ne parvient pas à se mettre d’accord sur la circoncision de leur enfant dans le premier épisode et un fils qui refuse une bar-mitsva parce qu’il s’inquiète du dérèglement climatique dans le deuxième. Ces membres de la communauté se tournent vers Léa pour obtenir des réponses que la jeune femme, hésitante, a du mal à fournir.
Guedj a récemment reçu le prix de la meilleure actrice dans une série française au festival Series Mania de Lille pour « Le sens des choses ».
Même si Horvilleur, au cours d’un entretien, confie que Léa est « très différente de moi », le personnage intègre pleinement ses enseignements sur l’acceptation de l’incertitude.
« Ils ont décidé de créer un personnage qui est rempli de doutes – ce qui est une bonne chose s’agissant de rappeler aux gens qu’en réalité, les certitudes sont très souvent une menace dans la question de la religion », explique Horvilleur, âgée de 50 ans et mère de trois enfants.
Jeune femme, elle a longuement réfléchi à la voie qu’elle voulait suivre. Elle s’est demandé si elle voulait être rabbin de congrégation ou écrivaine, enseignante ou philosophe juive – et elle a finalement décidé de fonder son rabbinat sur le refus de choisir entre ces différents attachements qui étaient chers à son cœur de façon égale.

« Si je peux enseigner, m’exprimer dans les médias et être présente dans la vie intellectuelle française, c’est parce que j’accompagne les gens au quotidien », dit Delphine Horvilleur. « Et vice-versa : j’ai le sentiment que mon travail de rabbin au sein de la congrégation est profondément nourri par mon engagement à l’égard de la société française ».
Si les femmes rabbins sont devenues très nombreuses aux États-Unis, elles sont encore rares en France – où le monde juif est dominé par une vision plus traditionnelle et plus conservatrice. En 2023, il n’y avait que sept femmes rabbins dans un pays qui compte environ 440 000 Juifs.
Quand Horvilleur est devenue rabbin, les femmes n’étaient pas encore ordonnées en France. Son parcours a été également atypique à d’autres égards : née à Nancy de parents qui, s’ils préservaient leur culture juive, n’étaient pas très pratiquants, elle n’avait aucunement l’intention de se tourner vers le rabbinat. Elle était partie faire des études de médecine à l’Université hébraïque d’Israël à l’âge de 17 ans – s’engageant également au sein du parti de gauche du Meretz, en faveur d’une solution à deux États dans le conflit israélo-palestinien.
Après l’assassinat de Rabin, elle était revenue en France, travaillant comme journaliste. Elle avait toutefois ramené de Jérusalem son amour pour l’interprétation des textes juifs anciens et elle avait étudié aux côtés, entre autres, du philosophe Marc-Alain Ouaknin et de l’ancien grand rabbin Gilles Bernheim.
Alors qu’en tant que femme, il lui était interdit d’étudier le Talmud en France, Horvilleur était partie pour la Drisha Yeshiva à New York avant de s’inscrire au Hebrew Union College du mouvement réformé en 2008. A son retour à Paris, son profil s’était affirmé à la tête du mouvement juif libéral de France – affilié à l’Union mondiale pour le judaïsme progressiste (World Union for Progressive Judaism) – et en tant que rabbin de la synagogue de Beaugrenelle, qui rassemble plus de 1 000 familles.
Elle est également la rédactrice en chef de Tenoua, un magazine de qualité consacré à la religion et à l’art.
Très tôt, Horvilleur a dû relever le défi de prouver sa légitimité en tant que jeune femme rabbin – une mission à laquelle Lea, dans « Le sens des choses », s’attelle également. Mais Horvilleur, une personnalité publique à la popularité croissante, a également dû repousser les attaques entraînées par ses positionnements politiques. Alors qu’elle commençait sa carrière de rabbin, elle avait déclaré au cours d’un entretien télévisé que Jérusalem ne devait pas être utilisée comme un pion politique par les États-Unis et que la ville sainte pouvait être la capitale d’un état palestinien en plus d’être la capitale israélienne. Horvilleur avait alors été victime de harcèlement de la part d’une minorité bruyante de juifs français ultra-conservateurs.
Horvilleur – qui a fait la couverture du magazine Elle début 2020 en tant que rabbin – est une libérale de longue date. Elle est mariée à Ariel Weil, économiste et maire du parti socialiste (PS) du centre de Paris, une partie de la ville qui comprend des quartiers juifs historiques.
Malgré les critiques, elle n’a jamais renoncé à remettre en question la suprématie juive en Israël. Deux semaines avant le pogrom commis par le Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, alors même qu’une foule massive d’Israéliens se rassemblait contre la tentative du Premier ministre Benjamin Netanyahu d’affaiblir le système judiciaire du pays, Horvilleur avait prononcé un sermon, à Yom Kippour, qui condamnait le gouvernement d’extrême droite d’Israël. Dans son livre de 2025, « Comment ça va pas ? », elle écrit : « Leur culte de la terre et de la suprématie religieuse est, de mon point de vue, aussi éloigné que possible de ce que la sagesse juive nous a enseignés ».
Depuis de nombreuses années, Horvilleur se présente comme une femme rabbin libérale, pro-israélienne, pro-palestinienne et pro-paix, qui cherche à construire des ponts entre les Juifs et les autres communautés. Elle reconnaît qu’après le 7 octobre, lorsque les terroristes ont pris d’assaut le sud d’Israël, massacrant plus de 1 200 personnes et prenant 251 personnes en otage dans la bande de Gaza, ce qu’elle incarne peut sembler naïf, voire parfois obsolète. En temps de guerre, observe-t-elle, « on tire toujours sur les ponts ».
La guerre au Moyen-Orient a eu un fort retentissement en France – un pays qui abrite les plus grandes communautés juive et musulmane d’Europe, et où de nombreux secteurs de la population sont indignés par la mort de dizaines de milliers de Palestiniens à Gaza.
De récents attentats terroristes islamistes qui ont visé les Juifs, en plus des discriminations anti-musulmanes institutionnalisées, compliquaient déjà le dialogue interconfessionnel en France. Mais depuis le 7 octobre, une nouvelle vague d’actes antisémites a secoué le pays. L’été dernier, à Courbevoie, trois mineurs âgés de 12 et 13 ans, dont le plus jeune serait à l’origine du viol, ont été accusés d’avoir violé une fille de 12 ans parce que juive. Plus récemment, le rabbin d’Orléans a été physiquement agressé et a essuyé des injures antijuives alors qu’il quittait rentrait chez lui avec son fils de neuf ans.
Dans ce climat délétère, de nombreux Juifs français ne veulent pas seulement des ponts, déclare Delphine Horvilleur : Ils veulent se sentir protégés en construisant des murs.

« Je ne veux pas avoir de conversation avec quelqu’un qui nie le droit de l’autre à exister », explique-t-elle. « Cela ne vaut pas seulement pour les Juifs ou pour les Israéliens, mais aussi pour les Palestiniens. Je crois que nous devons renforcer les discussions, les uns avec les autres – même avec ceux qui sont en désaccord avec nous – et ce, tant que le principe fondamental de l’échange restera que l’autre a un droit à l’existence absolu ».
Dans « Comment ça ne va pas ? », un livre qui a été écrit dans le sillage du 7 octobre, Horvilleur reconnaît que certains ont le sentiment qu’elle a amorcé un glissement vers la droite. Elle était habituée aux plaintes des ultra-conservateurs, mais elle se dit davantage blessée par les groupes de gauche qui affirment qu’elle ne défend pas suffisamment la vie des Palestiniens. Si elle tente toujours de défendre le positionnement du sionisme libéral – qui disparaît rapidement – elle s’est éloignée des appels au passage à l’acte. Invitée à plusieurs reprises à se joindre aux appels en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza, elle a évité de le faire.
La série échappe aux conversations difficiles sur qui peut exister et où, au profit d’un dialogue plus universel sur les relations familiales, le mariage ou la religion. Néanmoins, Horvilleur espère que « Le sens des choses » offrira une passerelle à part entière.
« En France, cette semaine, sort une série sur un rabbin, qui parle de la vie juive, de l’humour juif et de la culture juive », s’exclame Horvilleur. « Ce sera intéressant de voir comment les gens l’accueilleront et comment elle pourra remplir cette mission qui est de raconter la vie juive, mais qui est aussi de devenir une sorte de pont et de porte ouverte vers le monde entier. »
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