Israël en guerre - Jour 375

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Le Sentier, l’arnaque au président, au Co2, Forex et les call centers en Israël

Cinq hommes ont été condamnés pour "arnaque au président" en Israël, un pays qui attire définitivement les acteurs du crime organisé international

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Illustration d'un prisonnier derrière les barreaux (sakhorn38 / iStock via Getty images)
Illustration d'un prisonnier derrière les barreaux (sakhorn38 / iStock via Getty images)

Israël a condamné cinq hommes – deux immigrants italiens, un Américano-Israélien, un Israélien avec les nationalités française et canadienne et un citoyen arabe d’Israël – pour leur participation à ce qui est désormais connu comme « l’arnaque au président » contre des entreprises à l’étranger.

Les affaires, pour lesquelles les condamnations ont été prononcées le mois dernier, soulignent la croissance du crime organisé et l’attrait que représente Israël en tant que plaque tournante de la criminalité internationale.

Freddy Hazan, un ancien entrepreneur dans le secteur de la construction franco-canadien-israélien âgé de 50 ans, et Ben Hoffman, un nouvel immigrant israélien de 28 ans en provenance de Californie, purgeront chacun neuf mois de prison. Sami Das, 39 ans, originaire de la ville de Tira, purgera quatre mois de prison. Enzo Bondi et Yitzhak Sonino, tous deux âgés de 33 ans qui ont récemment immigré d’Italie en Israël et qui résident à Netanya, ont été condamnés chacun à six mois de service communautaire et à une amende de 30 000 shekels (7 300 euros).

Les trois premiers hommes ont été arrêtés lors d’un raid policier en novembre 2016 qui visait 15 résidents d’Ashdod et d’Ashkelon. La plupart d’entre eux étaient des francophones qui auraient dirigé un centre d’appels secret depuis un appartement résidentiel d’Ashkelon.

Parmi les personnes arrêtées figuraient les deux fils de Freddy Hazan, Patrick et David, ainsi que Simon Dov Chikli, le frère de Gilbert Chikli, un escroc franco-israélien mondialement connu qui purge actuellement une peine de prison en France après son extradition d’Ukraine.

En janvier 2017, un acte d’accusation a été déposé à l’encontre de trois des quinze personnes interpellées : Freddy Hazan, Ben Hoffman et Sami Das.

Gilbert Chikli donnant une interview depuis son domicile d’Ashdod, en Israël, le 29 décembre 2015 (publié avec l’autorisation de i24 News / via JTA)

Les trois hommes ont plaidé coupable pour fraude aggravée, conspiration en vue de commettre un crime, usurpation d’identité, faux et usage de faux, entre autres crimes. Ils ont été condamnés le 19 décembre 2017.

Selon les charges retenues contre eux, les trois hommes ont tenté d’escroquer 75 sociétés à l’étranger, pour plusieurs milliards d’euros, depuis avril 2016 et pendant 8 mois, au moyen de fausses identités.

Hoffman avait auparavant travaillé pendant un an et demi en tant qu’employé de Das, à vendre du forex et d’autres produits dans des maisons de courtage véreuses, depuis des appartements résidentiels. Pendant cette période, Hoffman avait vu d’autres employés de ces maisons de courtage exécuter des arnaques au faux PDG.

Les employés de la société recevaient de faux e-mails, qui provenaient de leurs supérieurs et qui leur faisaient virer des fonds vers les fraudeurs ; un travail qu’ils refusaient de faire eux-mêmes. Un jour, selon l’acte d’accusation, Das avait demandé à Hoffman de procéder à l’escroquerie, et ce dernier avait accepté.

Peu après, Hoffman a fait la connaissance de Freddy Hazan, et en avril 2016, Das a loué un bureau à Netanya, où les deux hommes pourraient travailler ensemble. Ils ont obtenu de fausses adresses mail, qui donnaient l’impression d’être celles de hauts cadres dans des sociétés à l’étranger, et ont même créé de fausses factures et un papier à en-tête d’un avocat fictif. Hoffman et Hazan ont contacté les employés de sociétés telles que Medis Pharma, en Australie, Pfizer en Irlande, Affecto en Norvège, et d’autres dans le monde entier, pour demander à leurs employés de transférer des centaines de milliers de dollars vers des comptes en banque à l’étranger, qui leurs appartenaient. Il arrivait que les employés se plient à ces instructions, mais à chaque fois, l’arnaque finissait par être découverte.

Les italianophones

Le 19 décembre également, deux italianophones, Enzo Bondi et Yitzhak Sonino, ont été condamnés à une amende et à 6 mois de travaux d’intérêts général pour une arnaque indépendante, mais toutefois reliée, qui a commencé en novembre 2015.

Bondi et Sonino n’étaient pas les cerveaux de cette escroquerie, mais étaient employés parce qu’ils parlaient italien. Les quatre présumés conspirateurs principaux, Henri Oumissi, Daniel Alon, Jeremy Laloum et Mordecai Lalouche ont été accusés en juin 2016, et leur procès est en cours.

Les quatre francophones sont accusés d’avoir prétendu être des fournisseurs pour plusieurs sociétés en Europe, et d’avoir contacté les sociétés pour leur indiquer que les coordonnées bancaires avaient changé. Ils avaient tenté d’escroquer Kia Motors Paris, Diners Club Italy et Diadora.

Bondi Enzo et Yitzhak Sonino ont été chargés de récolter des informations sur les sociétés en Italie, notamment les noms des responsables et des employés et leurs coordonnées. Ils y sont parvenus notamment une fois, en appelant une société et en se faisant passer pour un organisme de charité qui souhaitait convier le directeur financier à un évènement.

Grâce à cette ruse, ils ont obtenu le nom du directeur financier, et se sont faits passer pour lui en utilisant des fausses adresses mail, des documents avec les logos des documents falsifiés et de faux documents bancaires, pour convaincre des sociétés européennes de leur verser de l’argent.

L’inculpation et la condamnation de ces deux hommes ne représentent que deux affaires sur les « arnaques au président » qui sont traités par la justice israélienne.

Toujours en novembre 2016, la police israélienne a arrêté un autre réseau de fraudeurs, qui impliquerait cette fois Eli Revivo, Harry Amar, et des membres de la famille Jarushi, bien connue du milieu du crime organisé, qui aurait des liens avec l’affaire qui entoure David Bitan, député et ancien chef de la coalition.

Fabiana Suissa, Dvir Suissa, Yakov Malcolm Cohen, Yoav Melvin Cohen, Jessica Atlan, Nathaniel Nakache et Esther Bensimon ont également été arrêtés. Selon un document juridique daté de juin 2016, dans lequel la police vise à étendre ses pouvoirs pour saisir des biens confisqués aux suspects, la police a accusé le gang Amar-Revivo d’être impliqué dans plusieurs escroqueries en simultané : l’arnaque au président, le forex, les options binaires, et la fraude au diamant d’investissement.

Amar a été récemment extradé aux Etats-Unis pour y être traduit en justice sur l’affaire de l’arnaque au président entre janvier 2014 et mars 2015, qu’il aurait mise en œuvre depuis Israël et l’Europe, avec des associés en Roumanie, en Allemagne et ailleurs. La police a également indiqué qu’en ce qui concerne les activités du duo Amar-Revivo dans le secteur des options binaires, « de ce que nous pouvons déduire des preuves à ce jour, une fois que l’argent était transféré, il n’a jamais été retourné à ses propriétaires, même s’il semblait que cet argent prospérait sur le site ».

La police a ajouté que « les preuves révèlent que les suspects ont été en mesure d’intervenir sur les résultats de ces transactions, et de ce fait, ont causé des pertes à leurs clients et se sont frauduleusement appropriés leur argent ».

La police a également précisé que l’argent du gang était « transféré sur des comptes offshore, puis rapatrié en Israël par différents biais, mais principalement via des prestataires de services financiers associés à des organisations criminelles ».

L’Allemagne demande l’extradition

Dans une autre affaire présumée d’arnaque au président, l’Allemagne a demandé l’extradition de Christopher Koehren, un touriste français en Israël. L’homme a été arrêté en compagnie d’un citoyen franco-israélien nommé Jeremy Tuill par la police israélienne en mai 2017 à la demande du gouvernement allemand.

Koehren, un citoyen français qui a des origines allemandes, est soupçonné d’avoir escroqué des entreprises allemandes via l’arnaque au président. Koehren, qui n’a aucun lien avec Israël, a déclaré aux autorités qu’il était venu en Israël spécifiquement pour travailler dans un « centre d’appels » et que Tuill était son interlocuteur sur place.

Le Times of Israel a été informé que d’autres immigrants clandestins cherchaient un emploi dans ces « centres d’appels » frauduleux. Une immigrante russophone en Israël, qui a travaillé pendant une courte période pour un courtier d’options binaires russophone, a déclaré que beaucoup de ses collègues étaient des immigrants clandestins originaires de l’ex-Union soviétique qui étaient venus en Israël en tant que touristes et qui avaient dépassé la date limite de leur visa.

Criminalité internationale organisée

Selon le journaliste belgo-israélien Serge Dumont, auteur du livre en français de 650 pages intitulé « La criminalité organisée en Israël », paru en 2013 aux éditions La Manufacture de livres, on compterait entre 80 000 et 90 000 Juifs français à vivre en Israël. La grande majorité d’entre eux respectent la loi.

Une minorité, cependant, aurait peut-être déménagé en Israël pour des raisons fiscales, pour éviter des poursuites pénales en France ou pour poursuivre des activités criminelles, écrit-il. Ces criminels ont ainsi pu bénéficier de la loi israélienne de 2008 qui exempte les nouveaux immigrants en Israël de payer des impôts ou de déclarer leurs revenus à l’étranger.

Etant donné que de nombreuses personnes impliquées dans des entreprises frauduleuses enregistrent leurs sociétés dans des paradis fiscaux à l’étranger, les nouveaux immigrants ne sont pas tenus de déclarer ces revenus aux autorités israéliennes.

Photo d’illustration : plus de 200 Juifs français ont immigré en Israël à bord d’un vol spécial de l’Agence juive, le 20 juillet 2016 (Crédit : Nir Kafri pour l’Agence juive)

Selon Dumont, les centres d’appels français en Israël tirent leurs origines d’une fraude de grande ampleur organisée dans le quartier du Sentier, à Paris, à la fin des années 1990. Le Sentier abritait encore une large population juive originaire du Maroc et de Tunisie qui a immigré en France dans les années 1960.

L’arnaque a été révélée en mai 1997. Des propriétaires de magasins de vêtements du Sentier avaient à l’époque essayé d’obtenir des prêts auprès de banques françaises. Afin que les demandes de prêts soient approuvées, on leur demandait de prouver que leurs entreprises affichaient un résultat en croissance. Certains de ces commerçants se sont alors tournés vers des amis et des membres de leur famille. Ces derniers ont signé des contrats d’achats concernant une large quantité de produits – sans jamais avoir l’intention d’honorer leurs contrats. Quand le moment était venu de rembourser le prêt, les commerçants cherchaient à obtenir un autre prêt auprès d’une autre banque et signaient un nouveau contrat. Ainsi, le processus s’est transformé en un système de Ponzi.

A un moment donné, de nombreux commerçants ont commencé à faire défaut sur leurs prêts. Les banques françaises auraient perdu environ 67 millions d’euros. 120 individus ont été accusés d’entreprise criminelle et 12 des accusés se sont enfuis en Israël.

Plusieurs années plus tard, on a découvert que les Juifs français du quartier du Sentier avaient blanchi environ 91 millions d’euros en transférant leurs fonds en Israël à la fin des années 1990. 140 personnes ont été désignées comme complices de l’arnaque dans le cadre d’un procès, en France, en 2008.

Dans le même temps, la police israélienne a arrêté une trentaine de francophones qui téléphonaient en France pour y vendre de faux contrats publicitaires.

Le scandale suivant à frapper la communauté franco-israélienne a été significativement plus important. En 2008 et 2009, de multiples groupes d’escrocs ont profité de règles fiscales différentes dans les différents pays de l’UE pour acheter et vendre des crédits carbone – ou l’autorisation d’émettre du dioxyde de carbone.

Les fraudeurs achetaient les crédits dans un pays où ils n’avaient pas à payer de taxes sur la valeur ajoutée et les vendaient rapidement en France ou dans d’autres pays qui pratiquaient la TVA. Les commerçants disposent généralement de 90 jours pour reverser au gouvernement français la TVA qu’ils perçoivent. Les fraudeurs ont tiré profit de ce point pour, entre temps, transférer l’argent à l’étranger via différentes sociétés-écrans jusqu’à ce qu’il disparaisse.

Le gouvernement français estime ainsi avoir perdu 1,6 milliard d’euros en TVA impayée et la perte totale pour l’ensemble des pays européens est estimée entre 5 et 10 milliards d’euros.

Selon Marius Christian-Frunza, professeur à la Sorbonne et auteur du livre « Fraude et marchés du carbone », de nombreux groupes criminels de toute l’Europe ont orchestré la manœuvre et se sont livrés à cette fraude, chacun essayant d’en obtenir une part avant que les régulateurs européens ne comprennent ce qu’il se passe et y mettent fin en 2009.

La mafia russo-géorgienne opérant en Espagne était probablement impliquée, tout comme la mafia russe de Saint-Pétersbourg ainsi que d’autres groupes criminels allemands, polonais, bulgares et autres.

En France, où 1,6 milliard d’euros ont été volés, un grand nombre de suspects étaient des Juifs français qui détenaient – ou qui ont plus tard obtenu – la nationalité israélienne.

Un de ces réseaux, dirigé par Arnaud Mimran et Marco Mouly, a détourné pour 283 millions d’euros de TVA. Selon une enquête du journal Haaretz, l’opération criminelle aurait été principalement menée depuis des bureaux situés à Tel Aviv.

Arnaud Mimran (à droite) arrive avec son avocat, Jean-Marc Fedida (à gauche), au tribunal de Paris pour son procès dans l’affaire de l’escroquerie à la taxe carbone, le 25 mai 2016. (Crédit : Bertrand Guay/AFP)

Mimran et Mouly ont tous deux été condamnés à huit ans de prison par la justice française en juillet 2016. Cependant, plusieurs de leurs complices ont été condamnés par contumace et vivent librement en Israël.

Dans la transcription du premier interrogatoire de Mimran par la police française concernant cette affaire, l’homme a explicitement déclaré avoir financé la campagne de réélection du Premier ministre Benjamin Netanyahu en 2009 à hauteur de 200 000 dollars. Netanyahu a déclaré que Mimran ne lui avait donné que 40 000 dollars en 2001. Cette affirmation est cependant contredite par l’enquête de la police française.

Du carbone aux crypto-monnaies

Selon Dumont et différentes autres sources, il existe un lien entre les auteurs du système de Ponzi du Sentier, les escrocs de la TVA, les escrocs de l’arnaque au président et les centres d’appels francophones qui couvrent différents secteurs – des fausses assurances aux faux panneaux solaires en passant par les investissements aux diamants, les options binaires et les crypto-monnaies.

Plusieurs sources ont déclaré au Times of Israel que le nombre de criminels français qui ont fait du crime leur carrière et qui ont émigré en Israël se comptait probablement dans les centaines. Cependant, certaines sources estiment également que le nombre de nouveaux immigrants en provenance de France que ces personnes embauchent peut monter à plusieurs milliers.

La nouvelle série télévisée « McMafia » de la BBC met en scène la manière dont, au cours des années 1990, Israël est devenu un théâtre d’opérations pour la mafia russe – ce qui a permis à la mafia israélienne de devenir plus forte et plus sophistiquée. Les escrocs francophones constituent une deuxième vague d’influence étrangère qui a pollinisé les criminels locaux israéliens.

La série « McMafia », ainsi que le livre sur lequel elle est basée, a mis en lumière un problème mondial qui s’est transformé au cours des dernières décennies, non seulement en Israël mais dans le monde entier. Les criminels se sont adaptés à la mondialisation beaucoup plus adroitement que les différents organes législatifs, dont le travail consiste à les arrêter.

En 2013, le département de la Défense des États-Unis a publié un livre intitulé « Convergence : les réseaux illicites et la sécurité nationale à l’ère de la mondialisation » qui a noté que l’économie illicite – qui englobe tout : le terrorisme, le trafic de drogue, le trafic d’organes, le blanchiment d’argent, les escroqueries sur Internet à grande échelle comme celles manœuvrées depuis Israël – constituerait 8 à 15 % du produit intérieur brut mondial, selon certaines estimations.

Selon Dumont, la plupart des Franco-Israéliens ont profondément honte des criminels qui appartiennent à la même communauté qu’eux et sont abasourdis par l’apparente indifférence de la police israélienne, dont les arrestations sporadiques d’un petit nombre d’auteurs ne contribuent pas à amortir le phénomène.

« En privé, écrit-il, des rabbins influents d’origine française et des responsables communautaires ne mâchent pas leurs mots quand ils parlent de ces ‘parasites’, mais ils le font seulement en privé. Ils ne parleront pas publiquement sur la question de peur d’attiser l’antisémitisme. »

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