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Le yiddish, langue des Juifs d’Europe, connait une nouvelle jeunesse

1 000 ans après sa naissance dans l'aire germanique et slave, le yiddish demeure ce qu'il a toujours été : une langue diasporique sans territoire

Illustration : La signalétique décorative du magasin de Lviv, en polonais et en yiddish, annonce "Produits laitiers : Repas [laitiers] / Café, thé / Pains / Beurre, fromage / Lait aigre / Babeurre ". (Courtoisie de Walkowitz)
Illustration : La signalétique décorative du magasin de Lviv, en polonais et en yiddish, annonce "Produits laitiers : Repas [laitiers] / Café, thé / Pains / Beurre, fromage / Lait aigre / Babeurre ". (Courtoisie de Walkowitz)

À l’agonie au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le yiddish, la langue des Juifs d’Europe avant la Shoah, connait une nouvelle jeunesse tant chez les ultra-orthodoxes dont c’est resté la langue vernaculaire que parmi les jeunes laïques avides de retrouver les mots que leurs parents traumatisés ont évité de leur transmettre.

« Le yiddish a été assassiné dans les camps de concentration et la chaîne de transmission a été brisée par le silence des parents qui voulaient tourner la page. Aujourd’hui il a le vent en poupe », assure Régine Nebel, responsable de la programmation culturelle à la Maison de la culture yiddish à Paris.

Les locaux abritent la plus grande bibliothèque yiddish d’Europe occidentale. Créée en 1928, elle héberge 33 000 ouvrages dont les deux tiers en yiddish.

« Cette langue n’est pas morte (…) des jeunes veulent l’apprendre et la pratiquer », insiste cette septuagénaire.

Et mille ans après sa naissance dans l’aire germanique et slave, le yiddish demeure ce qu’il a toujours été : une langue diasporique sans territoire, une originalité dont se targuent ceux qui la parlent et qui la différencie de l’hébreu charnellement liée à l’État d’Israël.

La machine à écrire de Chaim Grade, conservée dans l’état où elle a été retrouvée après la mort de l’auteur yiddish en 1982, avec ce qui sont apparemment les dernières lignes écrites par l’auteur. (Crédit : New York Jewish Week via JTA)

Lors d’une rencontre à Brooklyn en 1977 avec le prix Nobel de littérature Isaac Bashevis Singer, le Premier ministre israélien de l’époque Menahem Begin lui avait reproché d’écrire en yiddish, « langue des morts, de ceux qui s’étaient laissés conduire à l’abattoir, la langue qui ne possède même pas la locution ‘Garde à vous' ».

Pince sans rire, Singer avait répondu : « Je reconnais que ce n’est pas une langue inventée pour des généraux. »

Pour Natalia Krynicka, la bibliothécaire du centre, sur les 6 millions de Juifs assassinés pendant la Deuxième Guerre mondiale, cinq parlaient cet idiome.

« Avec l’assimilation linguistique des descendants des survivants et une hostilité à cette langue en Union soviétique et en Israël, on estime à deux millions ses locuteurs dans le monde, surtout parmi les Juifs orthodoxes aux États-Unis, en Israël, et une dizaine de milliers en France », principalement des Juifs laïcs, ajoute-t-elle.

« Phase de réappropriation »

Les succès de récentes séries Netflix ont donné un élan à cette langue. « Shtisel » narre la vie d’une famille de Juifs ultra-orthodoxes à Jérusalem, suivie de « Unorthodox » qui raconte l’histoire d’Esty issue d’une famille pieuse de Brooklyn, qui décide de fuir sa communauté.

« C’est devenu une langue sexy », soutient le sourire aux lèvres Tal Hever-Chybowski, directeur de la Maison de la culture yiddish.

« Je suis optimiste car beaucoup veulent apprendre cette langue qui n’a pourtant aucune utilité pratique si on veut partir en vacances », soutient Deborah Broyer, 39 ans, qui l’étudie depuis trois ans.

Et puis les réseaux sociaux ont donné une impulsion considérable comme la page Facebook « Yiddish pour tous » suivie par 10 000 internautes écrivant en français ou en yiddish.

« Nous sommes dans une phase de réappropriation. Après une longue période de latence ça reprend », dit-elle.

« Il y a 30 ans quand je disais que j’apprenais le yiddish les gens me prenaient pour un dingue. Moi, je voulais pratiquer la langue de mon grand-père. La littérature et la chanson populaire attirent car elles sont d’une richesse folle », confie à l’AFP Gilles Rozier, éditeur d’Antilope qui publie en français des ouvrages traduits notamment du yiddish.

« Avant la guerre, il y avait une traduction tous les cinq ans. Puis il y a eu le pic avec les livres de Singer. Le prix Nobel a fait découvrir cette langue aux éditeurs et aux lecteurs. Aujourd’hui, trois à quatre textes sont publié chaque année », explique-t-il.

« Survivre à l’assassinat »

Pour Tal Hever-Chybowski, cette langue « a survécu à un assassinat. C’est une histoire belle, forte et puissante. C’est presque un récit mythologique ».

« En 1939, il y avait environ 13 millions de locuteurs de yiddish dans le monde. Cette langue européenne allait au delà de l’Europe. Elle a eu une influence énorme dans la modernité », soutient-il.

« On ne peut pas comprendre l’Europe sans les Juifs, sans Marx, sans Freud , sans Rothschild. Le yiddish contient les clés pour saisir l’histoire de ce continent. Comme le latin, le yiddish est une langue paneuropéenne », assure M. Hever-Chybowki, 36 ans.

« C’était une lingua franca, une langue qui réunissait Amsterdam, Prague, Lublin, Venise, Bâle, Londres et Paris. Une langue qui traversait l’Europe », dit-t-il.

En recevant le prix Nobel, Singer avait expliqué son appétence pour cette langue. « D’abord j’aime écrire des histoires de fantômes et rien ne convient mieux à une histoire de fantômes qu’une langue mourante. Plus la langue est morte, plus le fantôme est vivant. Ensuite je crois à la résurrection. Je suis sûr que le messie va bientôt venir et que des milliers de cadavres parlant yiddish sortiront de leurs tombes et que leur première question sera : Y a-t-il de nouveaux livres en yiddish ? », avait-t-il dit.

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