« L’EI perd la campagne militaire mais gagne celle du recrutement »
Un an après la décapitation du journaliste américain James Foley, une experte en terrorisme dissèque les progrès de la lutte contre l'État islamique

Il y a un an, l’État islamique a choqué le monde entier en diffusant une vidéo de la décapitation du journaliste américain James Foley – qui avait disparu depuis près de deux ans.
Alors que le groupe djihadiste avait déjà marqué des avancées rapides les mois précédant la décapitation, cet acte particulier de brutalité lui a donné exactement ce qu’il voulait : une place dans la conscience du monde.
Mise à part la perte terrible d’un journaliste courageux, l’assassinat de Foley a permis à l’État islamique de capter l’attention de la communauté internationale, selon Benedetta Berti, experte du terrorisme et de l’État islamique à l’Institut d’études de sécurité nationale, basée à l’Université de Tel Aviv.
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« Si l’EI avait déjà marqué des gains territoriaux très importants, et la communauté du renseignement était certainement au courant qu’il constituait une menace djihadiste dangereuse, la vidéo de cette décapitation a totalement choqué le monde occidental », dit Berti au Times of Israel.
« Depuis lors, tout le monde connaît l’État islamique. »
Et dans les 12 mois qui ont suivi, dit-elle, en dépit de pertes militaires significatives, l’EI a continué à attirer un afflux massif de bénévoles. Ainsi, chaque fois que des combattants de l’EI sont tués, ils sont remplacés rapidement et facilement.
Cette dynamique signifie que la guerre contre l’État islamique est combattue au-delà du champ de bataille.
D’Al-Qaïda à l’EI
L’EI était à l’origine Al-Qaïda en Irak, mais le groupe a commencé à se réorganiser en 2010 sous la direction d’Abu Bakr al-Baghdadi, se créant sa propre entité, en grande partie parce que les dirigeants d’Al-Qaïda rejetaient ses méthodes de violence contre des civils.
Le plus grand progrès de l’État islamique après cette division, selon Berti, a été réalisé le 10 juin 2014, lorsque le groupe a pris le contrôle de la ville irakienne de Mossoul et déclaré son intention de créer un califat, une communauté islamique mondiale gouvernée par la charia.
Cet état de fait militaire a finalement incité le président Barack Obama à autoriser des frappes aériennes en Irak le 8 août 2014.
Onze jours plus tard, l’EI a diffusé une vidéo graphique d’un militant masqué, s’exprimant en anglais britannique, menaçant de tuer davantage d’Américains si Obama ne mettait pas fin à sa dernière campagne militaire. A côté de lui se trouvait James Foley.
Foley était à genoux dans le désert, vêtu d’un habit de prisonnier orange, la tête rasée. Il fut forcé de lire une déclaration, probablement écrite par ses ravisseurs, implorant sa famille, ses amis et concitoyens d’exhorter le président à mettre fin aux frappes aériennes américaines, disant : elles assènent « le dernier clou à mon cercueil ».

Après que le renseignement américain a vérifié l’authenticité de la vidéo le 20 août 2014, Obama a interrompu ses vacances annuelles de famille pour déplorer la mort de Foley et déclaré que l’EI est un « cancer » qui devait être annihilé.
Deux ans après avoir qualifié l’Etat islamique d’ « équipe de jayvee (juniors) » dans le mouvement djihadiste mondial, Obama était prêt à employer un ton différent et à forger une autre politique : « Notre objectif est clair, endommager et détruire l’EI, de sorte qu’il ne représente plus de menace – et pas seulement pour l’Irak, mais aussi pour la région et les États-Unis. »
Depuis lors, les Etats-Unis sont embarqués dans une mission globale de vaincre l’État islamique. Berti explique la position des Etats-Unis et de ses partenaires internationaux dans ce combat.
La situation sur le terrain
« Le principal problème », dit-elle, « est que tandis que l’EI encaisse des coups à l’échelle militaire – les frappes aériennes américaines lui ont causé des dommages importants – il dirige une campagne médiatique si exceptionnelle, et est si habile à recruter des bénévoles, que chaque fois que les Etats-Unis tuent des combattants de l’EI, ils sont remplacés très rapidement. »
La CIA estime que l’EI compte entre 20 000 et 31 500 combattants ; les frappes aériennes américaines en ont tué environ 6 000 depuis le début de la campagne en août 2014.
La CIA estime également que des milliers affluent en Irak et en Syrie chaque mois – les chiffres exacts ne sont pas connus – pour rejoindre les cellules du groupe terroriste, et que le nombre de recrues dépasse celui des pertes, selon des études menées par l’INSS.
Avant la campagne militaire américaine, l’EI avait tant gagné de terrain qu’il contrôlait des territoires en Irak et en Syrie plus grands que le Royaume-Uni, selon l’Institut d’Etude de la guerre.
Ces gains territoriaux, cependant, n’ont pas grandi depuis que l’EI est confronté à une combinaison de frappes aériennes américaines et offensives terrestres, menées par l’armée irakienne et les forces kurdes, selon Berti.
« L’État islamique a perdu beaucoup de progression militaire », dit-elle. « Avant le début des opérations militaires contre eux, ils faisaient de rapides progrès. Ces progrès ont en grande partie été arrêtés, mais pas complètement, et ils ont par la suite perdu du territoire. »

« Plus important encore, » ajoute-t-elle, « ils ont été chassés de Tikrit. »
En avril, les forces irakiennes, aidées par des miliciens chiites, ont pris le contrôle de Tikrit, une ville du nord en Irak, ancien berceau de l’ancien dictateur Saddam Hussein. La libération de Tikrit a marqué une victoire importante pour le gouvernement irakien, dit Berti, tandis que ses forces militaires ont essayé et échoué de nombreuses fois dans l’année depuis la prise de contrôle l’EI.
« Ce que nous voyons, c’est qu’ils perdent des batailles importantes, » poursuivit-elle. « Mais celles-ci sont encore incapables d’éroder la taille de leur armée. »
« Voilà pourquoi, avec l’EI, il s’agit de la guerre plus vaste des idées », dit Berti. « Ils ont un appareil de propagande médiatique extrêmement efficace qui continue à inciter les gens à rejoindre leur cause djihadiste. »
Selon le Centre international d’étude de la radicalisation et de la violence politique, près de 20 000 combattants étrangers ont voyagé en Syrie et en Irak pour combattre aux côtés de l’EI.

« Donc, l’Amérique et les autres forces enregistrent quelques victoires sur le champ de bataille, mais jusqu’à ce qu’elles bloquent le recrutement à l’étranger, ces gains ne perdureront pas », dit Berti.
La principale politique américaine envers la prévention et la dissuasion du recrutement, dit-elle, est triple – surveillance, renseignement et sécurité accrue à la frontière.
L’événement le plus important à cet égard a eu lieu ce mois de juillet, lorsque la Turquie a annoncé qu’elle allait coopérer avec l’armée américaine.
Les avions américains ont depuis rejoint les forces turques – avec les insurgés syriens modérés – pour collaborer dans la lutte contre les militants de l’EI le long d’une bande de 96,5 km de frontière entre la Turquie et la Syrie.
Le plan permettra également de créer ce que les responsables appellent une « zone de sécurité » pour les Syriens déplacés, et empêchera les recrues de l’EI de traverser la frontière turque.
« Il pourra empêcher les gens d’entrer dans le pays », dit Berti. « Ce n’est pas la seule frontière, mais le plan aura probablement un impact sur la réduction de l’afflux [de personnes venues rejoindre l’EI]. »
Néanmoins, l’État islamique demeure une organisation complexe qui nécessite une approche globale, multidimensionnelle, dit-elle.
Un autre défi : l’État islamique est la plus riche organisation terroriste au monde. Sa conquête territoriale de la Syrie, riche en pétrole, lui a permis d’accumuler d’énormes sommes d’argent suite à la vente de pétrole sur le marché noir. En outre, il recueille encore les dons des pays du Golfe et est capable de générer ses propres fonds.
Pour toutes ces raisons, Berti soutient que les victoires sur le champ de bataille sont importantes, mais qu’il y a encore un long chemin à parcourir, selon les termes du président Obama, « pour endommager et finalement détruire » l’Etat islamique. « Si c’était juste une question de guerre asymétrique, » dit-elle, « ils auraient été rapidement vaincus. »
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