Israël en guerre - Jour 466

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Les caméras du Likud, destinées à censurer l’électorat arabe, selon une experte

Pour cette experte de l'Institut israélien de la démocratie, filmer une minorité dans les bureaux de vote n'est absolument pas un moyen de lutter contre la fraude électorale

Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.

Une Israélienne vote lors d'élections dans la ville à prédominance bédouine de Rahat, le 9 avril 2019. (AP/Tsafrir Abayov)
Une Israélienne vote lors d'élections dans la ville à prédominance bédouine de Rahat, le 9 avril 2019. (AP/Tsafrir Abayov)

En équipant les responsables de bureau de vote dans des villes arabes de caméras lors des élections d’avril, le Likud n’était pas motivé par sa volonté proclamée d’empêcher la fraude électorale, selon une experte, mais plutôt par une volonté de réprimer la participation des électeurs dans ces communautés.

Citant une publication Facebook de l’un des organisateurs qui se vantait de la réussite du projet, la participation de l’électorat arabe ayant été inférieure à 50 %, Tehila Shwartz Altshuler a expliqué dans un entretien avec le Times of Israël accordé lundi que le parti de Benjamin Netanyahu souhaitait « censurer l’électorat arabe ». « On ne peut pas fermer les yeux là-dessus », a-t-elle expliqué.

« Débattre de la fraude électorale en ignorant la véritable intention de ceux à l’origine des caméras revient à traiter la question de façon partielle », a ajouté la spécialiste travaillant à l’Institut israélien de la démocratie.

La semaine dernière, Tehila Shwartz Altshuler a soumis un avis juridique au nom de l’institut qui a recommandé à la Commission centrale électorale d’empêcher le Likud de répéter l’opération « valeurs morales », selon ses propres termes, lors des prochaines élections de septembre.

Tehilla Shwartz Altshuler, chercheur à l’Institut israélien pour la démocratie. (Autorisation)

Le Likud a défendu ses manœuvres, clamant qu’elles étaient indispensables pour empêcher les fraudes massives présumées dans les communautés arabes, et y a alloué un budget deux fois supérieur pour le scrutin de septembre.

En avril, le président de la commission centrale électorale Hanan Melcer avait autorisé le recours à ces dispositifs dans les cas où il existait une « crainte non négligeable » de fraude électorale, sans préciser ce qui constituait une « crainte non négligeable ». Cette décision avait été prise dans l’urgence le jour du scrutin, après que des représentants du Likud ont été surpris équipés de caméras cachés et brièvement exclus des bureaux de vote par la police.

En raison d’un grand nombre de requêtes de partis de gauche et d’organisations de défense des droits opposés à la décision, Hanan Melcer a accepté d’organiser une audition sur la question la semaine dernière, pour laquelle Tehilla Altshuler a été appelée à témoigner.

Comment surprendre un fraudeur

Lors de l’audition, tout comme dans l’entretien de lundi, elle a clamé qu’un débat de fond sur la fraude électorale était nécessaire, tout en précisant que l’utilisation de caméras dans certaines communautés en particulier ne contribuait pas beaucoup à la résolution du problème.

« Il existe suffisamment de solutions technologiques pouvant permettre d’éviter la fraude sans laisser un parti politique créer une base de données massive sur tous les électeurs arabes », estime-t-elle.

Pour empêcher des électeurs de voter à la place d’une personne décédée ou à l’étranger, l’experte propose qu’un ordinateur programmé scanne les registres de vote de chaque bureau de vote et les compare avec les registres officiels du ministère de l’Intérieur.

« La même méthode pourrait être utilisée pour éviter des fraudes des membres des bureaux de vote », suggère Tehilla Altshuler, faisant référence aux tentatives présumées de modifications des registres par des officiels après le dépouillement.

Un Arabe israélien se prépare à voter aux élections parlementaires israéliennes dans un bureau de vote installé dans une école à Taibé, dans le nord du pays, le 9 avril 2019. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

Bien que l’experte soit sceptique quant à la capacité d’une caméra à détecter ce genre de fraude en temps réel, elle indique qu’il y aurait moins de problèmes juridiques si elles étaient utilisées par des membres impartiaux du bureau lors du décompte des voix, une fois le dernier électeur parti.

La législation encadrant les élections autorise les membres de partis distincts à représenter trois des quatre employés de chaque bureau. Une cinquième ou une sixième personne affiliée à un parti tierce peut également être présent en tant qu’observateur désigné.

Elle admet cependant faire ces recommandations un peu à l’aveuglette, le président de la commission électorale ayant refusé de révéler les informations récoltées par le Likud lors des dernières élections. Hanan Melcer a annoncé à la place, lors de l’audition de la semaine dernière, qu’il avait transmis ces données à la police pour qu’elle les examine.

Depuis le scrutin d’avril, ce dernier a ouvert des enquêtes sur des soupçons de fraude dans deux bureaux de vote : dans la ville d’Afula et dans la localité druze de Kisra-Sumei. Le Likud n’y avait pas placé de caméras.

« La Commission centrale électorale ne nous dit pas quels types de fraude ont été commises ou quelle est l’étendue du problème », déplore la spécialiste. « Comment déterminer ce qui est justifié si on ignore l’ampleur du problème » ?

Le Times of Israël s’est procuré les registres de plus de 100 bureaux de vote où des irrégularités ont été constatées. Une partie d’entre eux, à savoir un tiers, se trouvaient dans des villes arabes. D’autres bureaux ayant enregistré un nombre anormal de votants se trouvaient dans les implantations ultra-orthodoxes de Modiin Illit et Beitar Illit et les villes de Petah Tikva, Afula, Netanya et Rosh Haayin.

Sans minimiser la gravité des faits, Tehilla Altshuler précise qu’ils n’ont entraîné que plusieurs milliers de voix supplémentaires.

Un Israélien se présente à un bureau de vote pour les élections législatives du 9 avril 2019 dans la ville arabe de Taibe, dans le nord d’Israël. (Ahmad Gharabli/AFP)

Quoi qu’on fasse…

Au-delà de la question de l’efficacité des caméras dans la lutte contre la fraude électorale, la Commission centrale électorale a-t-elle l’autorité de sanctionner leur utilisation ?

La loi accorde à la commission des « pouvoirs exceptionnels » pour prendre des décisions non explicitées par la réglementation électorale, mais l’experte de la démocratie estime que l’autorisation de caméras pendant les heures de vote va au-delà des intentions originales du législateur.

« L’idée que les bureaux de vote doivent être une zone ‘stérile’ est au cœur des processus électoraux en Israël », explique-t-elle, faisant référence aux règlements interdisant aux officiels des bureaux de vote d’allumer la télévision ou la radio ou de téléphoner pendant leur mission.

« Les législateurs à l’époque où la loi a été rédigée [1959] n’avaient pas prévu le jour où tout le monde serait équipé d’un téléphone avec caméra. À mon avis, s’ils l’avaient envisagé, ils auraient interdit les caméras tout comme ils ont prohibé d’autres équipements », spécule Tehilla Altshuler.

Cela ne veut pas dire qu’ils se seraient opposés à ce qu’un officiel filme un incident de fraude qui se déroulerait sous ses yeux, clarifie-t-elle. « Mais il y a une grande différence entre ça et laisser une caméra allumée toute la journée filmant chaque personne entrant dans le bureau de vote comme compte le faire le Likud ».

Une caméra cachée sur un observateur du Likud, dans un bureau de vote d’une ville arabe, lors des élections du 9 avril 2019. (Crédit : Hadash-Taal)

En quoi les caméras censurent-elles les électeurs, ont demandé des défenseurs du programme de surveillance. L’expert reconnaît ne pas avoir de réponse.

« Mais c’est bien la question. Nous n’avons pas fait suffisamment de recherche », clame-t-elle, assurant que cela aurait davantage convaincu Hanan Melcer de ne pas autoriser les caméras dans une si grande mesure qu’en avril.

« Dire que [les caméras] provoquent la censure des électeurs est incorrect, mais dire le contraire n’est pas forcément vrai non plus », estime-t-elle. Elle maintient néanmoins que l’intention du Likud était bien de réduire le taux de participation des citoyens arabes.

Pour expliquer l’absence de réforme des règlements électoraux jusqu’à présent, elle présente deux possibilités. « Soit [les députés] avaient une motivation politique pour ne rien faire soit ils n’y sont simplement pas parvenus ».

La membre de l’institut de la démocratie suggère que la dernière éventualité est la plus probable, mais souligne que la commission électorale a pour prérogative d’éliminer toute tentative d’exploitation de cette faille juridique par un parti.

Elle rappelle que malgré les avertissements du Contrôleur de l’État Yosef Shapira dans des rapports établis à la suite des élections de 2013 et 2015, personne n’a été mis en examen à la lumière des cas de fraude électorale détaillés.

« Même si on change la loi, il faut un système judiciaire soucieux de l’appliquer », dénonce-t-elle.

Le docteur Tehila Shwartz Altshuler, universitaire spécialiste des médias à l’Institut pour la démocratie d’Israël, et au centre à droite Noa Elefant-Loffler, manager en charge des politiques publiques chez Google Israel, s’expriment durant la Cyberweek, le 25 juin 2017. (Crédit : Shoshanna Solomon/Times of Israel)

De qui s’inspirer ?

Semblant défendre l’utilisation de caméras lors de l’audition la semaine dernière, le juge Melcer avait indiqué que cette pratique avait été observée lors des élections législatives en Inde cette année et que la participation avait augmenté, atteignant un chiffre record de 67,5 %.

« L’Inde est une démocratie en cours de développement, et elle a beaucoup à nous apprendre, mais je ne suis pas certaine que nous devrions nous en inspirer sur ce sujet », avait alors rétorqué Tehilla Altshuler. Il serait peut-être mieux de nous inspirer de démocraties plus anciennes comme le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni, où de telles pratiques sont interdites. »

Revenant sur ces propos, elle confie avoir été abasourdie que le magistrat de la Cour suprême ait choisi l’Inde comme modèle.

Elle souligne que le gouvernement du Premier ministre Narendra Modi avait installé les caméras non pas pour éviter tout risque de fraude électorale, mais pour empêcher les violences ayant agité de nombreux bureaux de vote lors de récents scrutins.

Les organisateurs de l’opération « normes morales », Sagi Kaizler et Gadi Deee, posent aux côtés du Premier ministre Benjamin Netanyahu et de son épouse Sara après les résultats des élections, le 9 avril 2019. (Crédit : Kaizler-Inbar))

« On peut bien sûr s’inspirer d’eux pour déterminer comment une entité impartiale pourrait installer des caméras et dans quel cadre, mais d’aller jusqu’à dire que leur programme pilote prouve que cela ne nuit pas au vote… » s’interroge-t-elle. Elle souligne qu’en Inde, chaque électeur doit mettre un doigt dans de l’encre pour qu’ils ne votent pas deux fois.

« Nous ne faisons pas cela, car nous estimons qu’il s’agit d’une pratique primaire, mais ça serait bien plus efficace que des caméras », clame-t-elle.

Elle indique que plusieurs États américains n’ont certes pas souhaité prohiber les caméras, mais ont renforcé le contrôle des électeurs et des critères pour voter. Dans le Wisconsin, les détracteurs se sont plaints que cette législation plus stricte ait fait baisser de 19 % la participation des électeurs noirs lors des présidentielles de 2016.

« Bien que nous ne pouvons rien apprendre des Etats-Unis en ce qui concerne les caméras, nous pouvons conclure que quand il existe des réglementations présumées neutres, leur application n’est jamais neutre et sont plus nuisibles à certaines populations qu’à d’autres », prévient-elle.

Elle dénonce également ce qu’elle présente comme une tendance chez le Likud de Benjamin Netanyahu à imiter les moyens employés par le président américain Donald Trump et d’autres responsables politiques américains.

« Tout ce qui es fait là-bas, ils veulent le faire ici. Trump s’en est pris au physique de ses adversaires, alors le Likud a parlé de la stabilité mentale de Gantz et de ses visites [présumées] chez le psychiatre », dénonce Altshuler. « Nous observons aujourd’hui la même chose avec le micro-ciblage de certains électeurs. »

Tous les regards se portent sur Hanan Melcer

Un porte-parole de la Commission centrale électorale a fait savoir que le juge remettrait sa décision la semaine prochaine.

D’après son évaluation de l’audition de la semaine dernière, l’experte prédit que Hanan Melcer autoriserait les caméras, mais uniquement lors du dépouillement, uniquement par un officiel impartial et pas seulement dans certains bureaux de vote.

Elle reconnaît qu’un tel verdict serait similaire à la décision prise à la hâte par Melcer le jour-même du scrutin d’avril, mais souligne que le Likud avait espéré que les caméras soient autorisées en continu pendant toute la journée.

« J’espère vraiment que nous n’en sommes plus là », conclut la spécialiste.

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