Les infos obtenues par les caméras électorales du Likud présenteraient un danger
Entendue par la Commission électorale au sujet de l'opération de surveillance électorale, l'Association de l'Internet avertit contre un détournement des données collectées
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Les données enregistrées par les caméras que le Likud prévoit de nouveau d’installer pour une opération de surveillance dans les bureaux de vote de villes arabes créent une immense base de données sur les citoyens israéliens qui pourraient être utilisées à mauvais escient, a averti jeudi la présidente de l’Israel Internet Association.
Témoignant devant la Commission centrale électorale, Karine Nahon a indiqué que même si les caméras étaient mises en place par la commission impartiale plutôt que par un parti politique, « de grandes inquiétudes subsistent car cela crée une grande réserve d’informations sur ceux qui pénètrent dans le bureau de vote ».
« Lorsqu’il existe une base de données concernant tout l’État d’Israël et que celle-ci tombe entre de mauvaises mains, cela devient un problème bien plus grand que [le bafouement de] la notion de pureté des élections », a ajouté Karine Nahon. Elle a exhorté la commission à organiser un débat plus vaste sur la collecte de données qu’une telle opération implique avant de décider d’autoriser ou non les caméras.
Le conseiller juridique du Likud Avi Halevi a répondu à ces inquiétudes lors de l’audience, insistant sur le fait que le parti n’avait pas l’intention d’utiliser les images pour autre chose que pour prouver une éventuelle fraude. Il a aussi réfuté les arguments selon lesquels les caméras constituaient une atteinte à la vie privée, estimant qu’elles donneraient une plus grande impression de sécurité à ceux qui les voient.
L’Israel Internet Association est l’une des nombreuses organisations ayant déposé une requête officielle auprès de la commission électorale, lui demandant d’interdire au Likud d’équiper 1 200 de ses officiels postés dans les bureaux de vote arabes de caméras cachées lors du scrutin de septembre, comme elle l’avait fait pour celui d’avril.
La commission a également entendu l’Institut israélien de la démocratie, le groupe de défense arabe Adalah, le Mouvement pour un gouvernement de qualité et l’organisation pour la justice sociale Zazim. Des représentants du bureau du procureur général et de la police israélienne ont également été interrogés par le président de la commission, Hanan Melcer, juge à la Cour suprême.
Le Likud a défendu son opération, clamant qu’elle était essentielle pour empêcher une fraude massive prétendue dans les communautés arabes. Mais les détracteurs — citant une publication Facebook de l’un des artisans de la manœuvre, qui se vantait de la réussite du projet qui aurait fait chuter le taux de participation des électeurs arabes à moins de 50 % — ont assimilé cette initiative du Likud à une forme d’intimidation destinée à éloigner la minorité arabe des bureaux de vote.
En avril, Hanan Melcer avait avalisé l’utilisation de caméras dans les cas où il existait une « crainte non négligeable » de fraude électorale, sans expliciter ces cas au-delà de deux exemples. Cette décision éclair avait été prise le jour du scrutin lorsque des employés du Likud ont été surpris équipés de caméras cachées et brièvement extrait des bureaux de vote par la police.
En amont de l’audience de jeudi, le procureur général Avichai Mandelbilt a transmis un avis juridique à Hanan Melcer dans lequel il estime que cette utilisation de caméras pouvait constituer un délit si elle entravait le processus électoral.
Représentant l’opinion de Mandelblit lors de l’audition, l’avocat Ron Rosenberg a indiqué que des régulations très strictes délimitent ce qui est autorisé dans un bureau de vote et que cela ne comprend pas les caméras. Les régulations, a-t-il avancé, ne devraient pas être modifiées par la commission électorale, mais par la Knesset au moyen d’une loi.
« Pour nous, le placement de caméras dans un bureau de vote fait figure de trop grand changement des réglementations électorales, et il n’existe actuellement aucune disposition légale autorisant cette installation », a fait valoir Ron Rosenberg.
Melcer a demandé à Rosenberg de rendre un avis juridique d’ici lundi sur la légalité d’une présence d’officiers de police équipés de caméras corporelles lorsque nécessaire. Le président de la commission électorale a demandé à un représentant de la police présent à l’audition d’indiquer si les forces de l’ordre pouvaient prendre en charge une telle alternative.
La loi électorale actuelle exige que des policiers soient en poste devant les bureaux de vote, mais leur interdit d’y entrer sauf en cas de soupçon de comportement illégal à l’intérieur.
Dans l’intention de parvenir à un compromis entre le Likud et les divers opposants de son opération, Melcer a demandé aux représentants entendus par la commission s’ils s’opposeraient à l’installation aléatoire de caméras dans quelques bureaux de vote à travers le pays. Les deux camps ont laissé entendre que cela leur paraissait plus approprié. Il s’est ensuite tourné vers David Bitan, représentant du Likud à la commission, pour savoir s’il accepterait que des personnes habilitées non liées à un parti installent des caméras dans tous les bureaux de vote, et pas seulement dans les communautés arabes. Le député a indiqué n’avoir aucun problème avec la proposition.
David Bitan a également souligné que les autres partis avaient également le droit d’imiter le Likud lors du scrutin. Une personne présente dans la salle a répondu avec malice : « Qu’est-ce qu’il se serait passé si Balad [un parti arabe] avait envoyé ses militants dans une implantation équipés de caméras ? »
Tehila Altshuler de l’Institut israélien de la démocratie a clamé qu’en dépit des allégations du Likud, le nombre de votes frauduleux ne s’est élevé qu’à plusieurs milliers. Depuis le scrutin d’avril, la police a ouvert des enquêtes pour des soupçons de fraude dans deux bureaux de vote : un dans la ville d’Afula et un autre dans la ville druze de Kisra-Sumei. Aucun de ces bureaux n’avait été visé par le programme de surveillance du Likud.
Melcer a répondu à Altshuler que la police examinait toujours les centaines d’enregistrements transmis par le Likud, laissant entendre que d’autres enquêtes pourraient être ouvertes.
Semblant défendre l’opération, le magistrat a poursuivi en indiquant que cette pratique avait été observée lors des élections législatives en Inde cette année.
« L’Inde est une démocratie en cours de développement, et elle a beaucoup à nous apprendre, mais je ne suis pas certaine que nous devrions nous en inspirer sur ce sujet. Il serait peut-être mieux de nous inspirer de démocraties plus anciennes comme le Canada, l’Australie et le Royaume-Uni, où de telles pratiques sont interdites », a rétorqué Altshuler.
Le président de la commission a fait savoir qu’il comptait rendre son jugement sur la question la semaine prochaine.