Les disciples du rabbin Gershon Edelstein rendent hommage à sa piété pragmatique
Les laïcs célèbrent la politique modérée du chef du mouvement lituanien ultra-orthodoxe en Israël, tandis que ses étudiants se souviennent de son approche pédagogique humaine
Lors de ses interventions, Yaakov Vider, homme politique de la ville de Bnei Brak, majoritairement haredi, aime citer une phrase que beaucoup de ses auditeurs trouvent choquante.
« Le patriotisme est l’amour du peuple. Les laïcs qui servent dans l’armée sacrifient leur vie pour leur prochain. Si un juif laïc est plus disposé à sacrifier sa vie qu’un juif haredi, alors ce sont des martyrs. Et dans ce cas, c’est le juif laïc qui est le plus noble ».
Cette citation est controversée, car de nombreux haredim refusent d’effectuer leur service militaire pour consacrer leur temps à l’étude de la Torah.
Lorsque ses auditeurs haussent les sourcils, Vider sort son as : la citation, leur dit-il, vient du rabbin de Bnei Brak, Gershon Edelstein, le principal dirigeant des juifs haredim ashkénazes, qui est décédé mardi à l’âge de 100 ans.
« La force de cette citation réside en partie dans le fait qu’elle ne provient pas d’une personne qui a vécu il y a 50 ans, mais de quelqu’un que tout le monde connaît », a déclaré M. Vider, un membre du Likud favorable à la modernisation de la société haredi, au Times of Israel lors des funérailles du rabbin Edelstein.
La citation, tirée d’un cours de Torah dispensé par le rabbin Edelstein en 2011, six ans avant qu’il ne devienne le leader du courant lituanien du judaïsme haredi ashkénaze, est emblématique de la position conciliante du rabbin. Le rabbin Edelstein est reconnu comme étant celui qui a contribué à promouvoir la coexistence entre sa minorité insulaire et la majorité juive moins pieuse en Israël, à une époque où les tensions sur le rôle de la religion dans la société ne cessent de croître.
Toutefois, pour les fidèles les plus pieux d’Edelstein, son héritage réside principalement dans son dévouement à l’éducation haredi et à l’éthique dans les relations personnelles, comme l’ont déclaré plusieurs d’entre eux.
Des centaines de milliers d’entre eux se sont rassemblés mardi des quatre coins du pays pour accompagner en procession la dépouille du rabbin Edelstein de la yeshiva de Ponevezh à Bnei Brak, fleuron de l’intellectualisme haredi et de l’apprentissage de la Torah qu’il dirigeait depuis 2000, jusqu’au cimetière local où il devait être enterré.
Avant la procession, plusieurs rabbins éminents ont fait l’éloge d’Edelstein à la yeshiva.
« Nous avons tout laissé tomber et toute la yeshiva s’est dirigée vers la gare dès que nous avons appris que le rabbin était décédé », a déclaré Shuki Fouchs, étudiant à la yeshiva Rina Shel Torah à Karmiel, dans le nord. De nombreux axes de circulation, y compris des tronçons de la route 4 et des rues de Bnei Brak, ont été fermés en raison des funérailles.
« Son message était un message de bonté, d’humanité, de dévotion à l’étude, de spiritualisme au sens le plus pur : se concentrer sur l’essence plutôt que sur l’argent et le statut », a déclaré M. Fouchs.
Strictement pieux mais modéré dans son attitude envers la société séculière, le rabbin Edelstein demandait aux familles de ne pas couper les liens avec les membres qui s’émancipaient. Il a adouci le langage des édits pour qualifier les laïcs d’ignorants ou d’erronés plutôt que de diaboliques, et il a modéré les tendances à la division, notamment le récent boycott par les haredim de la chaîne de boulangeries Angel en raison de la participation du président de son conseil d’administration, Omer Bar-Lev, à une manifestation contre le gouvernement, dans lequel les Juifs ultra-orthodoxes sont des partenaires principaux.
Cela a valu au rabbin Edelstein le respect de nombreux dirigeants laïcs, notamment celui du président Isaac Herzog, ancien dirigeant du parti de gauche Avoda. Dans sa déclaration de mardi, Herzog a décrit le rabbin comme « un chef spirituel de très grande importance qui a influencé notre génération avec sa Torah et sa grandeur pieuse, et qui influencera les générations à venir ».
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu a écrit dans son communiqué à propos d’Edelstein que « l’importance de transmettre l’héritage d’Israël aux enfants d’Israël a émergé des profondeurs de son âme. »
Edelstein, un haut responsable religieux du parti Yahadout HaTorah, qui fait partie de la coalition de droite de Netanyahu, a émergé comme personnage de liaison entre le monde haredi et le monde laïc en 2017, lorsqu’il a succédé (avec le rabbin Chaim Kanievsky, qui est également décédé depuis) à feu Aharon Yehuda Leib Shteinman en tant que haut responsable spirituel litvak, ou juif lituanien. Avant cela, Edelstein se consacrait à la gestion de la yeshiva de Ponevezh.
Selon Vider, Edelstein a progressivement évolué vers une position de leader politique, malgré le fait qu’il était personnellement plus porté sur l’éducation. C’est dans les écoles qu’il a eu le plus d’impact, en menant « une révolution pédagogique similaire aux changements intervenus dans l’éducation laïque », explique Vider. Edelstein « a sévi, s’est montré intraitable face aux abus de pouvoir des enseignants. Il a plaidé pour une éducation plus douce, dans laquelle les enseignants n’essaieraient pas de tordre les élèves pour qu’ils correspondent à leurs idéaux, mais adapteraient leurs enseignements pour qu’ils correspondent mieux au caractère des élèves ».
Un autre aspect d’Edelstein qui le distinguait des autres dirigeants haredim était « la façon dont il fuyait le pouvoir, qui lui était imposé, alors que d’autres politiciens haredim le recherchaient », a déclaré Avraham Azran, un autre étudiant de yeshiva de Karmiel. « Cela lui a donné un statut différent. Cela lui a donné une autorité supplémentaire et cela ajoute à la tristesse que nous ressentons face à son départ ».
Ce décès survient à un moment critique dans les relations entre haredim et laïcs, alors que le ressentiment à l’égard des Israéliens haredim continue de croître parmi les critiques qui s’opposent aux politiques du gouvernement et aux concessions faites aux haredim en ce qui concerne le service militaire, les postes d’influence et les priorités budgétaires.
« En ces temps de divisions terribles, où beaucoup pensent que les gens qui sont juste différents d’eux sont mauvais, le rabbin Edelstein a brillé par son amour du prochain, son attention à chaque étudiant, à chaque problème qui lui était présenté et à chaque personne qu’il voyait », a écrit Yemima Mizrachi, une femme orthodoxe influente, conférencière et avocate.
La volonté de compromis du rabbin Edelstein ne doit pas être surestimée, a déclaré Gilad Malach, directeur du programme ultra-orthodoxes à l’Institut israélien de la démocratie, qui est favorable à une plus grande participation des Haredim à la société israélienne et au marché du travail.
« L’année dernière, Edelstein a mis son veto à une initiative visant à inclure des matières laïques – mathématiques, anglais et sciences exactes – dans les programmes des écoles [du système] haredi », a-t-il fait remarquer.
« Ce n’était pas un révolutionnaire et ses politiques modérées couvrent un spectre très limité d’observance. En fin de compte, Edelstein était attaché à l’éducation haredi, qui ne prépare pas les haredim à devenir des membres à part entière de la société moderne d’Israël », a déclaré M. Malach.
Le rabbin Edelstein, qui a eu sept enfants avec sa défunte épouse, Henia, s’est installé avec ses parents à Ramat Hasharon lorsqu’ils ont quitté leur Russie natale en 1934. Le père du rabbin Edelstein, Yehuda, issu d’une longue lignée de rabbins, est devenu le premier grand rabbin de la ville.
La nouvelle direction du courant lituanien, dont la composition n’est pas encore connue, poursuivra probablement la pensée pragmatique d’Edelstein, a déclaré Malach.
« L’approche pragmatique est le courant dominant au sein de la population lituanienne. Les radicaux de cette population se sont déjà retirés il y a une dizaine d’années, créant ce qui est maintenant connu sous le nom de Faction de Jérusalem, a-t-il dit. « Il y a donc peu de pression interne contre la ligne modérée.
Malgré les pressions exercées par d’autres chefs religieux pour défier les interdictions du gouvernement sur les prières publiques pendant la pandémie de COVID, Edelstein a ordonné à ses disciples d’adhérer aux règlements d’urgence des autorités.
Mais la scission a également tracé des lignes dans le sable – opposition au service militaire et aux études laïques dans les écoles haredi – qui continueront probablement d’être observées par les futurs dirigeants.
« Avec le décès du rabbin Edelstein, une génération s’achève », a déclaré Vider.
« Mais nous ne sommes pas à la croisée des chemins. L’identité du successeur n’est pas connue, mais l’engagement de leur population à être une force productive et positive dans cette société prévaudra, si Dieu le veut. »